Le gouvernement attaque le Code du travail, mais refuse que les riches fassent un effort

Mercredi 25 mars, le gouvernement a adopté en Conseil des ministres pas moins de 25 ordonnances, dont trois bousculent le droit du travail. Celles-ci réforment en profondeur les droits des chômeurs, le temps de travail, les relations entre salariés et employeurs.

Jusqu’à 60 heures de travail par semaine dans certains secteurs. Objectif : permettre aux entreprises qui sont en surchauffe actuellement de pouvoir faire travailler davantage leurs salariés. À l’heure actuelle, un salarié ne doit pas accomplir plus de 44 heures par semaine en moyenne (sur douze semaines consécutives) ; désormais et jusqu’au 31 décembre prochain, ce plafond pourra être rehaussé pour les salariés à 48 heures. Au cours d’une même semaine, il sera même possible d’employer de la main-d’œuvre pendant 60 heures au maximum. En cas de refus, le salarié pourra être licencié.

Cela sera uniquement possible dans certains secteurs, dont l’activité est considérée par le gouvernement comme « essentielle à la nation ou à la continuité de la vie économique ». C’est le cas par exemple « des transports, la logistique, l’agroalimentaire, l’agriculture, l’énergie, les télécommunications », précise au Parisien l’entourage de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. La liste des secteurs concernés sera déterminée par un décret attendu dans les prochains jours.

Travail le dimanche. Dans ces secteurs, les entreprises pourront faire travailler leurs équipes le dimanche si l’activité le nécessite, et ce, jusqu’au 31 décembre 2020. Mais seuls les salariés volontaires seront mobilisables.

Congés payés : dates imposées. L’employeur pourra imposer ou différer des dates de congés de ses salariés pour une période n’excédant par six jours. En revanche, les RTT et jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié pourront être dictés ou modifiées directement par la direction, sans accord collectif.

Les revenus de plus de 250.000 euros par an protégés des efforts supplémentaires

Mais si le gouvernement attaque le Code du travail sans frémir et sans discussion (les ordonnances n’ont pas besoin de l’aval du Parlement), il refuse de demander tout effort aux plus riches. Il a rejeté, ainsi que la majorité La République en marche (LREM) et Les Républicains (LR), une proposition d’augmenter la contribution des contribuables les plus aisés à l’effort commun. Cela s’est déroulé le 20 mars, au Sénat. Le groupe des sénateurs de gauche (« communiste républicain citoyen et écologiste ») a proposé un relèvement de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, instaurée en 1991. Il était proposé que le taux de cette contribution soit porté à 5 % au lieu de 3 % pour les revenus dépassant 250.000 € par an.

Proposition sèchement refusée, ce qui a suscité la colère du sénateur (PC) Fabien Gay : « On a mis une heure de débat pour mettre à bas les acquis sociaux et le Code du travail (…). Et là, on vous propose — pas un amendement révolutionnaire, pas une spoliation — de passer de 3 à 5 %, et on nous dit, “c’est pas le moment, on verra plus tard”. Mais quand ? »

Un amendement visant à rétablir l’ISF (Impôt de solidarité sur la fortune) a aussi été rejeté sans discussion.

Fabien Gay : « On nous dit, “c’est pas le moment, on verra plus tard”. Mais quand ? »

Voici le texte de la discussion au Sénat :

M. le président. — Amendement no 16, présenté par M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Après l’article 1er A, Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 1 du I article 223 sexies du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, le taux : « 3 % » est remplacé par le taux : « 5 % » ;
2° Au troisième alinéa, le taux : « 4 % » est remplacé par le taux : « 8 % ».

M. Pascal Savoldelli. — M. Retailleau (Les Républicains) a la main sur le cœur ; nous proposons, nous, que certains mettent la main à la poche. (Sourires) La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus est un sujet de fond, qui relève du projet de loi de finances. Assez de larmes de crocodile : certains ont les moyens de contribuer. Nous portons cette contribution de 3 % à 5 % pour un revenu fiscal de référence supérieur à 250.000 euros et inférieur ou égal à 500.000 euros, et de 4 % à 8 % pour un revenu fiscal de référence supérieur à 500.000 euros.

