Retour à l’école : tout ce qu’il reste à régler pour que ça ne tourne pas au fiasco

Le 24 avril, à Paris, une fillette de 7 ans se rend a l'ecole primaire munie de son masque de protection en raison de la pandemie de Covid 19. © Pierre Vassal / Haytham-REA

Le 24 avril, à Paris, une fillette de 7 ans se rend a l’ecole primaire munie de son masque de protection en raison de la pandemie de Covid 19. © Pierre Vassal / Haytham-REA
 

Le gouvernement a maintenu sa volonté de rouvrir les écoles au printemps, malgré l’avis contraire des scientifiques. Et des Français : pour 63 % d’entre eux, la réouverture des établissements scolaires est une « mauvaise décision ». Décryptage des principaux problèmes posés par cette décision.

« Qui a eu cette idée folle un jour de rouvrir l’école ? » C’est ainsi que, paraphrasant le Sacré Charlemagne de France Gall, l’institut Odoxa présentait, la semaine dernière, un sondage dont le principal enseignement était que pour 63 % des Français, la réouverture des établissements scolaires est une « mauvaise décision ». Dans cette enquête réalisée pour le Figaro et France Info, ils sont 82 % à se dire favorables au fait de soumettre ce retour au volontariat – d’ailleurs, 64 % des parents déclarent qu’ils ne renverront pas leurs enfants en classe. Quant aux syndicats d’enseignants, ils oscillent entre refus catégorique de reprendre et pose de conditions, en mode « à prendre ou à laisser ». Voici les principales questions sur lesquelles Édouard Philippe est attendu ce mardi. Pour que le retour à l’école ne vire pas au fiasco pédagogique, sanitaire et politique.

1. Mesures barrières : l’impossible équation

Le ministre de l’Éducation a posé, le 21 avril, les balises de la rentrée « progressive » : d’abord, les grandes sections de maternelle, CP et CM2 ; une semaine plus tard, les 6 es, 3 es, 1 res et terminales ; enfin, le 25 mai, les autres. Tout cela avec un effectif maximal de 15 élèves par classe, voire 10 pour les plus jeunes, afin de permettre le respect des mesures de distanciation et d’hygiène. Or, précisément, ce calendrier ne tient pas compte de l’adaptation de ces mesures à chaque âge. Tous les enseignants le disent, y compris ceux qui ont assuré depuis le 17 mars l’accueil des enfants de soignants : il sera impossible de faire respecter la distanciation aux enfants de maternelle, leur besoin de sécurité affective s’y opposant. Empêcher l’échange de matériel, renoncer aux jeux de balle dans la cour constitueront une gageure. Il sera aussi très compliqué d’éviter que les élèves de tous âges ne se croisent dans des couloirs dont la largeur ne permet pas toujours le respect des distances de sécurité. Quant aux sanitaires, que la FCPE (principale fédération de parents) dénonçait déjà comme un problème majeur bien avant l’épidémie, ils n’ont pas été refaits pendant le confinement. Et ne permettront que dans de très rares cas que tous les élèves se lavent les mains avec la fréquence nécessaire. Reste la question des masques : obligatoires ou pas ? Ils devraient l’être, au moins pour les collèges et lycées. Mais qui en assurera la distribution ? S’il s’agit de masques jetables, comment s’assurer que les quantités nécessaires seront mises à disposition ? Et si ce sont des masques lavables, comment vérifier qu’ils le seront tous les jours ? Autant de questions sans réponses précises, voire sans réponse possible, alors que, du gouvernement aux syndicats, la sécurité sanitaire reste présentée comme une priorité absolue.

