Covid 19: Adresse au président de La République. Par Patrick Le Hyaric

M. le président de La République,
Vous êtes venu mardi dernier passer quelques heures dans les villes de Pantin et de La Courneuve, au moment même où la Seine-Saint-Denis affrontait une mortalité galopante.
Vous y avez été accueilli de manière républicaine par des maires à la tâche, par le président du Conseil départemental, autant d’élus soucieux de leur population, et par des soignants et responsables d’associations de solidarité.
Je veux d’emblée, Monsieur le président, porter à votre connaissance ce fait étrange que notre département détient la palme du nombre de visites ministérielles. Et qu’une fois les caméras de télévisons éteintes, la solitude reprend toujours ses droits et le malheur son rythme routinier. Lassante habitude d’où germent les colères…

Votre visite risque de ne pas déroger à la règle, car vous êtes venus les mains vides. Or, tous ceux qui ont la Seine-Saint-Denis au cœur savaient qu’elle paierait un tribut plus lourd qu’ailleurs. Non pas qu’ici le virus Covid19 prenne des caractéristiques plus menaçantes, mais pour la simple raison que les fissures creusées par les inégalités lui ouvrent encore plus la porte des immeubles et l’intimité des corps.
Vous avez bien entendu ce cri des soignantes à Pantin qui n’ont ni blouses ni sur-blouses de rechange. Et, que dire du manque de masques partout pour le personnel de santé comme pour les services municipaux. Si vous étiez resté plus longtemps, vous auriez pu voir à quelques kilomètres de là, l’hôpital Avicenne débordant de malades, et en poussant plus loin, l’hôpital Jean Verdier de Bondy que des critères appliqués avec un zèle comptable aussi froid qu’inhumain ont laissé dépérir. Surcharge ici, fermeture là ; catastrophe partout !
Alors que la Seine-Saint-Denis a besoin de tout plus qu’ailleurs, dans le domaine de la santé comme dans tout autre, il y a bien longtemps que l’Etat ne lui apporte plus rien ou presque. Votre Premier ministre l’avait lui-même reconnu lors d’une récente visite.
Ici, les gens sont respectueux de votre fonction, Monsieur le président, mais prenez garde aux silences courtois. N’entendez-vous pas cette colère qui gronde, pour l’heure sourde et rentrée ? Une colère qui redouble face aux deuils, à la multiplication des personnes infectées, à l’absence de réponses concrètes face à cette tragédie collective.
Cette colère vient de loin. Elle s’enracine dans les innombrables alertes que les élus et citoyens de ce département ont fait sonner, en vain. Des parlementaires se sont fait un devoir de le rappeler dans une récente tribune: 37 villes sur les 40 du département sont considérées comme des déserts médicaux et nous y comptons trois fois moins de lits en réanimation que les Hauts-de-Seine !
Les hôpitaux y sont laissés dans un criminel abandon par les autorités de tutelle et les personnels hospitaliers furent parmi les premiers et les plus déterminés à manifester leurs exigences et inquiétudes lors des mouvements sociaux de ces derniers mois et années. Pourquoi ne pas les écouter, Monsieur le président, et changer de cap en conséquence ?
Qu’aurez-vous gagné si, au terme de votre mandat, vous est reprochée une hécatombe précisément parce que la République a quitté, telle une vague en basse mer, ce département où la détresse côtoie l’un des plus grands aéroports mondiaux, et côtoiera bientôt un événement aussi universel et lucratif que les jeux olympiques ?
Ce département qui accueille désormais les sièges de grandes entreprises multinationales à l’endroit même où vous vous trouviez, qu’il s’agisse de Hermes, de BNP-Paribas, d’Orange, de Véolia ou de Channel, bientôt à Aubervilliers. Celui dont on dit qu’il est le plus jeune de France. Mais savez-vous que les jeunes de ce territoire longent ces entreprises et les observent intrigués sans jamais espérer pouvoir un jour y entrer ?
Savez-vous qu’un rendez-vous ne peut être honoré qu’une fois sur deux  lorsque l’on est usager du RER B ? Savez-vous que le tribunal de Bobigny, sous doté, doit répondre à des besoins hors norme ? Savez-vous que pour obtenir la prolongation d’une ligne de métro dans une ville comme Aubervilliers, il a fallu attendre plus de vingt ans ? Savez-vous à quel point les inégalités minent nos écoles, savez-vous la souffrance des enseignants ?
Monsieur le président, en traversant Pantin, vous êtes-vous remémoré le suicide de Christine Renon, directrice d’école ?
Deux-cents de ses collègues vous ont écrit pour vous informer des conditions catastrophiques dans lesquelles ils et elles exercent leur métier pourtant si essentiel à cette si chère et pourtant introuvable égalité républicaine. Et récemment, dix maires de toutes tendances politiques inquiets et relayant l’inquiétude des parents sur les conséquences de la crise sanitaire, ont adressé une lettre à votre ministre de l’éducation lui demandant un moratoire sur les fermetures de classe  ainsi qu‘un plan de relance pour atténuer les effets délétères du confinement dans les quartiers populaires. Entendrez-vous leurs arguments de bon sens pour que la République manifeste son secours en pareille situation ?
