Frédéric Grimaud « Il y a une perte de sens du travail enseignant » + communiqué SNUIPP-FSU + La lettre

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Spécialiste de la souffrance au travail, Frédéric Grimaud déplore l’impact des nouveaux modes de management dans l’éducation nationale.

Frédéric Grimaud.Chercheur à l’université d’Aix-Marseille.

Professeur des écoles, membre de l’Institut de recherche de la FSU et chercheur à l’université d’Aix-Marseille, Frédéric Grimaud travaille sur la souffrance au travail des enseignants. Auteur du Travail contrarié des directeurs d’école, à paraître prochainement aux éditions Syllepse, il décrypte l’impact néfaste des nouvelles formes de management dans l’éducation nationale, notamment sur la santé de ses collègues.

Ce nouveau suicide témoigne une fois de plus du mal-être enseignant. Vous qui travaillez depuis des années sur la question, quel constat dressez-vous ?

Frédéric Grimaud Depuis deux ans, j’ai animé des stages dans 36 départements sur la santé et la souffrance au travail des enseignants. À chaque fois, la salle était pleine et les collègues exprimaient un grand désarroi. Notamment les directrices et directeurs d’école. Ils sont parmi les personnels les plus touchés et exposés. Beaucoup décrivent des situations de surmenage où ils se retrouvent empêtrés dans des logiques administratives chronophages qui leur font perdre le sens de l’activité historique de leur métier. Normalement centrés sur l’animation des équipes et le développement de projets pédagogiques, ils voient aujourd’hui leur fonction souvent réduite à des tâches d’exécutants. L’un de ces directeurs me disait : « Le travail que je fais, un bon secrétaire peut le faire. » Ça en dit long sur le sentiment de dépossession qui les anime et de la souffrance qui peut en découler…

Comme s’exprime cette souffrance ?

Frédéric Grimaud Il y a évidemment – on le voit aujourd’hui – le cas extrême du suicide. Dans ma circonscription, une collègue a d’ailleurs tenté de se donner la mort deux jours après la rentrée. Ce sont souvent les profils les plus investis et reconnus par leurs pairs qui sont les plus susceptibles de passer à l’acte. Mais, attention, ces gestes ultimes, très visibles et médiatisés, ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Au quotidien, les altérations de la santé chez les enseignants et directeurs s’expriment de multiples manières. Cela peut aller de la démotivation profonde au conflit dur avec les collègues, en passant par la dépression et la démission. Bref, il ne faut pas se focaliser sur les seuls cas de suicide pour saisir l’ampleur du phénomène. Toutes ces situations expriment, chacune à leur manière, une profonde souffrance et dressent un tableau inquiétant.

Quelle est la responsabilité de l’éducation nationale dans ce mal-être ?

Frédéric Grimaud Nos travaux mettent en cause les nouvelles techniques de management public apparues depuis la fin des années 1990. La responsabilité de l’administration est d’être la courroie de transmission de ces nouvelles logiques. Jour après jour, elle bombarde les directeurs de tâches éloignées de leur réelle activité en classe. Des tableaux Excel à remplir dans la journée, des formulaires où ils doivent rendre des comptes… Sous pression constante, les directeurs, devenus à leur tour courroie hiérarchique, ont le sentiment de travailler à flux tendu pour une administration jamais satisfaite. Cela crée un profond malaise. Le pire, c’est que cette fameuse « administration », les corps intermédiaires et d’inspection, souffre également de cette situation. Ils sont eux aussi pris entre le marteau et l’enclume. Ils savent qu’ils demandent aux enseignants de faire un travail qui n’a pas de sens dans les classes. On crée un système complètement fou…

Comment y remédier ?

