Face à la pénurie d’enseignant·es, l’Éducation nationale a de plus en plus recours aux contractuel·les. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il prend cette fois une nouvelle tournure.
Ces embauches de profs contractuel·les sont en plein essor, d’après les derniers bilans du ministère de l’Éducation nationale. Leurs effectifs progressent en moyenne de 2,7 % par an depuis 2010-2011. Entre les années scolaires 2016-2017 et 2017-2018, ils ont bondi de 11,8 %, alors que le nombre de titulaires n’a évolué que de 0,5 %.
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Cette hausse se concentre surtout sur les collèges et les lycées. En 2008, on comptait 2.730 enseignant·es non titulaires dans le premier degré, un nombre resté stable jusqu’en 2016, où il monte à 3.110, puis à 4.092 en 2017. Dans le second degré, on passe de 24.282 non titulaires en 2008 à 33.668 en 2011, un chiffre qui s’est globalement maintenu jusqu’en 2016 (36.201) et 2017 (39.791).
S’agit-il d’un phénomène potentiellement explosif pour l’Éducation nationale? D’aucuns n’hésitent pas à aller dans ce sens en y voyant une possibilité d’«aggiornamento» de l’Éducation nationale, les uns la souhaitant, les autres la dénonçant en pleine période de mise en œuvre de la loi de transformation de la fonction publique.
Précédents historiques
Si cette intensification du recours aux contractuels est sensible, il faut prendre conscience qu’elle n’est pas sans précédent historique. Dans les années 1950 (à partir de 1955 plus précisément), les postes créés en réponse à la vague démographique ont été couverts par des remplaçant·es, à raison de plus de 10.000 chaque année.
Les instituteurs et institutrices étaient alors formées dans les écoles normales primaires. Entre 1951 et 1964, on peut estimer qu’environ 70.000 normalien·nes ont été recruté·es, contre environ 90.000 de profils venus d’autres horizons: la voie «a-normale» l’a donc emporté sur la voie «normale» de recrutement.
Cela a sans doute eu des conséquences sur l’unité pédagogique et idéologique de ce corps enseignant, mais cela n’a pas débouché pour autant sur une remise en cause du statut de fonctionnaire d’État accordé aux instituteurs et institutrices depuis 1889.
Pas de remise en cause de principe non plus dans le second degré, où à la même période s’ajoutent d’autres défis, avec la création des collèges d’enseignement secondaire (CES) en 1965, suivie de la prolongation effective de la scolarité obligatoire de 14 ans jusqu’à 16 ans.
Les non titulaires sont alors en croissance régulière et représentent entre 15 % et 20 % des effectifs. Dans les lycées, leur proportion se stabilise à ce niveau, tandis qu’en 1967, on atteint jusqu’à 60 % de non titulaires parmi les profs de collège.
En 1975-1976, sous l’effet d’un recrutement par concours plus massif, et surtout en raison de plans de résorption de l’auxiliariat, le taux de non titulaires revient à 11 % pour les collèges et 7,5 % pour les lycées.
La part de contractuel·les descend à moins de 5 % durant le début des années 1980, avant de repartir à la hausse (importante, mais moindre que dans les années 1960) dans le cadre de la mise en œuvre progressive de l’ambition de «80 % des élèves au niveau bac en l’an 2000».
Là encore, pas de problématique apparente concernant le nombre et la place des non titulaires, ni de discours sur de nécessaires modifications quant au statut «normal» de fonctionnaire d’État pour les profs.
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Enjeux politiques
Trente et quelques années plus tard, le discours est tout autre et les questions de statut se retrouvent sous les feux des projecteurs.
En 2018, en ouverture de sa présentation du rapport sur le statut des enseignant·es, Sophie Moati, présidente de chambre à la Cour des comptes, déclare ainsi que «le mode de gestion des personnels [de l’Éducation nationale] pousse à l’extension continue des contractuels. C’est une tendance lourde pour accroître leur nombre, car il n’y a pas d’assouplissement de la gestion des enseignants».
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Le 13 mai 2019, un an plus tard et dans un cadre plus large, celui de la fonction publique tout entière (où l’Éducation nationale figure pour la moitié des fonctionnaires d’État), le secrétaire d’État Olivier Dussopt présente ainsi la loi de transformation de la fonction publique devant l’Assemblée nationale: «Le projet de loi opère une profonde modernisation de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique […]. Le deuxième pilier du projet de loi vise à développer les leviers managériaux pour une action publique plus efficace, avec comme premier objectif –peut-être l’une des mesures les plus emblématiques de ce texte–, l’ouverture accrue du recours aux contrats.»
Le projet de loi est ainsi résumé par Olivier Marleix (LR): «Votre texte se limite à deux évolutions: faciliter le recours au contrat et vider de leur contenu les CAP.»
Pour Sylvia Pinel (PRG), «en dépit de l’apparente marche arrière du président de la République sur la suppression annoncée de 120.000 postes de fonctionnaires, nous ne sommes pas dupes: le texte définit de fait le cadre d’une réduction des effectifs de fonctionnaires à plus ou moins brève échéance».
Le 5 septembre, sur le portail de la fonction publique, Olivier Dussopt a annoncé que les «modalités de mise en œuvre de la loi du 6 août 2019 de transformation publique se précisent». À suivre.
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