Chacun sait désormais que le terreau et les stigmates de la pauvreté, que ce département éprouve si violemment, sont propices à la propagation de l’épidémie et aux complications de la maladie. Et les travailleurs contraints de s’exposer au virus sont précisément celles et ceux qui forment le prolétariat urbain de ce département : cette fameuse « France qui se lève tôt », que nous voyons, basanée, consciencieuse, laborieuse, s’entasser de bon matin dans les transports en communs sans  protection, avec au ventre l’angoisse de ramener à la maison ce maudit virus, et dont vous résumiez il n’y a pas si longtemps l’existence par ce terrible mot : «des gens qui ne sont rien ». Ils sont aujourd’hui, aux yeux de la France entière, ceux auxquels il manque « tout ». Des « damnés de la terre » que l’extrême droite, fidèle à sa haine de classe, accuse de leur propre malheur parce qu’ils n’auraient pas observé les règles du confinement. Imputation aussi diffamante que répugnante !
Le durcissement continu du confinement, nécessaire tant que feront cruellement défaut les moyens de combattre l’épidémie, et les voltes-faces de communication, ne sont que les révélateurs d’une pénurie imputable aux choix et imprévoyances gouvernementales. Les choix produits depuis le début de votre quinquennat et face à l’épidémie vous appartiennent. Vous ne pourrez vous en exonérer, mais vous n’êtes pas seul responsable. Cela fait des années que les gouvernements successifs creusent le boueux sillon des inégalités en appliquant, comme vous, des recettes dont il faut sortir.
Celles du libéralisme des comptables, des recommandations européennes aussi absurdes que les traités austéritaires dont elles se réclament. Voici le moule à briser pour réhabiliter la République sociale.  Ceci fait évidemment débat entre nous. Tant mieux ! Mais menons le au grand jour. Pas de la manière dont vous avez conçu votre prétendu « Grand débat » il y a un an. Non, un débat sur les avantages et les inconvénients du tout libéralisme ou sur la nécessité de le dépasser. Voilà qui serait un bel exercice démocratique au service de l’intérêt général. D’ailleurs,  entre nous vous auriez eu bonne mine si des élus et un millions de citoyens ne vous avait pas bloqué votre projet de privatisation des aéroports alors que l’Etat va devoir les renflouer comme d’ailleurs notre pavillon national aérien !
Non, Monsieur le Président, la Seine-Saint Denis n’est pas un zoo à visiter. Ses élus, ses citoyens ont hurlé dans le désert des années durant sur les béantes inégalités territoriales, et parmi elles l’aggravation des embûches dans l’accès au soin. Personne ici n’oublie que c’est la doxa libérale dont vous vous réclamez qui a conduit à l’étouffement des budgets des municipalités contraintes de choisir entre la construction d’une école et la rénovation de leur centre municipal de santé, quand elles ont un. Ces choix impossibles se paient aujourd’hui en vies humaines, en deuils, en colères.
Ce territoire regorge pourtant de remèdes à la folie destructrice du capitalisme, notamment toutes ces solutions portées par les municipalités progressistes communistes, pour contrebalancer ses effets dévastateurs et protéger les populations sans lesquelles la facture serait de toute évidence bien plus lourde: des services publics nombreux tenus à bouts de bras, des structures associatives fourmillantes, des activités périscolaires exigeantes, une politique du logement volontariste, une forte solidarité. Engager « des actes de rupture », comme vous vous y êtes engagé, devrait commencer par leur porter une considération nouvelle et cesser ce rognage permanent de leurs marges de manœuvre pour satisfaire les exigences comptables des marchés financiers, nus comme des vers face à la pandémie. Vous avez su dénicher 300 milliards pour venir en secours des entreprises et du marché. Nous n’en demandons pas tant pour augmenter immédiatement les aides personnalisées au logement que vous aviez rognées, pour créer un fonds de soutien aux offices publics de l’habitat durement touchés.
Et si vous avez su venir au secours du capital, ayez le courage de venir au secours des locataires rendus insolvables en instaurant un moratoire sur les loyers. Une nation ne saurait déléguer son avenir à un marché aussi vorace qu’imprévoyant. Vous êtes le garant d’une égalité républicaine à construire par des actes courageux, par des politiques publiques qui devront nécessairement affronter les logiques du rouleau compresseur capitaliste.
Nous  y sommes prêts.
Oui, Monsieur le président, nous attendons des actes pour établir l’égalité républicaine à laquelle les habitants de Seine-Saint-Denis ont droit. Ayez, monsieur le président, l’obligeance d’en produire avant d’envisager votre prochaine visite.
Patrick Le Hyaric

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