24 janvier 2019 / Julie Lallouët-Geffroy (Reporterre)
Côté pile, la méthanisation permet de produire du gaz renouvelable et d’assurer aux éleveurs d’importants compléments de revenus. Côté face, elle présente une vraie menace de pollution des sols et d’émission de gaz à très grand effet de serre. Voici le deuxième volet de notre enquête sur ce mode de production d’énergie.
Cet article est le deuxième des trois de l’enquête de Reporterre sur la méthanisation. Il suit « La méthanisation, l’usine à gaz qui séduit les gros agriculteurs ».
- Rennes (Ille-et-Vilaine), correspondance
En 2014, lorsque son méthaniseur est entré en fonctionnement, l’éleveur Stéphane Bodiguel a révolutionné sa pratique. Il élève des vaches laitières, des allaitantes, il fait aussi de l’engraissement et des céréales à Sixt-sur-Aff, dans le sud de l’Ille-et-Vilaine. « J’ai repris la ferme de mes parents avec mon frère, mais je n’ai jamais eu la passion pour les animaux, encore moins du lait. À 300 euros la tonne, on est en dessous du prix de revient, c’était intenable. » C’est un reportage sur la méthanisation en Allemagne qui lui a donné l’envie de se lancer. Après cinq ans de réflexion, il a installé un méthaniseur sur sa ferme, et récemment un nouveau moteur pour atteindre une puissance de 610 kW. Autant dire un gros méthaniseur, qui ingurgite pas moins de 30 tonnes de matières par jour. La moyenne des méthaniseurs à la ferme en Bretagne tourne autour des 100, 150 kW.
Comme dans toute exploitation équipée de ce système de production de gaz, le décor change. La première chose qui saute aux yeux est le stockage des matières à injecter dans le méthaniseur, aussi appelé « digesteur ». À droite, une montagne de fumier, à gauche un tas de marc de pommes, ici des graisses issues de l’agroalimentaire. Étonnamment, ces tas de déchets ne dégagent pas d’odeur gênante. Vient ensuite le dôme, le couvercle de cette marmite géante qu’est le digesteur. Stéphane Bodiguel n’en a qu’un ; mais, au nord de Rennes, l’éleveur François Trubert en a deux. « J’ai un digesteur et un post-digesteur. Cela permet d’avoir une fermentation plus longue et d’obtenir un digestat de meilleure qualité », explique ce dernier.
- Un méthanisateur d’une puissance de 610 kW.
En regardant par le hublot de la grosse marmite, on a l’impression de voir un énorme pot-au-feu en train de mijoter, avec de grosses bulles qui explosent à la surface de la mixture. À la différence que l’on ne salive pas devant ce spectacle.
« Consommé par le sol, le digestat s’infiltre vers les cours d’eau et les nappes phréatiques »
À la sortie du digesteur, il y a, d’un côté, le gaz et la chaleur et, de l’autre, le digestat. Celui-là sera épandu dans les champs comme engrais, ce qu’il est en théorie.
« Le digesteur est un bain de bactéries, dit Marie-Pascale Deleume, membre du groupe méthanisation d’Eaux et rivières de Bretagne. Baignant à 40 °C, elles s’y développent et peuvent même devenir résistantes. » Cela inclut les bactéries, spores, parasites mais aussi les résidus médicamenteux administrés aux élevages. C’est d’ailleurs ce qu’a démontré en 2016 une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea). Une méthanisation à 40 °C maximum ne réduit pas assez le nombre des pathogènes. Le compostage est beaucoup plus efficace, tout comme la méthanisation dépassant les 50 °C. Une phase d’« hygiénisation » — une période d’une heure de chauffe à plus de 70 °C — permettrait un meilleur « nettoyage » du digestat, mais elle n’est pas obligatoire pour toutes les exploitations. Et les systèmes les plus utilisés s’arrêtent aux 40 °C.
- Le méthaniseur, reconnaissable à son dôme, rejette dans cette cuve le digestat, qui sera ensuite épandu dans les champs comme engrais.
« Lorsque le digestat bourré de pathogène est épandu, il est consommé par le sol puis s’infiltre vers les cours d’eau et les nappes phréatiques », explique Marie-Pascale Deleume. « Dans les zones karstiques comme sur les pentes des causses, l’infiltration est très rapide et va directement dans les nappes phréatiques, où nous pompons notre eau potable », dit Michel Bakalowicz, hydrologue et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à la retraite, membre du Conseil scientifique national pour une méthanisation raisonné (CNSM). « Une infiltration rapide signifie qu’il n’y a pas de filtration du sol ni de dilution possible. » Une eau polluée pourra être traitée en station de potabilisation avant d’arriver dans nos robinets, mais tout dépend de la technologie de la station près de chez soi. « Un traitement au chlore, comme c’est le cas dans le Lot, ne suffit pas à débarrasser l’eau de ces pathogènes », assure Liliane Reveillac, radiologue et membre du CSNM.
