Le coronavirus prospère et la France est confinée. Il y a cinq jours – un siècle –, le premier tour des municipales s’est tenu et ses résultats ont été entérinés. Fallait-il ou non maintenir l’élection ? On se contentera ici de scruter les chiffres. Première analyse globale d’une consultation que l’on prendra comme une simple photographie.
L’abstention
La pandémie a portée l’abstention à des niveaux inégalés pour ce type d’élection. L’abstention de 2020 surpasse de 20 points celle de 2014. Elle est supérieure à la moyenne nationale dans 6000 communes. La moitié de ces communes les plus abstentionnistes se concentre dans 22 départements. Le zones les plus touchées sont le Nord, l’Est alsacien et lorrain, la zone rhodanienne et alpine, la Normandie, le littoral atlantique et la périphérie francilienne.
Le tableau ci-dessus indique, par département, le nombre de communes où l’abstention est supérieure à la moyenne nationale. La colonne de droite indique, pour chaque département, la part de ces communes par rapport au total des 6 000 communes plus abstentionnistes que la moyenne. Les données se lisent donc ainsi : dans le département de Seine-et-Marne, 201 communes se sont abstenues plus que la moyenne nationale ; elles représentent 3,3 % des 6001 communes qui sont dans le même cas.
Dans 550 communes, le pourcentage d’abstentions est supérieur à 80%. Le tableau ci-dessous indique les villes de plus de 30.000 habitants qui se trouvent dans ce cas.
L’abstention croît avec la taille des communes, de manière plus sensible qu’en 2014.
L’écart de participation entre les grandes villes et les petites communes (25% environ) reflète l’importance du risque épidémique, perçu plus fortement en zone de forte concentration urbaine. À la fin janvier 2020, des sondages situaient l’abstention dans une fourchette allant d’un quart à un tiers des personnes interrogées. Les estimations précédant immédiatement le vote (Ipsos) suggéraient une hausse substantielle, confirmée le 15 mars. Si l’écart entre 2014 et 2017 se situe nationalement à 17,4%, il monte à 22,9% dans les villes de 30.000 à 100.000 habitants et même à 26% dans les plus grandes villes.
Les autres indicateurs de l’abstention sont moins significatifs. Le sondage Ipsos réalisé à la veille du scrutin laissait entrevoir l’image d’une abstention à peu près également répartie dans les différents groupes sociaux et les électorats. Les seuls éléments discriminants restant celui de l’âge et du niveau de revenus, les plus jeunes et les plus pauvres affirmant une propension au vote nettement moindre (30% dans les deux cas).
La distribution des votes
Les données générales disponibles sur le site du ministère de l’Intérieur ne donnent d’indication d’orientation de vote que pour les communes de plus de 3500 habitants (un peu plus de 3000). Pour les autres s’appliquent la règle de l’indétermination des étiquettes [1].
Si l’on prend en compte les données officielles, elles donnent les chiffres globaux suivants :
Dans les totalisations officielles, le nombre des étiquettes non attribuées, des « divers », « divers gauche » et « divers droite » oscille entre la moitié (en 2014) et les deux tiers (en 2020). Pour rendre l’analyse plus lisible, on propose ci-dessous un tableau fictif, en ne retenant que les listes renvoyant à une étiquettes politiques précise. Sur cette base, on a calculé le pourcentage de chacune de ces listes par rapport au total obtenu. On dispose ainsi, non d’un pourcentage réel, mais d’une image approximative des équilibres entre les forces installées.
De nombreuses listes dirigées par des responsables de LREM se trouvent classées dans la rubrique Union du centre, comme c’est le cas à Paris et à Lyon.
Les grandes données du scrutin ont été commentées depuis. Dans des élections que l’on annonçait plus que jamais déterminées avant tout par des enjeux locaux, la prime aux équipes sortantes a fonctionné largement, quelle que soit l’étiquette du maire, surtout dans les communes de taille modeste. Au total, 30.000 communes ont été dotées d’un conseil municipal complet à l’issue du premier tour.
La séquence électorale de 2017 laissait augurer d’une percée de la République en Marche, de la France insoumise et du Rassemblement national, les deux premiers au cœur de la France métropolitaine, le troisième dans les zones plus périphériques où il avait été dominant lors de la présidentielle (au second tour de 2017, Marine Le Pen était en tête dans un peu plus de 9000 communes).
