Biodiversité. Le message politique des insectes doit résonner plus fort

Par Aleksandar Rankovic Coordinateur, Institut du développement durable et des relations internationales

Même un trentenaire peut facilement se rendre compte que beaucoup moins d’insectes s’écrasent sur son pare-brise, aujourd’hui, que sur celui de ses parents quand il était enfant. Alors qu’on les pensait si nombreux et si résistants qu’ils survivraient même à un conflit nucléaire mondial, c’est, comme le titrait le New York Times Magazine, fin 2018, à une tout autre « Apocalypse des insectes » que l’on assiste.

En suivant l’évolution de la biomasse d’insectes dans 63 aires protégées dans l’ouest de l’Allemagne de 1989 à 2016, on a constaté une diminution de plus 75 % de la biomasse moyenne d’insectes volants sur l’année ; 82 % pour le milieu de l’été. Les auteurs de l’étude, publiée en 2017, soupçonnent l’intensification agricole, notamment les pesticides.

Un article de synthèse publié en février 2019 clarifie et aggrave encore le constat : 41 % des espèces d’insectes pour lesquelles on dispose de suivis de long terme dans le monde sont en déclin, et 31 % menacées d’extinction. La baisse annuelle de la biomasse d’insectes serait de 2,5 % par an dans le monde. Les insectes étant à la base des chaînes alimentaires terrestres et aquatiques, on comprend mieux les déclins observés chez les vertébrés et les risques encourus à ainsi prolonger la tendance. Les causes de ce déclin sont connues : la littérature scientifique pointe surtout les pertes d’habitat et les pollutions, en particulier celles liées à l’agriculture, dont les pesticides. L’action sur ces sujets existe déjà, et il lui faut des renforts : elle doit prendre de l’ampleur, et prendre plus de place dans les débats. En France, le plan « France, terre de pollinisateurs » a vu le jour en 2016. Le plan « biodiversité », lancé à l’été 2018, contient des mesures visant à limiter l’utilisation des insecticides. En Allemagne, dans le sillage de l’étude de 2017, qui y fit grand bruit, un programme d’action pour la protection des insectes a vu le jour, et concerne l’agriculture au premier chef. Très récemment, en Bavière, une mobilisation record (1,75 million de signatures pour une pétition) va peut-être aboutir à un référendum pour la protection des abeilles.

En 2016, à la suite de la publication du rapport de l’Ipbes sur la pollinisation, une coalition de pays volontaires pour les pollinisateurs a été lancée lors de la COP13 de la convention sur la diversité biologique (CDB). Une initiative pour la conservation et l’utilisation durable des pollinisateurs a été lancée en 2000 par la CDB, en partenariat avec la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), et elle vient d’être mise à jour lors de la COP14 de la CDB, fin 2018. Elle prône, elle aussi, la diminution et la sortie progressive des pesticides. La FAO vient de publier son premier rapport sur les risques de pénurie alimentaire liés à l’effondrement de la biodiversité.

Le Printemps silencieux, de Rachel Carson, exposait déjà, en 1962, les risques sanitaires et environnementaux liés à l’usage massif des pesticides. Le sujet a continué de monter, irrémédiablement, et il devient impossible de l’ignorer. Il faut se saisir des actions en cours, demander des comptes sur les engagements pris, pousser pour une meilleure mise en œuvre. Mais aussi braquer le projecteur sur les arènes où les mutations sectorielles se négocient – et sur les acteurs qui bloquent. Face aux réticences au changement, le silence des insectes, des oiseaux, des chauves-souris et de tous les autres doit venir résonner de tout son poids.


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