Les députés commencent aujourd’hui l’examen de la loi « pour une école de la confiance ». Décryptage d’un texte qui vise surtout à reprendre en main l’école, de la maternelle au collège, pour imposer un modèle concurrentiel et élitiste.
Encore une promesse non tenue. Tout juste nommé ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer l’avait assuré : « Il n’y aura pas de loi Blanquer, j’en serai fier. » Il n’a donc pas de quoi être fier, alors que le projet de loi « pour une école de la confiance », signé de son nom, est examiné à partir d’aujourd’hui par l’Assemblée nationale, après un an et demi de réformes menées au pas de charge et une semaine de débats en commission de l’éducation. Souvent présenté comme un fourre-tout sans grande cohérence, ce texte finit au contraire de dessiner la vision que Jean-Michel Blanquer se fait de l’école, et qu’il entend bel et bien graver dans le marbre de la loi.
1TOUJOURS FAIRE DES ÉCONOMIES SUR LE DOS DE L’ÉCOLE
La constante des réformes de l’éducation nationale, c’est qu’il s’agit toujours de faire des économies, même si tout indique que c’est au contraire d’un manque d’investissements que souffre notre système éducatif. La France est l’un des pays les plus mal classés de l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques) en termes d’investissements éducatifs ; depuis 1995, la part de la richesse nationale consacrée à l’éducation a perdu un point de PIB (produit intérieur brut), passant de 7,5 % à 6,5 %.
Ce n’est pas ce texte qui va inverser la tendance, tant l’obsession de faire des économies y apparaît transversale. Ainsi, l’article 14, au prétexte de « développer le prérecrutement des personnels enseignants » – ce qui est une demande de certains syndicats – permettrait aux assistants d’éducation (AED, autrefois appelés surveillants) d’exercer « des fonctions pédagogiques, d’enseignement ou d’éducation ». Autrement dit, de remplacer des profs. Pour pas cher : on parle de 600 à 900 euros par mois. Pour des étudiants en master qui ne sont même pas assurés de devenir enseignants un jour, puisqu’ils n’ont passé aucun concours. « On ne prend pas l’avion avec quelqu’un qui a juste lu la notice du cockpit ! » s’alarme Francette Popineau, co-secrétaire générale du SNUipp-FSU, premier syndicat du primaire. « On est encore sur l’idée qu’on apprend sur le terrain », remarque sa collègue Frédérique Rolet, du Snes (secondaire), « alors que ça doit s’inscrire dans un processus de formation ». Pour elle, ces AED sont appelés à venir « boucher les trous » dans les disciplines et les académies déficitaires, notamment en banlieue.
Même logique pour la réforme territoriale : si le ministre – qui pourra légiférer par ordonnances sur ce point – annonce finalement qu’il maintiendra les rectorats actuels (au lieu de les réduire à treize, sur le modèle des régions administratives), c’est pour les soumettre à un « super-recteur » régional. Nul doute qu’il s’agira de réorganiser les services administratifs en mutualisant un maximum de fonctions, au mépris des spécificités locales et de la proximité avec le terrain.
Même principe pour la création des « établissements des savoirs fondamentaux », intégrée par un amendement de la majorité lors du passage en commission. Il s’agit là du retour de « l’école du socle », regroupant le collège et les écoles à l’échelle d’un « bassin de vie ». « Cela permettra de fermer des classes au passage », note Francette Popineau, mais aussi de remettre en cause le rôle central du directeur d’école, qui deviendrait un adjoint du directeur d’établissement, dont la présence sur le terrain ne serait plus du tout la même. Reste enfin l’article 8, qui étend « sans garde-fous », note Frédérique Rolet, les possibilités d’expérimentations… y compris jusqu’à l’annualisation du temps de travail des enseignants.
2L’ÉCOLE DE LA CONCURRENCE À TOUS LES NIVEAUX
Typique de la stratégie Blanquer : mettre en avant une mesure en apparence incontestable pour glisser, en réalité, une terrible régression. Ici, c’est l’article 3 qui rend obligatoire la scolarisation à 3 ans. 98 % des enfants de cet âge étant déjà scolarisés, la mesure ne concernerait que 26 000 élèves au maximum, dont 7 000 en Guyane et à Mayotte – où la scolarisation à 6 ans n’est toujours pas acquise. En vérité, la conséquence principale de cette mesure sera d’étendre aux écoles maternelles privées sous contrat l’obligation de financement à laquelle les communes sont déjà astreintes. Un véritable appel d’air financier pour ces structures (et un boulet pour les communes), aujourd’hui peu nombreuses mais qui risquent de se multiplier… au péril de la mixité scolaire.
D’autant que l’article 9 transforme le Cnesco (Conseil national d’évaluation su système scolaire) en un Conseil d’évaluation de l’école (CEE), avec deux évolutions. Le CEE sera à la botte du ministre, avec huit membres sur douze nommés par lui. Surtout, il produira des évaluations à tous les niveaux… qui seront publiques. « C’est le Trip Advisor (un site qui évalue et classe les hôtels de tourisme – NDLR) des écoles ! » commente Francette Popineau, autrement dit la mise en concurrence des établissements entre eux, renforçant là aussi les conduites d’évitement, la fuite vers le privé (qui, lui, choisit ses élèves) et la ségrégation sociale.
La syndicaliste note que, en Suède, la mise en place d’un système du même genre, il y a quelques années, a entraîné la chute de ce pays dans les classements internationaux.
3UNE VOLONTÉ DE REPRISE EN MAIN AUTORITAIRE
« Parler d’école de la confiance, c’est un oxymore, car on assiste à une reprise en main pour imposer une vision des choses », juge Frédérique Rolet. Le fameux article 1, qui tente sans l’avouer d’imposer aux enseignants un devoir de réserve qui n’existe pas (voir notre édition du 9 janvier), en constitue le signal principal. La mise au rencart du Cnesco, trop indépendant, pour le remplacer par un CEE docile, en est un autre. Enfin, de la réforme territoriale et ses « super-recteurs » à la création des « écoles du socle » regroupées sous l’autorité d’un seul chef d’établissement, on observe le retour à une forme d’organisation pyramidale, un centralisme toujours pas franchement démocratique, ayant pour fonction de faire « descendre » au plus vite vers le terrain les décisions et orientations parties de la Rue de Grenelle. « Cette loi, c’est la mise en forme du rêve de Blanquer, qui ne souffre aucune contradiction », commente Francette Popineau : « Une école à deux vitesses, avec le minimum garanti pour tous, et des écoles de l’élite, pas forcément publiques, pour les plus favorisés ». Une école du tri social, assumée et organisée, de la maternelle à l’université.
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