L’ensemble des tableaux, réels ou fictifs, confirme que les « Marcheurs » ont enregistré le camouflet qui leur était promis. Seule ou en alliance, LREM ne s’impose nulle part. Elle est distancée nettement à Paris, balayée à Lyon, surclassée à Marseille ou à Nantes. Sur l’ensemble des villes de plus de 100.000 habitants, le total des listes LREM ou Union du centre n’atteint pas les 9% ! L’électorat macronien de gauche de 2017 s’est éloigné au fil des mois, le discrédit de l’exécutif a entravé toute possibilité de conquête ou de consolidation locale. Quant à l’inflexion à droite du septennat, elle a surtout stimulé… la droite.
Le parti de Marine Le Pen a consolidé ses acquis, mais n’a pas réussi à convertir en implantation locale la dynamique frontiste de la séquence 2017-2020. Elle conforte certes sa présence dans le Midi, le Nord et l’Est, peut remporter Perpignan. Mais elle n’est en tête que dans une poignée de communes de plus de 1000 habitants. Elle ne s’impose ni à Aubagne, ni à Sète, ni à Givors. Une part non négligeable voit dans le RN une formation comme les autres, s’habitue à l’idée qu’elle pourrait très bien arriver au pouvoir. Mais tous ne sont pas prêts pour autant à envisager de confier les clefs de leur ville à un maire frontiste.
Quant à la France insoumise, elle a manifestement pâti de deux données entremêlées. La séquence 2018-2019 a terni l’image d’un Jean-Luc Mélenchon 2017 qui était apparu en 2017 comme le candidat le plus à gauche et le plus crédible. Un discours « populiste » clivant et l’image désastreuse de la perquisition ont altéré dès avant 2020 la dynamique vertueuse de 2017 et le flou des stratégies municipales de cette année n’ont pas arrangé les choses. En second lieu, la FI n’a pas réussi le pari, annoncé dès l’été 2017, de passer du statut de force portée par un enjeu électoral présidentiel à une organisation rassembleuse ancrée dans un territoire. Elle a renoncé la plupart du temps à constituer des listes sous sa tutelle. Dans les grandes villes, là où des listes étaient associées directement à la FI, leur résultat reste modeste, ne passant la barre des 10% qu’à Saint-Denis (18%), Clermont-Ferrand (12,3%) et le 20e arrondissement de Paris (10,4%). Entre 2017 et aujourd’hui, la FI avait peu à peu réduit ses ambitions : le résultat du premier tour confirme que, dans l’immédiat tout au moins, la dynamique n’est plus celle de la présidentielle. L’organisation de J.-L. Mélenchon n’est pas parvenue à se substituer à l’expérience pratique et politique qui fut celle du Parti communiste et de sa sociabilité. Le duel PC-Mélenchon s’était traduit par la victoire écrasante du second en 2017 ; celui de 2020 est sans conteste possible en faveur du PC.
Où en est la gauche ?
L’importance des listes non étiquetées réduit le total de la gauche et de la droite (64% en 2020 contre 90% en 2014). L’écart entre les deux a peu bougé entre 2014 et 2020 (13,4% en 2020, 12,5% en 2014). Mais en proportion, les positions de la gauche se sont affaiblies : en 2014, le score de la gauche équivalait à trois quarts de celui de la droite ; en 2020, il n’est plus que des deux tiers.
Ce n’est que dans la tranche des plus de 100.000 habitants, que la gauche parvient presqu’à rattraper la droite, grâce à la bonne tenue du PS, à l’échec de la REM et, surtout, grâce à la percée des écologistes. Ceux-ci réunissent en effet 10% des suffrages sur les listes qu’ils dirigent, ce qui les situe au quatrième rang général, et au premier rang des forces étiquetées en tant que telles. D’une certaine façon, les Verts profitent à la fois de l’union… et de la désunion de la gauche.
Le rapport des forces à gauche s’est ainsi modifié tout au moins dans ce type d’élection. L’appellation « divers gauche » garde certes sa prépondérance classique, surtout dans les communes de taille modeste, et l’union de la gauche continue de regrouper entre un cinquième et un quart des suffrages qui se portent sur la gauche. Mais, en l’absence de dynamique pleinement unitaire, ce sont les Verts qui tirent le plus grand bénéfice de ce premier tour hors-normes.
Le tableau ci-dessous reprend les données générales, mais en mesure les effets sur l’équilibre général de la gauche. Il se lit de la manière suivante : en 2020, dans les communes de plus de 100.000 habitants, les « divers gauche » ont recueilli 15,4%, ce qui représente 33,2% des suffrages de la gauche.
