À l’initiative de la comédienne Éva Darlan, un hommage à la centaine de femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint depuis le début de l’année était organisé mercredi soir sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris. Reportage.
Une atmosphère particulière règne sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris en cette fin d’après-midi de mercredi. Dans la chaleur étouffante de ce mois d’août, l’heure n’est pas aux vacances pour tout le monde, rappellent deux immenses pancartes noires encadrant le portail de l’édifice. Elles portent les noms des 97 victimes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon depuis le début de l’année jusqu’à mercredi dernier. C’est à elles qu’était dédiée la cérémonie initiée par la comédienne Éva Darlan et la maire de Paris, Anne Hidalgo.
Vêtues de blanc, trois cents personnes, essentiellement des femmes, étaient venues rendre hommage à ces « éternelles ». Un des rares hommes présents, avec son écharpe tricolore, Pierre Laurent, sénateur PCF de Paris, se fond dans l’assistance. Moins discret, Olivier Manceron, de l’association Femmes pour le dire, femmes pour agir, tient à bout de bras une pancarte portant l’inscription « Le machisme tue ». Nombre d’associations de défense des femmes sont présentes. Aussi des victimes, comme Laura, pour qui les réseaux sociaux ont été une planche de salut. « J’ai lancé un SOS sur Twitter quand j’ai su que mon conjoint, qui m’a battue pendant cinq ans avant d’essayer de me tuer devant ma fille, avait été remis en liberté, sans que la justice ne m’en informe », raconte-t-elle. Grâce à la solidarité des internautes, la jeune femme a pu échapper à son bourreau, mais elle en appelle à l’État. « Il faut des lieux pour accueillir les femmes en danger. Moi, si je partais, j’étais à la rue. Par ailleurs, un dépôt de plainte, ce n’est pas une protection si la justice ne suit pas », explique-t-elle.
Le discours offfensif d’Éva Darlan n’épargne personne
Dès que la cloche de l’Hôtel de Ville marque la demie de 17 heures, la maire de Paris, accompagnée des élus municipaux et de la comédienne à l’initiative de l’événement, s’avance sur le parvis.
C’est l’actrice rousse aux yeux turquoise qui prend la parole en premier. Son discours est offensif et n’épargne personne. Elle fustige la « mythologie du crime » qui colporte l’idée que « quand un homme tue une femme, c’est toujours par amour », s’en prend à la presse qui a longtemps eu tendance à reléguer ces crimes à la rubrique faits divers et parle encore parfois de féminicides en termes de « crime passionnel » ou de « drame familial ». Sans oublier le cinéma et la télévision où les femmes sont montrées maltraitées, violées et tuées. S’adressant aux diffuseurs, elle lance : « Vous participez aux massacres des femmes ! »
Ses mots sont plus durs encore vis-à-vis des responsables politiques dont elle dénonce l’inaction. « J’espère que vous n’êtes pas tranquille, Monsieur le président, quand vous savez que, par votre négligence et votre désintérêt, une femme meurt aujourd’hui tous les deux jours dans votre pays. » Éva Darlan, elle-même rescapée de violences conjugales, précise que beaucoup d’auteurs de féminicides étaient connus des services de police avant de commettre l’irréparable. « Pourquoi alors ne portaient-ils pas de bracelet électronique ? » interroge celle qui termine son intervention avec une opération arithmétique simple : « Les violences conjugales coûtent 3,6 milliards à l’État. Pour les stopper nous avons besoin de 1 milliard. Et vous refusez d’intervenir ! Vous ne savez donc pas compter ? » interpelle-t-elle.
Quant au Grenelle sur les violences faites aux femmes, annoncé en juin dernier par la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes et qui doit s’ouvrir mardi prochain, Éva Darlan n’y voit rien d’autre « qu’un moyen de repousser le temps de l’action ». Depuis cette annonce, 27 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. « Nous sommes dans un état d’urgence. Pas besoin d’un grand tralala médiatique pour arrêter l’hécatombe, il faut appliquer les lois ! » tempête-t-elle, sous les applaudissements.
Après une minute de silence, l’émotion ne retombe pas
La colère fait place au recueillement lorsque les actrices Aure Atika et Catherine Marchal rejoignent Éva Darlan pour égrener, durant de longues minutes, les noms de 97 femmes assassinées depuis le début de l’année. Outre leur prénom, l’âge des victimes et le mode opératoire, sont précisés d’une voix blanche : « 19 ans, étranglée », « 74 ans, poignardée de 13 coups de couteau », « 46 ans, brûlée vive », « 39 ans, coups de marteau », « 90 ans, tuée par balles », « 31 ans, écrasée par une voiture »… Au fil du décompte, les visages se ferment, certains sont baignés de larmes. À l’issue d’une minute de silence, l’émotion ne retombe pas, avec l’arrivée devant le micro d’un homme portant un tee-shirt blanc floqué du portrait d’une jeune femme. Il s’appelle Lucien Douib. Sa fille Julie a été tuée début mars en Corse par son ex-conjoint. Comme 30 % des victimes, « elle avait tenté de porter plainte, mais on ne l’a pas écoutée », témoigne courageusement ce père dont la voix se brise dans un sanglot. « Je le dis à toutes les femmes, si on refuse d’enregistrer votre plainte au commissariat, asseyez-vous par terre et refusez de quitter les lieux. Si ma fille l’avait fait, elle serait peut-être encore là », parvient-il à articuler avant d’être ovationné.
Le visage grave, la maire de Paris s’avance pour affirmer son engagement dans la lutte contre les féminicides : « Il s’agit d’un sujet politique, pas d’une question domestique », a-t-elle insisté en soulignant sa volonté que le terme fasse son apparition dans le Code pénal.
La cérémonie s’est achevée en musique
Concernant l’hébergement d’urgence, reconnaissant le manque de places financées par l’État, la maire de Paris a annoncé l’ouverture, le 31 août, porte de Bagnolet, d’un nouveau centre d’accueil de jour pour les jeunes femmes de 15 à 25 ans victimes de violences. Autre piste évoquée par Anne Hidalgo : un accord avec les bailleurs pour que les victimes ne soient pas obligées de renoncer à leur logement social, mais qu’elles en obtiennent très rapidement un autre en leur nom propre tandis que l’homme violent serait contraint de quitter l’ancien appartement commun. Une proposition saluée par des femmes de l’assistance qui appellent de leurs vœux « le temps de l’action ».
Il était venu en tout cas pour trois Femen, vêtues de noir, qui ont enjambé prestement le parapet pour grimper sur la scène aux côtés de l’édile en portant des pancartes mettant en cause les ministres de la Justice, Nicole Belloubet, et de l’Intérieur, Christophe Castaner, ainsi qu’Emmanuel Macron. Au cri de « nous voulons 1 milliard ! », elles ont interrompu Anne Hidalgo, qui, fair-play, les a laissé s’exprimer avant de leur lancer « c’est toutes ensemble qu’on l’aura, ce milliard ! ».
La cérémonie s’est achevée en musique. Un chœur de jeunes femmes, en jean et tee-shirts blancs, a entonné l’Hymne des femmes, dont le refrain a été repris par la foule, poing tendu vers le ciel. Un beau message d’espoir. Tempéré aussitôt par l’annonce, jeudi matin, de deux nouvelles victimes de féminicide.
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