Gabriel Attal l’a dit, il n’y aura pas d’exception. Le Service national universel (SNU) sera obligatoire et on ne pourra pas se faire exempter.
C’était déjà en soi, à la veille du jour de lancement du SNU, une information de taille. Pour les personnes qui se souviennent du service militaire, on pouvait se faire réformer pour raisons de santé (le fameux P3 et P4) ou parce qu’on avait des idées à défendre –on pouvait devenir objecteur de conscience et donner de son temps autrement, en faisant un service civil par exemple.
À voir la tournure que prend le SNU, cela devrait être prévu. Nombre de citoyen·nes ont été interloqué·es par les images qui ont circulé le 17 juin et ont fait part de leur indignation sur le réseau social dont c’est l’une des principales fonctions, Twitter.
Ce premier aperçu donnait l’impression que, concernant le SNU, la mise en scène compte plus que le fond. Impression renforcée par la durée de l’engagement relativement bref –quatre mois mininum, moins que les six mois de services civiques promus par les associations qui ont lancé l’idée du service civique telles que l’a fait Uni-cité (qui propose par ailleurs d’indemniser les volontaires à hauteur de 580 euros par mois).
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«Mascarade patriotique»
Lors de la présentation de ce nouveau dispositif, Gabriel Attal a tenu à communiquer sur l’heure du lever (7 heures), sur le salut au drapeau (8 heures) ou encore sur la confiscation du téléphone portable. Je suis étonnée qu’il n’ait pas précisé qu’on forcerait les jeunes gens à finir leur assiette, ça aurait été tout à fait dans la tonalité du projet.
En voyant ces ados chanter, droits comme des piquets, je voyais mes enfants. Comme de nombreux parent, je me suis posé la question: «Est-ce que je les verrais faire la même chose? L’uniforme, le salut au drapeau, la Marseillaise, etc.»
Cette mise en scène correspond-elle à l’éducation que je souhaite pour mes enfants? À titre personnel, je répondrai «pas du tout» –comme beaucoup– et je me vois très mal forcer mes enfants s’ils n’ont pas envie d’y aller.
Tout comme je me vois mal soutenir des parents qui forceraient les leurs. Même si, à 16 ans, on est encore un peu jeune pour décider, puis-je le faire à leur place, de la même manière que je leur interdirais un tatouage? Pour moi, y compris dans ce cas, ce serait non.
Alors faut-il «dénoncer le SNU» comme me le soufflait un confrère journaliste, qui parle de «mascarade patriotique»? On l’a vu plus haut nombre d’internautes, anonymes ou non, s’en sont chargé·es sur Twitter, déplorant souvent le coût de l’opération –1,6 milliard d’euros– au regard des urgences éducatives de notre pays ou des manques auxquels doit faire face la protection à l’enfance, qui ne parvient pas toujours, faute de moyens, à gérer les situations extrêmes dont elle est quotidiennement saisie.
On peut débattre du principe et revendiquer les siens, avec ses idées, son histoire propre. Estimer par exemple que le salut au drapeau et les petits polos assortis ne sont en rien des preuves d’amour envers son pays. D’ailleurs, sommes-nous vraiment obligés d’aimer notre pays? Si comme moi vous avez été élevé·es avec Boris Vian («Le Déserteur»), Georges Brassens («La balade des gens qui sont nés quelque part», «La mauvaise réputation») et que vous fredonniez, en maternelle, les paroles d’«Hexagone», de Renaud –qui, pour le paraphraser poliment, chantait sa haine du patriotisme– la réponse sera non.
Cette mise en cause de l’amour du pays est une tradition bien française, qui est aussi une forme d’éducation à l’esprit critique héritée de Voltaire et des lumières, de respect pour la diversité des opinions et l’amour de la liberté.
Sus à la contrainte
Comme tous les parents, je tente de transmettre un certains nombre de valeurs. Rien de bien original: le respect de l’autre, la réflexion et le recul, un certain goût pour la culture et l’ouverture d’esprit. Le patriotisme n’en fait pas partie. C’est mon droit. J’ai théoriquement la liberté de ne pas apprécier les paroles de «La Marseillaise», de ne pas aimer les uniformes et de ne vouloir ni en porter ni que mes enfants s’en affubent, de ne pas vouloir saluer le drapeau.