La gauche dans son ensemble a tiré parti de l’implantation persistante des socialistes dans les tissus locaux et de la dynamique d’un courant écologiste qui, dans la dernière période, a été porté plutôt par la logique de Yannick Jadot. Dans l’immédiat en tout cas, le flanc gauche de la gauche ne se porte pas aussi bien qu’en avril 2017.
Un PCF qui s’en sort plutôt bien
Les élections municipales de 2014 avaient été pour le PCF les plus amères depuis les années 1980. L’avantage annoncé des équipes sortantes, les déboires de l’exécutif et le tassement de la France insoumise laissaient entrevoir une consultation plus favorable. Pour l’instant, le PC semble en passe de réussir son pari.
Sur les 270 communes de plus de 1000 habitants qui étaient administrées par un maire communiste ou apparenté après 2014, 201 ont été regagnées dès le premier tour (dont 69 l’ont été sans liste concurrente face à l’équipe sortante) et 17 seulement n’auront plus de maire PC. Les communistes étaient annoncés battus dans certains fiefs, comme à Ivry : le premier tour a démenti ce pronostic. À Montreuil, Patrice Bessac est réélu brillamment alors qu’il n’avait récolté que 18% au premier tour de l’élection de 2014. Le parti est en position favorable à Bobigny, à Noisy-le-Sec et, surtout, il est en pole position au Havre que la droite lui avait ravi en 1995.
Il est vrai que tout n’est pas pour le mieux. Le PC est devancé par la droite à Aubervilliers, Champigny, Choisy, Villeneuve-Saint-Georges, Valenton, Aubière, Seclin, Firminy, Fontaine et Arles. Il est dans une situation difficile dans une bonne vingtaine de communes. Plus grave, les situations les plus délicates sont concentrées dans la région parisienne, à l’image d’Aubervilliers ou de Saint-Denis.
Mais globalement, les communistes auront montré que si leur influence nationale reste dans ses basses eaux, la force militante localisée et l’expérience municipale constituent un atout dans une phase d’incertitude et de crise. Restera à trouver, tout à la fois, la formule de rassemblement populaire à gauche la plus efficace et la figure moderne de ce qui fut le « communisme municipal », que la vie n’a pas annihilé, mais qu’elle a estompé.
Le sursaut toujours nécessaire
Il est vrai que la remarque ne vaut pas pour les seuls communistes. Le premier tour de cette élection, dans un contexte inédit, n’a pas infirmé les tendances des scrutins précédents. Le surcroît d’abstentions dû à la pandémie ne doit pas faire oublier que la poussée abstentionniste est une tendance majeure qui montre le décalage entre la politique instituée et les attentes d’individus qui se sentent de moins en moins citoyens reconnus. Or ce phénomène est loin d’être nouveau : en 2001 déjà, le cap des 50% d’abstentions était franchi largement à Lille, La Courneuve, Bobigny, Saint-Denis, Gennevilliers ou Vitry. Les listes gagnantes avaient recueilli des scores représentant moins de 10% de la population à Saint-Denis ou à la Courneuve, contre plus de 20% à Neuilly.
Le choc pandémique ne peut être l’arbre qui cache la forêt. De ce point de vue, il faudra encore et toujours réfléchir aux voies d’une novation. La dynamique dite « citoyenne » qui s’exprime désormais, de façon diffuse ou spectaculaire, à certes bousculé le jeu politique et perturbé le ronron partisan trop classique. Mais les listes citoyennes « vraies » et les effets politiques de l’impulsion politique des Gilets jaunes n’ont pas fondamentalement changé la donne, sinon dans quelques cas locaux.
Enfin, les élections municipales, malgré le succès des équipes sortantes, n’a pas annulé l’image d’un éclatement renforcé du paysage politique français. Dans un contexte localisé, des formes éprouvées de rassemblement partisan ou « citoyen » peuvent certes pallier cet éparpillement. Mais il reste préoccupant à l’échelle de la politique nationale. Les adeptes de la REM ont certes mordu la poussière un dimanche d’élections locales et le RN n’a pas obtenu les triomphes escomptés.
Mais le face-à-face du libéralisme autoritaire et de l’illibéralisme de fermeture n’a pas cessé pour autant de structurer les opinions raisonnantes et les émotions. La crise exceptionnelle que nous vivons risque au contraire de le renforcer. Toute relance bien à gauche impliquera le projet d’une autre dynamique humaine, sobre et solidaire, qui n’oppose pas le souci de la protection et l’esprit de l’ouverture et du partage.
Notes
[1] En fait, cette règle ne modifie qu’à la marge la distribution des forces : en 2014, par exemple, le total des « divers gauche » et des « divers droite » s’élevait à un peu plus de 40% des suffrages exprimés.
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