Evaluations, réformes : Le ministère menace les enseignants  

« Vous veillerez à apprécier le comportement de chacun des professeurs concernés ». Dans une lettre adressée aux recteurs et aux Dasen le 8 mars, le ministère de l’éducation nationale hausse le ton et menace clairement les enseignants qui refuseraient de faire passer les évaluations nationales ou d’en donner les résultats. Parallèlement, des enseignants qui notent 20/20 des contrôles sont aussi menacés par des chefs d’établissement.  Alors que les syndicats appellent à des mobilisations tout au long du mois de mars pour obtenir une revalorisation et un report des réformes, le ministère semble décidé d’aller à l’affrontement.

« Apprécier le comportement de chacun des professeurs »

 La lettre envoyée aux Dasen et aux recteurs par Edouard Geffray, directeur général des relations humaines du ministère de l’éducation nationale, menace clairement les enseignants n’ayant pas fait passer les évaluations de Cp, Ce1 et 6ème ou qui ne donnent pas les résultats.

Le DRH de l’éducation nationale rappelle l’article 2 du décret 90-680 du 1er aout 1990 relatif au statut particulier des professeurs des écoles et l’article 2 du décret 2014-940 du 20 aout 2014 pour les enseignants du second degré. Pour lui « la participation aux évaluations des élèves relève des obligations de service des enseignants. Dans ces conditions, le refus de procéder à l’évaluation des élèves constitue une faute professionnelle ». E Geffray conclue en appelant les recteurs  » à apprécier le comportement de chacun des professeurs concernés et le respect de la procédure disciplinaire prévue ».

L’avertissement des syndicats

Ce subit durcissement de la position ministérielle, alors que le problème existe depuis des mois, est certainement à prendre au sérieux. C’est que les évaluations suscitent une résistance très forte. Le 14 janvier, une large intersyndicale du premier degré (Snuipp Fsu, le Se Unsa, le Sgen Cfdt, Sud, FO et la CGT) a écrit à JM Blanquer pour signaler les problèmes posés par ces évaluations.

 » Enquêtes et témoignages montrent que ces évaluations sont inadaptées aux jeunes élèves de CP et sont facteur de stress. Les consignes officielles de passation, source de confusion et de difficultés, ont dû être adaptées le plus souvent par les personnels. De fait, les résultats ne peuvent être considérés comme fiables et ne sont donc d’aucune aide aux enseignants sur les acquis des élèves. La saisie extrêmement chronophage ainsi que la dépossession de l’analyse des résultats n’ont fait qu’accentuer le malaise ressenti par les enseignants, réduits à de simples exécutants de tâches subalternes », expliquent les syndicats au ministre.

 » La manière de mener les évaluations standardisées montre une grande confusion sur les objectifs des différentes formes d’évaluation dans et du système éducatif. Ce qui nourrit des inquiétudes quant aux visées du ministère dans l’évaluation des établissements », écrivent les syndicats.

S’agissant des évaluations de février, les syndicats mettaient en garde le ministre.  » Si l’objectif est d’évaluer le système éducatif, nous disposons déjà de beaucoup d’évaluations nationales et internationales et des évaluations sur échantillon sont suffisantes, nul besoin donc de les généraliser… A moins qu’il ne s’agisse d’utiliser ces évaluations pour imposer des pratiques, réduire la liberté pédagogique, pourtant nécessaire à l’efficacité d’enseignements adaptés aux besoins des élèves, voire  pour évaluer le travail des enseignants au travers des résultats des élèves. Le ministère assure qu’il n’en est rien, il est permis d’en douter », disent de façon unanime les syndicats.

Et ils réagissaient aux premières pressions.  » Les premières pressions exercées par les corps d’inspection pour imposer telle méthode de lecture, l’usage d’un manuel, ou promouvoir des partis pris faisant fi de l’ensemble des résultats de la recherche n’ont qu’un but : imposer une idéologie pédagogique et mettre au pas les enseignants ». Les six syndicats demandaient l’abandon des évaluations.

Dans sa réponse, le ministre contestait toutes les critiques et estimaient que les évaluations ne posent pas de problème ni pour la passation, ni sur leur utilité et finalité. Du déni exprimé le 16 janvier on passe maintenant à une nouvelle étape.

Pressions sur des professeurs de lycée

Les enseignants des écoles et des collèges ne sont pas seuls à subir ces pressions. Des professeurs des lycées qui utilisent le 20/20 comme arme pour protester contre la réforme du lycée sont aussi menacés. Au lycée J Verne de Nantes, les enseignants viennent de recevoir une lettre de leur proviseur les mettant en demeure de rectifier rapidement « ce qui relève de la faute professionnelle et potentiellement du délit ». Car le proviseur est allé puiser dans le code pénal estimant que les bulletins portant ces notes sont des faux. « Les enseignants qui persisteront devront assumer seuls leurs responsabilités le cas échéant devant les juridictions compétentes », écrit le proviseur.

« Depuis une semaine c’est la panique au rectorat à cause de Parcoursup », nous a dit Benoit Picherit, responsable du Snes dans un autre lycée nantais où un professeur sur trois a saisi un devoir noté 20/20 pour tous les élèves. « Ce qui pose problème au rectorat c’est que Parcoursup clot les voeux le 14 mars et la saisie le 3 avril. Plusieurs dizaines de lycées ont ainsi attribué des 20/20 aux élèves ce qui rend Parcoursup inutilisable. Au lycée Balzac de Mitry Mory (77) une quarantaine d’enseignants ont attribué une note trimestrielle de 20/20 à des élèves de seconde. Ils veulent empêcher la sélection opérée pour les spécialités de 1ère et assurer la promesse ministérielle du libre choix.

Le précédent de 2011…

Ce n’est pas la première fois que des enseignants défient le ministère et que celui ci menace. En 2008, X Darcos avait rencontré une vive résistance des « désobéisseurs » quand il avait voulu forcer une évolution rétrograde de l’école primaire.  En 2011, L. Chatel avait aussi menacé des enseignants qui refusaient déjà les évaluations nationales voulues par son directeur de l’enseignement, JM Blanquer.

Dans ces deux cas, les ministres ont sanctionné des enseignants. Ils ont ainsi peut-être répondu a un appel d’autorité qui existe bien dans le pays . Et ils se sont fait plaisir. Mais ils ont vite perçu les limites de cette politique. Les sanctions n’ont rien changé sur le terrain au contraire si ce n’est renforcer et durcir la solidarité des enseignants envers les victimes de la répression. Tout simplement parce que les enseignants « désobéisseurs » étaient trop nombreux pour pouvoir être sanctionnés. Presque 10 ans après les faits, le ministère n’est toujours pas capable d’imposer ses fichiers élèves à toutes les écoles. Il a trainé durant des années une opposition sourde mais très active et un sentiment de méfiance généralisé envers le ministère et la hiérarchie. Sentiment que le baromètre Unsa et aussi Talis (Ocde) ont suffisamment pointé. Parler d’école de la confiance ou user du bâton, il faut choisir…

François Jarraud

La lettre ministérielle

L’intersyndicale

En 2011 déjà…

Et en 2008

La promesse du libre choix

 

 


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