Les couches populaires et les jeunes se sont plus massivement abstenus que la moyenne. La gauche, bien qu’émiettée, n’a pas déserté leur univers politique.
Dimanche soir, le sursaut participatif a sans doute constitué le seul point ayant fait consensus entre observateurs et responsables politiques. Mais le chiffre global de 50 % de votants masque des différences, en fonction de l’âge et de la classe sociale, plus marquées que jamais. Ainsi, moins d’un tiers des 18-35 ans ont glissé un bulletin dans l’urne, contre plus des deux tiers des électeurs âgés de plus de 65 ans. Le taux de participation s’établit à 41 % pour les classes populaires, 55 % pour les classes moyennes supérieures et 69 % pour les retraités. Lors de l’élection présidentielle de 2017, le différentiel ne dépassait pas 15 % entre les plus « civiques » et les plus abstentionnistes (68 % de participation pour les 18-24 ans, 83 % pour les plus de 65 ans). Dimanche, il a atteint une dimension abyssale : 37 % (Elabe). Selon Harris Interactive, les trois principales raisons invoquées pour expliquer l’abstention sont le manque d’intérêt (28 %), d’utilité (27 %) ou l’expression d’un mécontentement (21 %).
Les catégories populaires, entre retrait et protestation
41 % pour les ouvriers et employés se sont donc déplacés dimanche, contre 76 % lors de l’élection présidentielle. Un recul de 35 points, contre 29 % pour les CSP +. Les catégories populaires ont pesé encore moins dans les urnes dimanche qu’en avril 2017, et toujours beaucoup moins que dans la société.
Le RN arrive en tête des CSP- avec 37 % (Elabe), contre 34 % lors de la présidentielle (Ifop 2017). Son score recule légèrement parmi les employés (27 %, contre 30 %). En revanche, parmi les ouvriers qui ont voté, la moitié ont choisi le parti de Marine Le Pen (39 % à la présidentielle).
27 % des électeurs RN ont voulu exprimer « un vote de protestation » (Harris Interactive). Cet élément n’est pas recoupé avec des données sur le statut « socioprofessionnel » mais on peut parier que ce choix a été plus le fait des CSP- que des professions intermédiaires ou supérieures. Les meilleurs scores du RN obtenus dans les communes rurales ou de moins de 20 000 habitants doivent, de même, être indexés sur les votes des catégories populaires de ces lieux, d’où ont émergé les gilets jaunes. Ipsos a d’ailleurs testé cette corrélation avec le mouvement qui a marqué la vie politique de ces derniers mois : les votants qui se déclarent très proches des gilets jaunes ont voté à 44 % pour l’extrême droite et à 20 % pour la France insoumise.
L’effondrement de la FI est particulièrement constatable parmi les catégories populaires : elle passe de 24 % à 9 %, avec un plus fort recul chez les ouvriers (de 25 % à 7 %) que chez les employés (de 24 % à 10 %). EELV récupère une partie de ses électeurs, notamment parmi les salariés du secteur public. Si l’on prend en compte les revenus (Ipsos), 38 % des électeurs gagnant moins de 1 200 euros ont voté pour une liste de gauche (12 EELV, 12 FI, 7 Génération.s), 30 % pour le RN et 11 % pour LaREM. Chez les plus défavorisés qui ne s’abstiennent pas, la gauche demeure une référence.
Un « vote jeune » rare mais ancré à gauche
Le taux de participation des plus jeunes électeurs affiche un étiage inquiétant : 32 % pour les 18-24 ans, 30 % pour les 25-34 ans (Elabe). Il se confirme pourtant que ce sont ces classes d’âge qui offrent le meilleur rapport de forces à la gauche. Ceux qui votaient pour la première fois à une élection européenne ont accordé 50 % de leurs suffrages aux différentes listes de gauche, selon Ipsos, ou 45 % selon Elabe. Les données sont beaucoup plus contradictoires concernant les 25-34 ans : la gauche totaliserait 45 % des suffrages, selon le premier institut, mais seulement 31 % selon le second. En tout état de cause, le vote des plus jeunes qui avait permis la percée de Jean-Luc Mélenchon en 2017 a fait, cette fois, le bonheur d’EELV. Avec souvent la même urgence classée prioritaire : l’environnement et le changement climatique. Vincent Tiberj, professeur de sciences politiques à l’IEP Bordeaux, pointe un « abstentionnisme ancré chez des citoyens diplômés, plutôt jeunes et qui sont dans une logique où le vote n’est pas aussi sacralisé que pour les générations précédentes ». « Ils sont ce que j’appelle des électeurs distants, ajoute-t-il. Distants à la politique, parce qu’ils ont les moyens de s’informer et comprendre, et la politique ne les fascine plus comme avant. Ils ne sont pas dans une culture de la déférence à l’égard du système politique. Ceci posé, il s’agit de citoyens mobilisables, dotés d’une pensée politique. » La reconstruction de la gauche passe par la mobilisation des nouveaux citoyens.
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