Il va falloir trouver les moyens d’un plan de sauvegarde de l’emploi, redonner de la confiance aux Français. On a su trouver 10 milliards d’euros pour les Gilets jaunes, pour répondre à la demande sociale.

Cette mesure ne mettra pas les très hauts revenus sur la paille. Ils n’ont par ailleurs guère eu de difficulté à se confiner, en sautant dans un avion. Dans les beaux quartiers, les volets sont clos !

Faites payer un petit peu plus les plus hauts revenus ; ce sera aussi donner un signe au smicard, à la caissière, à l’aide-soignant, à l’agriculteur…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. — Vous l’avez dit, c’est un sujet récurrent en PLF [projet de loi de finance]. Mais nous débattons ici d’un texte d’extrême urgence, ce n’est pas le lieu d’un débat général sur la fiscalité. Aucun pays n’a choisi, dans les circonstances que nous connaissons, d’augmenter sa fiscalité. Nous aurons ce débat en PLF. Retrait ou avis défavorable.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. — Même avis.

M. Pierre Laurent. — Nous sommes surpris de la désinvolture de vos réponses. Vous ne cessez de dire que chacun doit participer à l’effort mais, à ce jour, les seuls à payer sont les salariés mis en chômage partiel, avec 84 % du Smic ! Pour faire payer les hauts revenus, il faudrait attendre — mais jusqu’à quand ? Les dépenses que nous engageons, il faudra les financer. Il est à parier qu’à ce moment, on fera à nouveau payer les plus modestes… Votre logiciel ne change pas, le pays ne le supportera pas longtemps.
(…)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. — J’entends. Nous aurons besoin d’évoquer à nouveau de nombreux sujets… (Protestations sur les travées du groupe CRCE, où l’on réclame un engagement.) Pour le moment, nous agissons en urgence pour sauver les emplois et les entreprises…

M. Pierre Laurent. — Vous ne vous engagez à rien !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. — Ne refaisons pas le projet de loi de finances.

Mme Laurence Cohen. — On marche sur la tête ! Nous sommes dans une situation exceptionnelle, mais vous refusez de changer de logiciel, sur les mesures fiscales comme sur les moyens des hôpitaux. On voit bien qu’il y a des insuffisances budgétaires criantes, pour l’hôpital notamment. Pourtant, vous persévérez. Ce sont toujours les mêmes qui doivent mettre la main à la poche, sans attendre. Hier, c’est sans attendre que Mme Pénicaud a détricoté ce qu’il restait du Code du travail, au détriment des plus modestes !

Le président de la République s’aperçoit que le système capitaliste n’a pas que des avantages, mais vous balayez nos propositions constructives. Vous ne voulez rien changer…

M. Philippe Dallier. — Vous multipliez le taux par deux, ce n’est pas rien !

Mme Laurence Cohen. — … mais à chaque fois vous nous mettez dans le mur !

M. Fabien Gay. — Ce débat vous met mal à l’aise, madame la ministre. Chacun doit participer à l’effort national, dites-vous. Hier, il n’a fallu qu’une heure pour mettre à bas les acquis sociaux du Code du travail : passage de 35 à 48 heures hebdomadaires, suppression des jours fériés du mois de mai, recul sur les congés payés, travail le dimanche… Et sans le borner dans le temps ! Le revenu fiscal de référence d’un caissier, c’est 15.000 euros. Nous visons, nous, les revenus fiscaux de référence supérieurs à 250.000 euros. Passer de 3 % à 5 % n’a rien d’une spoliation !

M. Philippe Dallier. — Juste une augmentation de 66 % !

M. Fabien Gay. — Pourtant, il faudrait attendre ? Nous devons aller jusqu’au bout du débat.

M. Vincent Capo-Canellas.— Nous sommes dans l’urgence, un virus circule, nos compatriotes nous regardent. Est-ce le moment de reprendre tous les débats du PLF et d’annoncer une augmentation d’impôts ? Il faudra poser la question du financement, à froid. Nous en discuterons plus tard ; votons et avançons ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, LREM et Les Indépendants)

L’amendement no 16 n’est pas adopté.


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