Sylvain Wagnon : Le bien-être est-il une arme idéologique néolibérale ? 

Après avoir été négligée particulièrement en France la question du bonheur, plutôt pensée autour du bien-être ou du climat scolaire, est mise en agenda pour devenir un enjeu des politique publiques en matière d’éducation. Pourtant les « pédagogies alternatives » dans leur critique de la forme scolaire misaient sur l‘épanouissement personnel. Sylvain Wagnon, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Montpellier questionne les risques d’instrumentalisation de l’idée de bien-etre. Déjà Max Weber suggérait qu’une théodicée du bonheur est indispensable aux dominants « L’homme heureux se contente rarement du fait d’être heureux ; il éprouve de surcroît le besoin d’y avoir droit. Il veut aussi être convaincu qu’il « mérite » son bonheur, et surtout qu’il le mérite par comparaison avec d’autres, et il veut donc également pouvoir croire qu’en ne possédant pas le même bonheur, le moins fortuné n’a que ce qu’il mérite. Le bonheur veut être « légitime ».  Cette théodicée ne s’est-elle pas muée en sociodicée libérale ?  Le bien-être est-il devenu une arme idéologique néolibérale ?

Les pédagogies alternatives, une galaxie aux contours flous

Dans un récent numéro de la revue Tréma, nous avons analysé et cartographié la galaxie de ce que l’on nomme les pédagogies alternatives . Cette terminologie regroupe un ensemble d’expériences pédagogiques, d’associations et d’acteurs qui sont parfois issus directement de la mouvance de l’éducation nouvelle du début du XXe siècle, comme les mouvements Freinet, Decroly, Steiner ou Montessori, mais aussi toute une variété de courants qui font du triptyque familles, neurosciences et développement personnel des notions fédératrices. Ces alternatives éducatives qui se développent depuis le début du XXIe siècle semblent à la recherche de nouvelles figures. Ainsi, si Montessori et Steiner restent des références, apparaissent de nouveaux noms, comme Daniel et Hanna Greenberg de la Sudbury School valley pour les écoles démocratiques.

Le bien-être : un principe fédérateur des pédagogies alternatives et d’Education nouvelle

Les propositions pédagogiques des pédagogues de l’éducation nouvelle du début du XXe siècle se fondent sur une critique radicale du système en place, cette « école caserne » qui ne prenait pas en compte l’individu. La critique de la forme scolaire se doublait d’une critique des finalités de l’enseignement : l’école est-elle faite pour former un ouvrier, le préparer à l’emploi, ou pour contribuer à un épanouissement personnel ? Le bien-être de l’enfant se retrouvant dans la définition d’une éducation intégrale qui vise à une harmonie du corps et de l’esprit ou par l’élaboration de centres d’intérêts pour les apprentissages, est un élément de recherche du bien-être de l’enfant par la prise en compte de son psychisme, de ses besoins et de ses intérêts. Les pédagogies alternatives peuvent se reconnaitre dans ces conceptions.

Bien-être et développement personnel

Une grande différence est perceptible sur la conception et l’usage du développement personnel dans les pédagogies d’Education nouvelle et les pédagogies alternatives du XXIe siècle. L’éducation nouvelle tente de résoudre la tension des apprentissages scolaires en respectant le statut spécifique de l’enfant et en définissant celui-ci comme un être singulier et social. Les pédagogies alternatives, comme les écoles démocratiques ou les tenants de l’instruction à domicile, font de la singularité de l’enfant l’alpha et l’Omega, refusant parfois même la notion de pédagogie au nom de la spontanéité de l’éveil de l’enfant. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette idée n’est pas incompatible avec la société néo-libérale mais elle peut en être levier. En effet, les valeurs individuelles, comme l’autonomie, sont mises en avant au profit du développement personnel. Ne nous trompons pas toutefois : nous ne remettons pas en cause l’importance du bien-être de l’enfant comme de l’acquisition de son autonomie. C’est la conception d’un bien-être libéral exclusivement centré sur l’enfant qui reste un sujet de controverses.

Bien-être, neurosciences et éducation positive

La question du bien être pour les pédagogies alternatives est liée à l’importance des recherches et des arguments issus des sciences cognitives dans l’éducation. La sociologie et la psychologie avaient accompagné l’émergence de l’Education nouvelle au tournant du 20e siècle. Désormais, les pédagogies alternatives entendent légitimer leurs conceptions éducatives par le renouvellement des connaissances sur le mécanisme du cerveau ou la psychologie positive. L’éducation positive, centrée sur l’individu, devient même une sorte de but ultime pour de nouvelles relations entre parents et enfants.

Par ailleurs, la présence dans ces pédagogies alternatives des coachs du développement personnel et du life-coaching, donne à la question du bien-être une perspective individualiste exacerbée. Ces coachs du bien-être prônent une liberté pédagogique qui n’est qu’une libéralisation de l’éducation. La question sociale est occultée au profit du développement personnel et de l’individualisme social.

Le bien-être et la question des finalités éducatives

La question qui est posée est celle des finalités éducatives : à « quelle éducation voulons-nous ? » répond l’interrogation « quelle société voulons-nous ? ». Sur cette question fondamentale des finalités éducatives, les pédagogies alternatives se doivent de préciser leurs volontés car, à l’heure actuelle on assiste au nom du bien-être de l’enfant à une recherche exacerbée de l’épanouissement personnel au détriment des valeurs de vivre-ensemble et du bien commun. Malgré des discours empreints de bons sentiments et de valeurs positives, les pédagogies alternatives se retrouvent dans la création d’une multitude d’écoles privées hors contrats qui, sous couvert de liberté pédagogique contournent l’enseignement public.

Propos recueillis par Béatrice Mabilon-Bonfils

Directrice du laboratoire BONHEURS

(Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)

Université de Cergy-Pontoise

 

Par fjarraud , le jeudi 21 mars 2019.

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