Frédéric Grimaud La volonté du new management est de transformer les salariés en exécutants de tâches prescrites et conçues en dehors de la situation du travail. Cette nouvelle logique dépossède le travailleur de ses outils et du sens même qu’il peut donner à son travail. Il faut donc en priorité redonner aux enseignants leur capacité à agir, les rendre à nouveau concepteurs de leurs tâches. Pour y parvenir, il faut redévelopper des collectifs de travail, favoriser les échanges entre collègues, créer de la dispute professionnelle… En résumé, que l’administration leur fasse réellement confiance !

La politique de Jean-Michel Blanquer accentue-t-elle cette logique de nouveau management ?

Frédéric Grimaud Complètement. Il va même très loin puisqu’il préconise les méthodes de lecture, restreint les animations pédagogiques au « savoir lire-écrire-compter », ne jure que par les neurosciences… En ce moment, les maîtresses de CP et CE1 font passer des évaluations normées – et contestées – à tous les élèves. Elles ne les corrigent pas. Elles les renvoient à un logiciel qui leur retourne les résultats en leur disant ce qu’elles doivent faire dans leur classe ! C’est une dépossession totale du métier. Les syndicats le dénoncent, rappellent ce qui s’est passé à La Poste, à France Télécom, à l’hôpital. Mais pour l’instant, il y a peu de résistance dans le métier et, parfois, ça vire au drame…

Entretien réalisé par Laurent Mouloud

Communiqué du SNUipp-FSU 93 suite au décès de Christine Renon

La mort tragique de notre collègue ne doit pas rester vaine. Le SNUipp-FSU 93 a appris la mort tragique de Christine Renon, directrice d’école de Pantin. A travers une lettre qu’elle a adressée au SNUipp-FSU 93, la collègue nous a fait part de sa souffrance dans l’exercice de ses missions de directrice d’école ; ce qui l’a conduit à ce geste désespéré.

Le SNUipp-FSU 93 a immédiatement alerté le CHSCT départemental et académique. Nous nous sommes mis en relation avec les collègues de l’école et de la ville pour les accompagner au mieux dans ces moments très difficiles…

La mission de direction d’école s’est complexifiée ces dernières années notamment par des injonctions hiérarchiques, parfois contradictoires, de plus en plus déconnectées du travail de terrain et l’alourdissement des tâches dévolues à cette mission.
La désorganisation des nominations des collègues dans les écoles, suite de nouvelles dispositions imposées par le ministère, n’a pas permis une rentrée aussi sereine que veut bien le faire penser le ministre. La solitude de la mission de direction d’école dans les tâches quotidiennes administratives et organisationnelles qui s’accumulent devient, au fil des années insupportable.
Le manque de formation et d’accompagnement pour les directrices et les directeurs d’école lors de la gestion de situations de crise renforce le sentiment de solitude face à des décisions impactant familles, élèves et collègues.

Les directives ministérielles, rectorales et académiques se superposent, sans jamais faire le lien avec les professionnels de terrain pour les mettre en cohérence, en vérifier la faisabilité … Cette marche forcée de réformes rejetées par la profession, via les instances paritaires ministérielles comme académiques ou départementales, contraint de nombreux collègues à mettre en œuvre sous la pression hiérarchique des mesures qui heurtent leur professionnalité, voire qui bafouent leurs valeurs humaines et professionnelles.

Le ministre dans ses communiqués continue néanmoins à parler du bien être des enseignants en restant sourd et aveugle face à leurs conditions de travail sans cesse détériorées.

D’ores et déjà, parallèlement au soutien apporté aux collègues, le SNUipp-FSU 93 va déposer une alerte sociale, auprès de la direction académique sur ce sujet. Cette alerte doit ouvrir des discussions pour que la mort tragique de notre collègue et camarade ne soit pas vaine. Le SNUipp-FSU 93 exige du Ministre, du Recteur, comme du DASEN, des réponses concrètes pour garantir la santé, l’intégrité morale et physique des personnels.

Nous adressons de nouveau nos condoléances à la famille, aux collègues, aux personnels municipaux et aux proches de Christine.


Cliquez sur la lettre pour pouvoir lire la Lettre de Christine Renon

 

 


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