- Par Claude Lelièvre
- Blog : Histoire et politiques scolaires
L’arrêté du 28 juillet 1882 (écrit sous l’influence décisive de Pauline Kergomard) a signé la naissance de « l’école maternelle » française (une quasi exception dans le paysage européen) : « l’école maternelle n’est pas une école au sens ordinaire du mot : elle forme le passage de la famille à l’école ; elle garde la douceur affectueuse et indulgente de la famille, en même temps qu’elle initie au travail et à la régularité de l’école […]. Tous les exercices de l’école maternelle doivent aider au développement des diverses facultés de l’enfant [….] en ne lui imposant jamais un genre de travail incompatible avec la faiblesse et la mobilité du premier âge ».
Le décret du 18 janvier 1887 précise que « les écoles maternelles sont des établissements de première éducation ». Il s’agit bien d’éducation et non d’instruction.
Pauline Kergomard mènera durant trente ans une lutte incessante pour que l’école maternelle ne soit pas envahie par des programmes scolaires, mais soit le lieu où le jeu est reconnu comme étant l’activité la plus formatrice pour de jeunes enfants.
Si l’on en juge par ce qu’en dit elle-même Pauline Kergomard, le bilan de cette orientation et de ces luttes persistantes n’a pas été pleinement satisfaisant, signe de difficultés récurrentes qui peuvent encore se poser aujourd’hui . « C’est là la grande faille de notre éducation maternelle : on y confond le développement intellectuel avec l’instruction ».
Eh bien, on n’en a pas fini avec cette confusion entre »développement intellectuel’‘ et »instruction » si l’on en juge par nombre des préconisations de Jean-Michel Blanquer. On risque même d’en finir avec l’école maternelle elle-même.
Dans le journal »La Croix » du 29 mai, Jean-Michel Blanquer explique ces textes réglementaires nouveaux: « cette circulaire et les documents qui l’accompagnent détaillent ce que chaque élève doit acquérir pour mieux préparer encore l’entrée au CP. Pour enrichir leur vocabulaire et donc faciliter l’apprentissage de la lecture, il faut travailler sur les familles de mots, les synonymes, les antonymes. De même, les élèves doivent pouvoir lire l’écriture chiffrée jusqu’à dix, ordonner les nombres et dire combien il faut ajouter ou soustraire pour obtenir des quantités ne dépassant pas dix«
Au risque de fatiguer le lecteur, j’ai reproduit ci-dessous in extenso (et c’est très long…) les »recommandations » du ‘‘Génie de Grenelle » pour ce qui concerne » l’écriture » (l’un des trois termes du »mantra » que Jean-Michel Blanquer répète ad nauseam: »lire, écrire , compter »).
Mais c’est la même chose pour ce qui concerne les deux autres termes: » lire » et »compter ». Et le mieux est de s’en rendre compte sur pièce, car c’est sans précédent et ahurissant pour un ministre de l’Education nationale qui s’accorde toute légitimité (en vertu de quelles compétences, quelles capacités?) pour faire des recommandations détaillées en déniant de fait l’expertise pédagogique des enseignants de »maternelle » (pardon de »pré-élémentaire »)
‘‘Guider l’apprentissage des gestes graphiques et de l’écriture:
Comme pour apprendre à parler ou à lire, plusieurs années sont nécessaires pour apprendre à écrire et disposer des multiples habiletés permettant de tracer correctement des lettres, notamment en écriture cursive. Cet apprentissage se réalise en parallèle de la construction du sens de l’écrit et de ses liens avec l’oral.
L’écriture est une habileté qui, non maîtrisée, place les élèves en difficulté dès le début du cours préparatoire. Tant que le geste d’écriture n’est pas automatisé, il est difficile pour l’élève de se concentrer sur les autres aspects de l’écriture. C’est la raison pour laquelle, à l’école maternelle, dès que l’élève s’en montre capable, l’apprentissage de l’écriture cursive est encouragé et enseigné. Il convient toutefois de proposer des exercices adaptés à l’âge de l’élève, et de préserver la motivation des élèves qui, à l’école maternelle, aiment généralement écrire.
Les exercices d’écriture se distinguent des exercices de graphisme : les uns portent sur l’apprentissage du tracé des lettres ; les autres permettent d’entraîner une habileté au service de l’écriture cursive ou de réaliser des productions artistiques.
Une compétence complexe, des contraintes fortes
Les exercices graphiques sont un entraînement nécessaire préalable à l’apprentissage du tracé des lettres. Ils permettent principalement le développement des fonctions motrices fines nécessaires à la maîtrise de toute activité grapho-motrice (les dessins, les reproductions de lignes de différentes formes et trajectoires, les formes géométriques, l’écriture en lettres capitales et cursives et l’écriture chiffrée des nombres).
Le contrôle du geste graphique engage la perception visuelle (guidage, prise d’indices visuels) et le contrôle kinesthésique ; il nécessite des capacités d’anticipation ainsi qu’une maturité neuro-motrice et psychologique suffisante. Pour ces raisons, les enseignants sont particulièrement attentifs à la posture des élèves et à la tenue du crayon lors des activités d’entraînement au geste graphique et d’écriture. C’est dès la petite section que se construisent les positions et stratégies adaptées.
L’apprentissage de la reconnaissance et du tracé des lettres s’organise en lien avec les découvertes progressives de la manière dont l’écrit transcrit l’oral. Il convient d’établir systématiquement les liens entre le tracé et le nom des lettres pour que les élèves découvrent et s’approprient les correspondances entre les trois graphies (cursive, script et capitale).