« Consommer de l’eau bourrée de pathogènes »
L’enjeu de la qualité des eaux de surface et souterraines est crucial en France. Car plus la qualité de l’eau est dégradée, plus il est onéreux de la rendre potable. Mais encore faut-il avoir les indicateurs et capteurs pour mesurer l’intensité et la nature de la pollution, et la technologie pour la traiter. Sans parler des conséquences sur la faune et la flore entre l’infiltration et notre robinet.
Chauffer les effluents agricoles à 38 °C ne permet pas d’éliminer un certain nombre de pathogènes. Au contraire, cette température est celle qui active certaines bactéries et parasites et leur permet de se multiplier. Ces pathogènes résistants seront ensuite épandus. Au sol alors de s’adapter pour pouvoir les digérer. Mais rien n’est moins sûr, et il y a fort à parier que ces substances vont s’infiltrer vers les nappes phréatiques, en particulier dans les régions au sol karstique.
Nous pourrions donc retrouver des bactéries plus agressives dans l’eau que nous buvons. Notre corps s’en défendra plus ardemment et aura besoin d’un soutien médicamenteux plus puissant. Les bactéries visées apprendront elles aussi à résister. C’est ce cycle, que l’on appelle antibiorésistance, qui est à l’œuvre. L’OMS considère que 10 millions de décès par an d’ici 2050 seront imputables à l’antibiorésistance, rapporte le ministère de la Transition écologique et solidaire.
La résistance accrue des bactéries est liée à de nombreux facteurs, comme la surconsommation médicamenteuse, dont celles des antibiotiques. Les scientifiques du CSNM craignent que la méthanisation, indirectement, participe à ce phénomène.
- Le digestat obtenu est sotcké dans cette cuve avant épandage.
Le problème de l’infiltration et de la difficulté des sols à digérer ce nouveau type d’engrais tient en bonne partie à la composition du digestat lui-même. L’hydrologue Michel Bakalowicz est un spécialiste des eaux souterraines en zone calcaire. « L’azote présent dans le digestat est minéralisé, c’est-à-dire qu’il contient peu de carbone », dit-il. « Sans ce carbone, le sol et les plantes ont du mal à l’assimiler. Il va donc s’accumuler. Ensuite, certains coins de France, comme le Lot ou la Normandie ont des sols karstiques. Ce sont des sols calcaires à structure de gruyère. En cas de forte pluie, l’infiltration vers les nappes phréatiques est très rapide. Il y a donc un risque de pollution. »
Émission de gaz à très grand effet de serre
« Si leur méthaniseur leur pète à la figure, ils seront mal ! » Daniel Chateigner, physicien, n’y va pas avec le dos de la cuillère. De fait, l’implantation d’un méthaniseur relève du régime des ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement). En cas d’accident, les conséquences pourraient être rudes. Mais la réglementation a été assouplie en juin 2018. Si le méthaniseur consomme moins de 100 tonnes de matières par jour, un enregistrement auprès de la préfecture suffit. Au-delà, le régime de l’autorisation implique une enquête publique d’un mois pour recueillir l’avis du public. Mais, dans la mesure où un gros méthaniseur de 610 kW consomme 30 tonnes par jour, peu de projets sont désormais concernés par l’enquête publique.
Le physicien explique que la méthanisation est réputée vertueuse pour sa faible émission de gaz à effet de serre, « mais c’est faux ». « Déjà, lorsque les bâches qui couvrent les digesteurs se détériorent, vous avez une fuite de méthane. » Un vrai problème, car le méthane a un potentiel de réchauffement 25 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone (CO2). Une étude de l’Irstea est en cours pour détecter et évaluer ces fuites. Elles sont pour le moment évaluées entre 0 et 10 %, mais la faiblesse des données disponibles rend pour le moment l’évaluation délicate. L’Irstea précise : « Si le bilan positif de la méthanisation fait peu de doute du point de vue environnemental, le bénéfice peut cependant s’annuler dès lors que les fuites de méthane atteignent 10 %. »
Mais ce qui préoccupe le plus Daniel Chateigner, c’est le protoxyde d’azote. « Le digestat est très volatil, l’ammoniac se disperse très facilement dans l’air. A son contact, il s’oxyde et va développer du protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2. » À cela s’ajoute, l’apparition de l’oxyde d’azote, un polluant pris en compte dans les mesures actuelles de la pollution de l’air. Mais aussi, le développement de particules fines.
Pour éviter ces problèmes dus à la volatilité du digestat, certaines mesures sont déjà en vigueur. « Nous recommandons de couvrir les fosses de stockage de digestat, explique Hervé Gorius, conseiller technique la chambre d’agriculture de Bretagne, et d’utiliser des pendillards pour épandre le digestat sur les terres au ras du sol, et éviter ainsi une dispersion. » Des mesures que les chercheurs du CSNM jugent insuffisantes.
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