Pour l’enseignant et syndicaliste Christophe Cailleaux, la technologie doit rester un outil. Il dénonce une captation des financements publics. Christophe Cailleaux Enseignant, syndicaliste Snes-FSU, codirecteur de l’ouvrage collectif « Critiques de l’école numérique » (L’Échappée, 2019)
En quoi le confinement favorise-t-il l’offre scolaire numérique privée ?
C’est un changement complet des cadres habituels. Si on veut faire semblant de continuer à enseigner, il n’y a pas d’autre choix que ces propositions. Les outils numériques utilisés habituellement n’ont pas résisté à l’usage massif et soudain qui a résulté de la fermeture des établissements. Beaucoup de profs se sont précipités pour utiliser des outils qui, eux, fonctionnent. Les promoteurs de l’EdTech attendaient depuis longtemps la généralisation de l’enseignement numérique, qui ouvre la porte à un grand marché de l’éducation.
Et cela fonctionne ?
Non. L’équipement des établissements ne compte plus : tout repose sur celui des personnels et des familles, qui est très inégal. Ensuite, l’enseignement, c’est une présence humaine, une interaction, du collectif. La technologie est utile si elle reste un outil, une béquille, sinon cela ne fonctionne pas. Mais les hérauts de l’EdTech expliquent que si cela ne fonctionne pas, c’est qu’on n’en fait pas assez, et qu’il faut donc faire plus.
Mais cela peut tout de même constituer une aide pour les élèves ?
Oui et non. Même si on arrive à réduire la fracture matérielle avec des distributions de tablettes ou d’ordinateurs, les usages sont trop disparates, selon que l’on est dans un appartement ou une maison, suivant que les parents sont eux-mêmes enseignants ou pas, leur capital culturel, s’ils sont présents ou au travail. Ces applications numériques ne fonctionnent pas toutes seules. Un élève qui a déjà tous les codes de l’école, une maison pleine de livres, un projet, une motivation, qui est déjà autonome, va pouvoir entrer dans ces apprentissages numériques. Mais les autres ? En classe, la présence du prof, l’entraide, la coopération, le collectif changent la donne.
Ces applis sont souvent gratuites, accessibles à tous…
Ces boîtes ne sont pas des services publics ! Elles sont là pour faire du profit, pas pour rendre un service à ceux qui n’ont rien. Sur Internet, la gratuité totale ou partielle, ça se paie, en captant les données personnelles des utilisateurs, en les exploitant, et en les revendant. En France, l’éducation échappe encore en partie à la logique du marché, mais l’intérêt est de capter ce marché que représentent le million de personnels et les 12 millions d’élèves et leur famille.
Quel rôle joue le ministère dans cette partie ?
Avec l’affaire de l’interdiction du portable à l’école, Jean-Michel Blanquer a fait semblant de jouer les anti-numérique. Mais, en réalité, depuis des années, le ministère est dans l’injonction au numérique. Dans les locaux mêmes du ministère, il y a désormais un incubateur de start-up, le « 110 bis », un lieu où se mélangent indistinctement tous les acteurs du numérique scolaire : profs, élèves, associations, entreprises… Le but est de légitimer l’EdTech, en faisant tomber les barrières entre public et privé, et de permettre aux acteurs de l’EdTech de capter des financements publics. Le ministre lui-même, en annonçant à la rentrée des « états généraux du numérique éducatif », a décidé qu’il s’agirait seulement de « retirer le positif » de cette période. Comme pour l’hôpital public, avec le grand plan annoncé qui pourrait parachever sa destruction, le risque est d’utiliser l’épidémie pour imposer ce qu’ils n’arrivent pas à imposer en temps normal.
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