Même pour les familles françaises auxquelles cela plairait, pourquoi imposer cette contrainte? L’État n’oblige pas les enfants à fréquenter l’école: c’est l’instruction qui est obligatoire. Libre aux personnes qui le souhaitent d’y envoyer leur progéniture et grand bien leur fasse! On peut mettre son enfant dans une école confessionnelle, une école où on salue le drapeau et où chante des hymnes. C’est un droit. La possibilité nous est également offerte de ne pas scolariser nos enfants et d’assurer leur instruction à la maison. Le vote n’est même pas obligatoire. Pourquoi, dès lors, les seules personnes obligées d’entamer une démarche patriotique seraient-elles les jeunes de 16 ans?
Est-ce au moins éducatif? Pour certains parents oui, libre à eux de le penser et d’obliger leurs enfants. Pour moi, c’est non. Je n’aime pas l’autorité, par instinct mais aussi parce que j’ai lu des romans, des essais, parce que rien dans ma culture ne m’en a démontré l’intérêt. Parce que je déteste, aussi, qu’on cherche à me soumettre. Je n’y crois pas en tant que principe éducatif car je respecte un principe simple et élémentaire: ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse et j’ajoute, fût-il un enfant… Je crois aux règles à condition qu’elles soient compréhensibles car c’est de l’entendement que vient l’adhésion.
Au-delà de mon opinion, qui ne vaut que pour moi, des organisations de jeunesses ont manifesté leur peu d’enthousiasme à l’habillage martial du projet.
Parier sur l’intelligence des enfants
Tout ce qui transpire de ce SNU tourne le dos à ce que nous a appris l’éducation depuis plus d’un siècle: penser par soi-même et collaborer. Ce sont les enseignements de l’éducation nouvelle, qui a pris son essor après la Grande guerre en voulant remettre à plat l’éducation en pariant sur l’intelligence des enfants et en tournant le dos au dressage.
La directrice du centre où la journaliste suit cette première journée, Patricia Lammertyn, a vanté un dispositif qui permet d’«agir concrètement pour que chaque jeune trouve du sens dans une société en perte de repères».
Qu’est-ce qu’un repère? Qui a perdu ses repères? Est-ce attesté? Dispose-t-on d’études sur la question? La dernière info que j’ai lu sur les fake news montrait qu’elles étaient plutôt partagées par des gens âgés: formons donc l’ensemble de la population!
Je demande le droit d’objection de conscience parentale: ma conscience, mon éducation, mes valeurs.
Quant à ériger l’esprit critique, un argument mis en avant par les responsables de l’organisation du SNU, je n’arrive pas à comprendre en quoi se mettre au garde à vous constitue un préalable à cet apprentissage. On nous parle de libre arbitre tout en décidant de l’heure du lever d’adolescent·es de 16 ans. On nous parle de responsabilité tout en supprimant les téléphones. Personne ne voit la contradiction?
L‘argument de la mixité sociale est aussi avancé. Nos ministres, qui chantent les vertus du dispositif pourraient agir sur la carte scolaire, lancer des politiques de quotas qui concernerait l’enseignement privé (une mesure appliquée par exemple en Angleterre) ou davantage financer le monde associatif et les clubs de sports qui permettent à des jeunes de tous milieux de se rencontrer.
Je demande le droit d’objection de conscience parentale: ma conscience, mon éducation, mes valeurs. J’ajouterai que je place la liberté au-dessus des nations et des drapeaux. Aux donneurs de leçons, je répondrai que l’histoire nous a montré qu’au moment où il fallait s’engager pour notre pays on pouvait toujours tordre l’idée de patrie, comme le fit Petain qui, tout en l’exaltant dans ses discours, livra des enfants juifs aux Nazis. L’amour de la liberté, de l’égalité et de la fraternité peut prendre bien des chemins, il n’exige pas de mise en scène et préside toujours aux bons choix. Une bien meilleure boussole que le sens de l’obéissance.
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