Malgré une chute spectaculaire des émissions d’oxydes d’azote, issues du trafic routier, le territoire est balayé par une pollution aux particules fines. À Strasbourg, à Paris ou en Bretagne, les premiers pics ont été signalés le 28 mars. Le collectif Air Santé Climat demande à l’État de limiter les épandages pour lutter contre le Covid-19, en plein confinement. Des pratiques qui posent aussi la question du mode de production.
Depuis deux semaines, les mesures de l’air voient rouge. Que se passe-t-il ? « Ces pollutions sont classiques à cette période. Ces particules fines sont majoritairement d’origine agricole », explique Thomas Bourdrel, médecin radiologue à Strasbourg et cofondateur du collectif Air Santé Climat.
Des particules qui voyagent sur plusieurs kilomètres
Le printemps, c’est la saison des premières récoltes, mais aussi des épandages : herbicides, pour limiter les « mauvaises » herbes, et surtout engrais, pour fertiliser les sols. « Après un hiver très humide, les travaux des champs sont nécessaires. Avec le beau temps, tous les tracteurs sont de sortie. Ils épandent du lisier, du fumier ou des engrais de synthèse, qui apportent de l’azote pour aider les plantes à pousser », explique Damien Houdebine, paysan boulanger, éleveur ovin dans la Sarthe et secrétaire national de la Confédération paysanne. Le phénomène est connu : lors des épandages, l’ammoniac (NH 3), en passant dans l’atmosphère, se « combine avec d’autres substances comme les oxydes d’azote pour former des particules fines secondaires de nitrate d’ammonium et de sulfate d’ammonium. Ces particules peuvent voyager sur plusieurs kilomètres, d’où les pics de pollution constatés dans les grandes agglomérations », décrypte le médecin.
«Pas question de faire de l’agribashing, mais c’est le pire moment»
Ce qui inquiète le radiologue, ce sont les conséquences sanitaires en pleine épidémie. « Les particules fines fragilisent les muqueuses de notre appareil respiratoire, ce qui fait pénétrer plus facilement les virus au fond des voies aériennes », rappelle-t-il. Avec le collectif Air Santé Climat, composé uniquement de médecins et chercheurs spécialisés sur la pollution de l’air, il a alerté le gouvernement dès le 23 mars. « Nous l’avons fait tôt, pour que l’on puisse agir. Traditionnellement, les épandages durent jusqu’au mois de juin. D’habitude, nous ne soulignons pas particulièrement les pollutions issues de l’agriculture. Mais, cette fois, le trafic routier étant quasi à l’arrêt, elles sont prédominantes. Il n’est pas question de faire de l’agribashing, mais, là, c’est le pire moment », continue-t-il.
Le lien entre pollution de l’air et mortalité du virus
Des études ont déjà fait le lien avec d’autres virus. « Les particules fines nous fragilisent. On sait que, pour la grippe, la rougeole ou la bronchiolite, les formes sont plus sévères dans les régions où les taux de particules fines sont plus importants », reprend le cofondateur d’Air Santé Climat. Durant l’ épidémie de Sras en 2003, les patients contaminés vivant dans des régions moyennement polluées avaient 84 % de risques en plus de mourir que ceux de régions peu polluées. Une étude de l’ université de Harvard publiée le 7 avril pointe le lien entre l’exposition à long terme à la pollution de l’air et la mortalité due au Covid-19. « Une personne qui vit pendant des décennies dans un comté où la pollution de l’air est élevée est 15 % plus susceptible de mourir du Covid-19 qu’une personne qui vit dans une région qui ne compte qu’une seule unité (un microgramme par mètre cube) de moins de pollution », affirment les auteurs de l’étude.
«Les microparticules sont des chevaux de Troie»
Reste la possibilité que le virus voyage dans les particules fines. La Société italienne de médecine environnementale le suggérait dans une étude publiée le 17 mars. « Elle a été descendue en flèche. Mais, pour nous , ce n’est pas un scoop, des bactéries, virus ou spores peuvent être attrapés par les particules fines, tout comme les pesticides ou les métaux lourds. Les microparticules sont des chevaux de Troie qui absorbent tout ce qui traîne dans l’air », continue-t-il… Ce qui ne veut pas dire que le virus trouvé dans les particules fines serait encore infectant.
Lisier ou fumier dégagent beaucoup moins d’ammoniac
Pour toutes ces raisons, les chercheurs demandent à l’État de limiter ces épandages. « Il n’est pas question de les interdire, mais de mettre en place des bonnes pratiques », rappelle Thomas Bourdrel. Il faut dire que tous les épandages ne se valent pas. Les effluents d’élevage, lisier ou fumier dégagent beaucoup moins d’ammoniac que les engrais de synthèse. « C’est aussi une question de choix de système de production, plus ou moins intensif, et de plantes plus ou moins résilientes. Certaines cultures, comme les légumineuses, n’ont pas besoin d’apport azoté et donc d’épandage. On peut aussi décider de faire pâturer les bêtes en prairies, plutôt que de produire du maïs pour nourrir les bêtes », explique Damien Houdebine, selon qui « il faudra poser toutes ces questions après la crise, et amorcer réellement la transition écologique ». Le collectif Air Santé Climat attend toujours une réponse du gouvernement.
Pesticides : à peine créées, les zones de non-traitement sont déjà coulées
La décision est passée inaperçue. Le 31 mars, il a suffi d’un bandeau sur le site du ministère de l’Agriculture : en raison du Covid-19, tous les agriculteurs engagés dans un projet de charte peuvent réduire sans concertation les distances minimales de non-traitement de pesticides entre habitations et cultures. Créées il y a quatre mois, ces zones de non-traitement secouent les campagnes. En clair, depuis le 1er janvier, il s’agissait, pour protéger les riverains, de ne pas épandre de pesticides à 20 mètres des habitations pour les produits les plus dangereux pour la santé, 10 mètres pour les cultures hautes et 5 mètres pour les céréales. Ça, c’est ce que disait le décret du 27 décembre 2019. Un arrêté du même jour prévoyait des possibilités de déroger à ces distances… après concertation et utilisation de matériel adéquat (des systèmes anti-dérives).
Par cette décision du 31 mars, le ministère de l’Agriculture a permis à 25 préfets d’appliquer, sans aucune concertation avec les riverains, une réduction de moitié des distances initiales. « Elles ne permettaient déjà pas de régler le problème de l’exposition chronique aux pesticides, dénonce Thibault Leroux, chargé de mission agriculture à l’association France nature environnement (FNE). Mais là, c’est complètement contre-intuitif. Alors que les riverains sont confinés chez eux, on permet de réduire encore ces distances. » Pour lui, on n’est « clairement pas dans un objectif de protection des riverains ».
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