Entretien. Catherine Hill est épidémiologiste, biostatisticienne et chercheuse émérite à l’Inserm. Elle décrypte le scénario sous-tendu par les annonces d’Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée et alerte sur les risques d’un déconfinement précoce et brutal qui provoquerait une recrudescence de cas de Covid-19.
Chaque jour depuis le début de la pandémie, l’épidémiologiste et biostatisticienne qui avait prêté main-forte à Irène Frachon pour dénoncer le scandale du Mediator compile les données disponibles pour suivre la propagation et les ravages du virus. Elle s’attache aussi à traduire et à décrypter des études et des articles scientifiques du monde entier, à comparer les différents scénarios d’évolution de la pandémie et à identifier les données manquantes comme le taux de personnes asymptomatiques ou le taux de contamination de la population.
Quelle a été votre réaction à l’annonce par le président de la République d’un déconfinement le 11 mai ?
Catherine Hill Je trouve cette date très prématurée. Et ce qui me surprend aussi, c’est qu’Emmanuel Macron semble proposer un déconfinement sans différenciation géographique… Or l’épidémie n’en est pas du tout au même stade en Île-de-France, en Nouvelle-Aquitaine ou dans le Grand-Est. Il faudrait un déconfinement plus tardif et plus réfléchi. Pour affirmer cela, je me base sur une étude sur « l’impact du confinement en Île-de-France et les stratégies pour en sortir », dirigée par Vittoria Colizza. Elle et son équipe segmentent la population en trois groupes : les enfants de 0 à 18 ans, les adultes de 19 à 64 ans et les seniors de plus de 65 ans. Un nombre de contacts moyen est estimé pour chaque classe d’âge. Ce sont des interactions croisées entre ces groupes que dépend l’évolution de l’épidémie. Parmi toutes les hypothèses étudiées, les auteurs de cette étude n’ont même pas envisagé de « libérer » prioritairement les enfants, tant cela semble risqué étant donné le nombre d’interactions qu’un enfant est susceptible d’avoir… Or le président de la République propose de rouvrir les écoles dès le 11 mai. Quand on pense que les enfants sont vraisemblablement le groupe qui compte le plus d’asymptomatiques (sans que l’on puisse le savoir puisqu’on ne les teste pas), cela me semble très dangereux.
Est-ce cela signifie qu’après le 11 mai le taux de contamination va réaugmenter sensiblement ?
Catherine Hill Vraisemblablement. Grâce au confinement, le nombre de contaminations directes en Île-de-France est passé de 3 au début de l’épidémie à 0,7 aujourd’hui. S’il remonte au-dessus de 1, l’épidémie va repartir avec une seconde vague qui risque de submerger le système de santé. Les prévisions en cas de déconfinement massif et brutal convergent vers un besoin de 20 000 places de réanimation rien qu’en Île-de-France et plus de 100 000 en soins intensifs. Malgré les prouesses réalisées par les hôpitaux, on ne les aura jamais…
La stratégie envisagée serait-elle alors l’immunité de groupe ?
Catherine Hill Oui, c’est exactement cela : laisser la maladie se propager jusqu’à ce que deux tiers de la population l’ait contractée et soit donc immunisée. Cela stoppera alors la propagation du virus. Mais, en l’état actuel de nos connaissances, on ne peut absolument pas dire combien de temps cela pourrait prendre et combien de personnes pourraient y perdre la vie, car des paramètres clés nous manquent, notamment la proportion de cas qui restent asymptomatiques et la fraction de la population qui a déjà contracté la maladie.
Quels moyens devraient être mis en œuvre pour obtenir ces données ?
Catherine Hill Contrairement à ce qu’a affirmé le président, il n’est pas très utile de tester les personnes symptomatiques, pour lesquelles un diagnostic clinique suffit le plus souvent. Celles qu’il faut tester en priorité, ce sont leurs contacts. Et il faut penser aussi aux personnes qui ne présentent aucun symptôme et qui risquent de contaminer un maximum de personnes sans le savoir ! Tous les chercheurs s’accordent sur cette idée des tests massifs pour isoler les cas et il faudrait aussi être au clair sur le taux d’immunité de la population. Pour cela, la méthode du sondage sur un échantillon représentatif de quelques milliers de personnes tirées au sort pourrait donner des résultats satisfaisants. Pourquoi ne le fait-on pas ? Pour connaître le taux de personnes asymptomatiques, on pourrait imaginer de tester un échantillon représentatif de la population. À défaut, une autre idée simple à mettre en œuvre serait de tester systématiquement à la maternité les femmes qui accouchent. Cela permettrait de se faire une idée plus précise qu’actuellement.
S’achemine-t-on vers un déconfinement provisoire ?
Catherine Hill Oui ! On n’aura pas le choix. Dès que les hôpitaux seront de nouveaux saturés, il faudra prendre de nouvelles mesures de confinement. Le problème, c’est que cela ne nous est pas ouvertement présenté ainsi. Il faudrait y aller plus progressivement, pour atteindre le plus doucement possible l’immunité collective, ou la possibilité d’avoir accès à un vaccin. En attendant, il faut que l’État nous donne et se donne les moyens d’évaluer correctement l’évolution de la maladie et l’efficacité des mesures prises.
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