De l’observation des formes graphiques à la découverte des lettres
Dès la petite section, l’élève rencontre des écrits sous différentes graphies, il apprend à les observer. Ces rencontres sont accompagnées et commentées par l’enseignant sans pour autant faire l’objet d’un apprentissage systématique. Par exemple, sur la couverture d’un album, il attire l’attention sur la taille et la forme des lettres. À ce niveau, c’est principalement la correspondance entre les lettres capitales et scriptes qui est abordée.
En fin de moyenne section, les élèves doivent pouvoir faire correspondre visuellement la plupart des lettres de leur prénom, en capitale et en script, et pouvoir les nommer. La correspondance avec les lettres de l’écriture cursive est progressivement introduite.
En grande section, la connaissance de la correspondance entre capitale et script est systématiquement travaillée, des exercices de discrimination visuelle sont quotidiennement proposés. En fin d’année scolaire, la correspondance avec les lettres cursives est acquise pour la plupart des lettres.
L’assimilation des correspondances entre graphies d’une même lettre peut s’appuyer utilement sur la reconnaissance des prénoms des élèves de la classe et selon des procédés susceptibles d’aiguiser leur intérêt. Parallèlement à l’enseignement de l’acte moteur, l’enseignant attire l’attention des élèves sur l’ordre des lettres et sur les conséquences du respect ou non de cet ordre.
L’apprentissage du geste graphique
Ecrire implique des compétences précises. Les gestes approximatifs entretiennent la lenteur et mobilisent une grande partie de l’attention et de l’énergie de l’élève. La composante graphomotrice dans l’activité de l’élève débutant requiert une attention particulière. La séance d’écriture ne peut se limiter à un exercice que l’élève réaliserait en autonomie. Elle doit être guidée, et s’effectuer en petits groupes sous le regard attentif du professeur. Il conçoit la séance d’apprentissage en proposant des tracés modélisants, qu’il effectue sous les yeux des élèves, en commentant son geste et en attirant l’attention des élèves sur les obstacles éventuels.
Dans un premier temps, le professeur encourage une dynamique centrée sur l’action, avec des tracés sur de grands supports. Il habitue l’élève à suivre des yeux son tracé, puis à le réduire et à l’adapter à des contraintes simples. À partir du moment où l’élève prend conscience de sa capacité à influencer et à contrôler sa trace, il la fait évoluer en coordonnant et ajustant ses gestes. Ensuite, on peut proposer à l’élève l’anticipation et l’alignement des tracés, avec un début d’organisation topologique, puis la reprise de tracés réalisés antérieurement. Progressivement, les activités motrices visent le contrôle du geste.
L’entrée dans l’aspect représentatif se caractérise par la maîtrise des directions, des variations de trajectoires, des contournements de plus en plus complexes sollicitant les articulations du coude et du poignet et les muscles de l’index et du pouce. L’élève est invité à s’exprimer sur le contenu de ses productions graphiques. Avec le temps, l’espace de production se réduit, les consignes et les contraintes d’exécution sont plus précises. La verbalisation joue un rôle très important dans le développement du geste moteur. Le professeur dialogue avec l’élève, l’aide à faire des rapprochements entre son geste et ce qu’il perçoit des effets produits.
En grande section, les élèves peinent encore à calibrer leurs lettres, à maîtriser leur geste (tourner, freiner, s’arrêter), à suivre le sens d’un tracé et à se rapprocher de la forme attendue. Au regard des compétences très diverses des élèves, le professeur propose un entraînement différencié et régulier en agissant sur différentes variables (longueur de l’exercice, nature du support, épaisseur des rails du support mis à disposition). L’observation et l’accompagnement par l’enseignant de l’élève à la tâche permettent de répondre précisément à ses besoins. Dès que l’élève s’en montre capable, l’apprentissage de l’écriture cursive est encouragé et enseigné.
Organiser un espace d’écriture dans la classe a de nombreux avantages, notamment de permettre à certains élèves de s’isoler et de s’entraîner, en dehors de la leçon d’écriture, sur des supports variés : papier blanc ligné ou non, fiches effaçables, modèles à repasser. Mais ces activités en autonomie, qui visent un renforcement, ne remplacent pas la séance d’écriture menée par le professeur.
Le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Jean-Michel Blanquer »
Pauline Kergomard, au secours, il est devenu fou! Une folie douce, sans doute de type obsessionnelle avec une pointe de mégalomanie?
Alors, un rappel de Pauline Kergomard au »bon sens » ne devrait pas faire de mal. Dans son livre paru en 1886 ( « L’Education maternelle dans l’Ecole »), elle part de la circulaire du 22 juillet 1882 déjà évoquée: « les directrices d’écoles maternelles devraient se préoccuper beaucoup moins de livrer à l’école primaire des enfants avancés dans leur instruction que des enfants bien préparés à s’instruire. Tous les exercices de l’école maternelle seront réglés d’après ce principe général: ils doivent aider au développement des diverses facultés de l’enfant sans fatigue, sans contrainte, sans excès d’application« .
Et Pauline Kergomard ajoute (page 178): « pour complaire aux parents, on soumet les pauvres petits à un travail prématuré qui paralyse l’essor de leurs facultés, arrête leur développement, tue leur curiosité intellectuelle et les condamne fatalement à une espèce de rachitisme moral et intellectuel« .
Le ministre actuel de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer peut-il entendre cela? Non à la transformation de l’école maternelle en un pré-élémentaire »très primaire »!
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