L’École pourra t-elle rester comme avant après le Covid-19 ? Auteur d’un article précurseur au moment de la pandémie du H1N1 en 2009, Alain Bouvier, ancien membre du HCE, rédacteur en chef de la Revue internationale d’éducation de Sèvres, analyse les effets que pourrait avoir le Covid-19 sur l’École. Pour lui, c’est la fin de l’éducation nationale uniforme et un grand pas vers la privatisation.
En 2009, alors qu’on voyait arriver l’épidémie de H1N1 vous aviez annoncé une « décentralisation intégrale » de l’éducation en France. Finalement la pandémie n’a pas répondu aux craintes des contemporains. En 2020, le Covid-19 a déjà réussi à faire fermer toutes les écoles et établissements scolaires. La crise s’annonce durable. Que va-t-elle changer dans l’École ?
Pour la première fois dans l’histoire de l’École, elle va placer les parents, les élèves, les enseignants et tous ceux qui contribuent à l’éducation dans une situation où tout ne se joue pas en classe mais dans un espace ouvert indéfini. Les aides à apporter aux élèves pour leur éducation vont venir de différentes sources et leur coordination sera totalement individualisée. Les parents feront appel à des acteurs différents pour chaque enfant. On est dans une situation totalement neuve pour laquelle on n’est pas préparés.
C’est l’éclatement de l’École ?
La partie formelle de l’École qui reste entre les mains des enseignants est très réduite. Les différences entre les élèves vont devenir considérables selon leur origine. Ceux qui auront un environnement attentif et encourageant seront bien plus favorisés que ceux dont les parents ne croient pas à l’école ou n’ont pas les moyens d’aider leurs enfants.
Quelles cartes restent entre les mains du ministère ?
L’outil principal vient du Cned et je ne sais pas s’il est performant. On va vite le savoir. Les ENT s’avèrent de qualité très inégale et comme ils ont été peu utilisés jusque là, on ignore leur robustesse. Probablement que certains ne tiendront pas le choc.
Le ministère n’a plus qu’une prise partielle sur les choses. A partir du moment où les parents prennent la main sur l’éducation il ne la lâcheront plus. S’ils trouvent que ce que propose telle entreprise ou telle association est bon, ils l’utiliseront. Après la crise, les familles feront du mixte. Mais dès maintenant on va voir les parents dont les enfants sont en classe d’examen organiser des regroupements avec des cours particuliers. D’ici deux mois il n’y aura pas deux élèves en train de faire la même chose.
Cela sera durable ?
Ça ne veut pas dire qu’au retour à des conditions normales les modalités choisies par les familles seront les seules. Mais je ne crois pas qu’après une longue période du type de celle que l’on traverse, on revienne à la situation antérieure. Ce sont des systèmes hybrides qui vont s’implanter selon la capacité d’innovation des équipes enseignantes avec de grosses différences entre établissements.
C’est la fin de l’Éducation nationale ?
Non. C’est la fin d’une éducation nationale uniforme.
C’est le pire scénario possible ?
Il peut y avoir pire ! Je pense que l’État sera toujours soucieux d’accompagner les élèves les plus défavorisés. Mais il pourra progressivement lever le pied sur les autres populations scolaires capables de bénéficier de ressources variées.
C’est une forme de privatisation de l’École ?
On ne va pas privatiser les structures mais l’éducation. Le pilotage va passer au marché. Rappelez-vous le dernier numéro de la Revue de Sèvres sur la privatisation de l’École. On a été abasourdis de sa progression. On aurait pu croire notre pays singulier. Mais non. Il n’y échappe pas.
Qui va piloter les parents ou le marché ?
C’est probablement l’offre qui va faire la loi. Les gens sont devenus des consommateurs. Il sera intéressant de voir, peut-être dans 3 mois, comment on va gérer la sortie de crise. C’est là que l’essentiel se dégagera. On verra alors la qualité des gouvernants.
Propos recueillis par François Jarraud
Revue de Sèvres : L’école peut-elle échapper à sa privatisation ?
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