Confinement, travail, santé, les populations sont inégales face au coronavirus. Mais nous sortirons de la crise : il faudra alors rappeler le rôle des services publics et réfléchir à ce qui nous unit ou nous sépare. Point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.
Revenus et patrimoine Conditions de vie Santé
Le coronavirus accentue une partie des inégalités qui existent dans la société française. Il faut s’en inquiéter et prendre les mesures pour amortir le choc. Mais cette crise ne frappe pas que les plus pauvres. Elle peut être l’occasion de réfléchir à de nouvelles solidarités.
Comme toutes les crises, celle du coronavirus frappe d’abord les moins protégés de notre société. Le niveau de vie détermine la surface dont dispose chacun dans son logement et être confinés à cinq dans un deux-pièces n’est pas la même chose que de l’être dans une maison avec jardin. À l’école, les enfants prendront d’autant moins de retard que leurs parents pourront prendre le relais des enseignants.
L’effondrement de l’activité économique fait chuter l’emploi. Une partie de la population en emploi précaire, déjà fragile et inquiète, l’est encore plus aujourd’hui. Le chômage frappe d’abord les peu qualifiés et les salariés en contrat court. L’intérim s’arrête. Les petits indépendants paient très cher le prix de la crise. Il faudra des mois pour se relever du trou d’air actuel.
Les conséquences sanitaires sont de loin les plus lourdes. Certaines professions parmi les plus mal rémunérées de notre pays, comme les aides-soignantes, les livreurs ou les caissières sont les plus exposées à l’épidémie. Les personnes les plus en danger sont celles qui souffrent déjà de maladies chroniques dont on sait qu’elles sont en partie liées aux inégalités sociales. La situation des sans-abri et plus largement de tous ceux qui vivent dans des logements de fortune dans des conditions déjà dramatiques, est préoccupante.
Ne tombons pas pour autant dans le misérabilisme. On peut observer les inégalités sans voir le monde uniquement à travers ce prisme. Une partie des classes moyennes (comme les infirmières) ou des catégories supérieures (comme les médecins) sont aussi confrontées à d’énormes risques. Parmi les salariés exposés, beaucoup bénéficient d’un emploi stable, notamment dans le secteur public. Une partie des jeunes confinés dans de petits logements dans les grandes villes ne sont pas parmi les plus pauvres. Enfin, n’oublions pas que la première des inégalités face à ce virus est celle de l’âge, pas celle du niveau de vie. Les personnes âgées en subissent déjà les plus graves effets.
Ce virus révèle des inégalités face au travail et à la santé qui sont déjà massives. Notre partenaire, la Fondation Abbé Pierre, alerte depuis plusieurs décennies sur le mal-logement sans que des mesures soient prises. Les données de santé montrent de longue date que les classes sociales sont inégales face à l’espérance de vie. Virus ou pas, le travail des caissières et des aides-soignantes, de la France flexible, est déjà particulièrement difficile et leurs salaires, indécents. Depuis 17 ans, l’Observatoire des inégalités met en lumière des inégalités sociales que les médias redécouvrent par période, comme cela a été le cas avec les « gilets jaunes ». Pour tout aussi vite les oublier. C’est justement cela qu’il faut éviter.
Et après ?
Il y aura un « après-coronavirus ». Il faudra alors se rappeler tout ce qui a été dit sur les services publics, la santé, la police ou l’école notamment. Sur la pénibilité du travail des salariés qui combattent le virus et se mettent au service des autres. Comment pourra-t-on par exemple voter une réforme des retraites qui pénalise les salariés comme les caissières dont la pénibilité est mal prise en compte ? Déjà, le président la République a enterré sa promesse de réduire de 50 milliards d’euros (plus de 2 % du PIB) les dépenses publiques et de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires, mesures prévues dans son programme. On peut aussi s’attendre à des changements de cap dans les programmes des candidats à la présidentielle de 2022.
Emmanuel Macron considère que notre pays est « en guerre ». L’expression est exagérée : nous ne combattons personne. Mais les périodes de graves difficultés sont celles qui mettent en évidence l’importance de l’action collective et des solidarités. Confinés ou pas, il faut commencer à réfléchir à cet « après » et faire des propositions.
Il faudra d’abord assurer un niveau de vie minimum à tous. La crise va laisser sur le carreau toute une partie de la population, notamment des jeunes peu qualifiés. Il est grand temps de mettre en place un « revenu minimum unique ». Non pas une allocation universelle servie à tout le monde, mais l’assurance que chacun perçoive un minimum moins indigne que le RSA actuel, qui persiste à être refusé aux 18-25 ans. Nous avions rédigé une proposition dans ce sens avec Noam Leandri, président de l’Observatoire des inégalités (lire notre note sur le sujet), fixant ce revenu au niveau du seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian, soit un peu moins de 900 euros mensuels.
Il faudra se poser la question des services publics. Qui pourra encore parler de « pognon de dingue » au sujet des dépenses de l’État pour les plus pauvres ? Ou ressasser que « la France est championne des dépenses publiques » ? Si l’on n’avait pas grappillé quelques euros d’argent public sur les stocks de masques et réduit le nombre de lits à l’hôpital, l’épidémie n’aurait pas le même impact sur la santé et l’activité du pays. Pour un euro d’impôt économisé, combien de perdus ? De la maladie aux retraites, en passant par la sécurité du quotidien, voulons-nous nous protéger collectivement ou devons-nous compter sur le marché pour le faire ? Plutôt que de supprimer la taxe d’habitation (20 milliards par an), il aurait bien mieux valu investir dans nos écoles, nos hôpitaux, nos transports publics ou nos commissariats. C’est un modèle social de qualité qu’il faut défendre et moderniser.
Déjà, on sait qu’il faudra une montagne d’argent pour financer la prise en charge du chômage partiel et amortir le choc de la crise économique qui va suivre. Cette crise est l’occasion aussi de réfléchir à la manière de moduler l’effort. Par exemple, d’introduire une contribution progressive sur l’ensemble des revenus. Non pas seulement une nouvelle taxe qui cible le 1 % le plus riche comme l’idée en est à la mode à gauche, mais un effort généralisé, dont la part serait croissante en fonction des niveaux de vie.
Au-delà enfin, l’après-coronavirus doit être une occasion de reconstruire de nouvelles solidarités, de mieux répondre aux besoins sociaux. Dans le domaine de la santé, c’est certain, mais il ne faudra pas s’y limiter. On devra se poser la question de la valorisation du travail de ceux qui servent les autres, de la caisse du supermarché à l’hôpital, en passant par les livraisons ou les maisons de retraite. Se demander comment on a pu donner autant d’audience aux discours de haine contre une poignée de boucs-émissaires (les étrangers en particulier). Nous devons fonder l’action publique non sur ce qui nous divise mais sur ce qui nous rassemble, autour d’un effort universellement partagé.
Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités
Photo / © fotofrog
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