2. Quel intérêt pédagogique ?

Tous les enfants ont envie de retourner en classe, ne serait-ce que pour retrouver leurs copains. Pour les plus jeunes, cette resocialisation est d’ailleurs un objectif pédagogique en soi, voire le principal objectif… qui se heurtera, on vient de le voir, à l’interdiction des contacts physiques – alors que pour les plus jeunes, cette nouvelle séparation après deux mois en famille, implique un besoin de réassurance affective. Pour les autres niveaux, l’intérêt de la reprise devrait être avant tout de récupérer les décrocheurs et de permettre aux élèves les plus en difficulté de se remettre à niveau. Mais viendront-ils, si la reprise se fait sur la base du volontariat ? Et sera-ce tout simplement possible, alors qu’il reste au mieux six semaines avant la fin de l’année ? Sur le site spécialisé du Café pédagogique, seuls 15 % des près de 10 000 enseignants ayant répondu à un questionnaire sur le sujet jugeaient que cette reprise aura un intérêt pédagogique. Un verdict sans appel.

3. Professeur : pas à n’importe quel prix

Pour enseigner, même en petits effectifs, il faut des enseignants. Certains d’entre eux, qui présentent un profil à risques face au Covid, ne pourront répondre présent. On estime qu’ils sont environ 10 % du total. Mais c’est là le moindre des soucis côté professeurs. Car les syndicats alignent les raisons de refuser cette reprise. En commençant par la « double journée » qui se profile : faire cours en journée pour les élèves présents, et… le soir, pour ceux qui devront rester à la maison ? C’est niet. « Le cumul présentiel/distantiel est inacceptable », prévient le Snes-FSU, dans le second degré. D’autant que la période qui vient de s’écouler a permis à nombre d’enseignants d’éprouver que l’école à distance ne demande pas moins de travail qu’en classe. Tous jugent cette reprise précipitée et demandent aux minimum plus de temps : pour les équipes pédagogiques, mais aussi avec les familles et, surtout, les collectivités locales. Dans le primaire, le Snuipp-FSU prévient qu’il « n’enverra pas les enseignants au travail si les conditions de sécurité ne sont pas réunies ». Dans le secondaire, le Snes et le Snuep-FSU (lycées professionnels) posent un ultimatum : si, d’ici le 5 mai au plus tard, un « plan garantissant la sécurité et la santé de tous » et applicable partout n’est pas présenté, ils appelleront les enseignants à ne pas reprendre. D’autres, comme FO et le Snalc, refusent tout net la reprise et demandent que le gouvernement suive à la lettre l’avis du Conseil scientifique, en repoussant la rentrée – physique – à septembre.

4. Les collectivités locales au cœur du problème

On ne les entend pas beaucoup, mais elles se retrouvent au cœur du problème : les collectivités locales détiennent nombre des clés pour rendre possible, ou non, la reprise. Communes et agglomérations pour le primaire, département pour les collèges, et région pour le lycée : ce sont elles qui organisent la restauration scolaire, l’entretien et le nettoyage des bâtiments, les transports… Ainsi, quand on évoque la nécessité de désinfecter les salles de classe chaque jour en primaire, voire après chaque heure de cours dans le secondaire, sans parler des sanitaires, des poignées de porte, des couloirs… c’est au personnel territorial que cette tâche incomberait. Une perspective qui fait s’arracher les cheveux aux élus et cadres territoriaux. Idem pour l’éventuelle réouverture des cantines, où la difficulté de respecter les mesures d’hygiène et de distanciation pourrait pousser le gouvernement à décider que les élèves devront apporter leur repas et le prendre… en classe. D’où d’autres problèmes d’hygiène, alimentaire cette fois.

Voir aussi : En Italie, pas de retour en classe avant septembre

Relancer les transports scolaires quand on ignore quels seront les effectifs concernés, les horaires… ne sera pas plus simple. D’autant que, cerise sur le gâteau, ces collectivités pourraient encore être mises à contribution pour « occuper » les élèves qui ne seront pas en cours. À toutes ces demandes et à leurs implications financières, certaines choisiront de faire l’effort de répondre, d’autres non ; d’autres encore ne le pourront tout simplement pas. Et la reprise « à la carte » dessinera alors un paysage scolaire morcelé, inégalitaire, où le cadre national risque de s’estomper encore un peu plus.


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