Les dividendes ou le climat. Pour Greenpeace, demain il faudra choisir

Parce que polluer rapporte gros, Greenpeace demande l’interdiction des dividendes liés aux activités climaticides. L’ONG a lancé sa campagne cette semaine pour obtenir une loi qui oblige les multinationales à appliquer l’accord de Paris sur le climat. Elle s’appuie pour cela sur son rapport publié le 7 mai « Climat : l’argent du chaos. Pour une interdiction des dividendes climaticides » (voir ici). Clément Sénéchal, chargé de campagne politique climatique à Greenpeace, nous explique tout.

Vous lancez une campagne pour faire interdire les « dividendes climaticides ». Pouvez-vous expliquer le lien entre rémunérations versées aux actionnaires et activités néfastes pour le climat ?

Clément Sénéchal. Les entreprises qui polluent le plus sont celles qui rémunèrent le plus leurs actionnaires. Cela veut dire que les marchés financiers ont intérêt à investir leur capital dans des activités climaticides.  Certaines entreprises du CAC 40, Total et les grandes banques en tête, détruisent l’environnement à coups de milliards de tonnes de carbone et rémunèrent leurs actionnaires à coups de milliards d’euros.  En 2018, dix d’entre elles étaient responsables de l’émission de 3,1 milliards de tonnes d’équivalent CO2, tout en ayant versé près de 20 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires. BNP Paribas, qui a le plus lourd bilan carbone du CAC 40  (elle investit sans relâche dans les énergies fossiles ) a versé 3,7 milliards d’euros à ses actionnaires. Total, qui a émis 444 millions de tonnes de CO2, soit une empreinte carbone comparable à celle du territoire national, leur a versé 6,6 milliards d’euros.

Ces multinationales ont fait du dérèglement climatique le moteur de leur développement, sans qu’aucune limite ne leur ait été fixée et sans aucune sanction. L’inaction climatique des dirigeants et des entreprises est criminelle : notre empreinte carbone globale n’a pas diminué depuis 1995, malgré l’urgence et les promesses. Cela parce qu’il y a trop d’argent en jeu derrière les activités polluantes.

Tant qu’il sera permis d’être à la fois « criminel du climat » et « as des dividendes », tant que les actionnaires engrangeront des profits sur le dos du climat, il ne sera pas possible de faire émerger une économie décarbonée. Ce lien toxique agit comme un verrou de la transition écologique. Il est indispensable aujourd’hui de le rompre si nous voulons prévenir de nouvelles crises.

Comment rompre ce lien ?

Clément Sénéchal. Nous proposons de rompre avec ce schéma néolibéral. Il faut contraindre les entreprises à respecter l’Accord de Paris afin d’atteindre la neutralité carbone en 2040. Le gouvernement n’a jusqu’à présent mis en place aucun mécanisme contraignant. Nous demandons que soient posés dans la loi des objectifs annuels, contraignants de réduction de 7% des émissions par an, pour être dans les clous de cet Accord. Si elles ne les respectent pas, elles auront l’interdiction ferme de verser des dividendes à leurs actionnaires. 

« Si on veut décarboner l’économie, il faut décarboner la finance »

Quels outils avez-vous prévu pour mettre en œuvre cette obligation ?

Clément Sénéchal. Nous proposons une grande loi climat avec une autorité administrative indépendante chargée des contrôles et des sanctions, des « commissaires aux comptes carbone »  pour vérifier « l’empreinte carbone dividendes » des entreprises. Mesurer l’effet du capital sur les émissions de GES est l’outil central. Si on veut décarboner l’économie, il faut décarboner la finance. Il est temps de déplacer la focale sur le système de production et sur le capital au lieu de la porter sur la consommation et des pratiques individuelles.

L’argent récupéré auprès des entreprises polluantes pourrait ensuite être redirigé, en guise de réparation, vers des fonds finançant la transition écologique.La mesure est simple, radicale et nécessaire. C’est une manière efficace de détruire l’intérêt des marchés financiers pour les activités climaticides, car, elles ne seraient plus rentables. Privées d’investisseurs, les entreprises n’auront pas d’autres choix que de s’engager réellement dans la transition écologique si indispensable à notre planète.

Comment, et avec qui, comptez vous peser pour obtenir une loi interdisant ces dividendes climaticides ?

Clément Sénéchal. Nous nous appuyons sur le collectif, très prometteur, « Plus jamais ça », avec la CGT, Attac, Les Amis de la Terre et d’autres. Nous travaillerons avec les partis d’opposition, pour trouver un débouché politique,  et nous interpellerons ceux qui sont au pouvoir. Nous invitons les acteurs politiques sérieux sur la question écologique, qui veulent être crédibles, responsables vis-à-vis de l’avenir de la communauté humaine, à transformer cette proposition en loi.

« La relance doit être l’occasion de transformer le contrat social qui lie les multinationales à la collectivité »

Les arguments pour la relance et l’emploi, dans un contexte de grave crise économique, ne risquent-ils pas de fragiliser votre campagne et de faire du climat le grand oublié des jours d’après ?   

Clément Sénéchal. La situation actuelle va clarifier les lignes de fracture. Soit ce sera la stratégie du choc avec une austérité délirante loin des normes environnementales, soit au contraire on rebat les cartes pour mettre notre économie en conformité avec les impératifs écologiques. Sans plus tarder, il s’agit d’organiser la décrue des secteurs fortement émetteurs, engager une restructuration industrielle garante de l’emploi, créer un pôle public des transports.

Il est temps d’en finir avec l’inaction climatique qui a caractérisé la première partie du quinquennat. En ce moment, l’État est en position de force vis-à-vis du secteur privé. Les multinationales viennent frapper au guichet des aides publiques. L’État doit les contraindre à réduire leurs émissions carbone.

La relance doit être l’occasion de transformer le contrat social qui lie les multinationales à la collectivité, d’instaurer un partage de l’effort pour maintenir la hausse des températures à 1,5 °C d’ici à la fin du siècle, sans quoi l’humanité entière court délibérément à sa perte.

Entretien réalisé par Latifa Madani

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