32 heures : et si c’était le moment ?

Le « travailler plus » exigé par le patronat et mis en pratique par l’exécutif a ravivé les revendications syndicales de baisse de la durée du labeur, outil contre le chômage.

Ce devait être une joie. ­Attendu depuis deux mois, le déconfinement débuté lundi dernier et la reprise progressive de l’activité promettaient, si ce n’est de revenir à la normale, du moins le retour au travail et à son corollaire : un salaire complet. La sensation du moment n’est cependant pas que celle-là. « J’ai déjà reçu pas mal de coups de fil de salariées dans des salons de coiffure qui signalaient que leurs employeurs leur demandaient de faire des heures supplémentaires, parfois jusqu’à 22 heures, raconte Nadia Belaïd, référente de branche pour la CGT. Avec certains patrons qui font pression pour que ces femmes se ­débrouillent à trouver un voisin, un parent pour garder leurs enfants. Ils veulent à tout prix rattraper le chiffre d’affaires perdu en faisant déborder les horaires. »

À mille lieues des coups de ciseaux, les conditions de reprise se ressemblent pourtant à l’usine de PSA à Hordain où 400 des 700 salariés avaient repris leur labeur mercredi. « On ne sait pas si les salariés pourront poser trois semaines ou quinze jours cet été, explique Franck Théry, délégué CGT du site. Les collègues veulent savoir. C’est un irritant social. On sent que les accords de compétitivité vont arriver très vite après avec les augmentations de cadence. »

De nombreuses attaques contre le Code du travail

En période de crise, on pourrait s’attendre à ce que priment les craintes d’une baisse des salaires ou de suppression d’emplois sur toutes les autres. Celles-ci sont bien présentes dans l’enquête d’opinion Kantar pour la CFDT, mais en deuxième rideau. Si 79 % des Français prévoient des conséquences de la crise sur leurs entreprises ou administrations, ces derniers désignent en majorité (53 %) l’augmentation du temps de travail comme le premier fléau. Son corollaire, la dégradation des conditions de travail, arrive tout de suite après (49 %).

Est-ce le signe que la nouvelle campagne pour l’allongement de la durée du travail paye ? Remis en route par le gouvernement et le patronat, passée la stupeur de l’irruption du virus et du confinement, ce rouleau écrase tout, y compris le Code du travail. Au prétexte d’un état d’urgence sanitaire qui nécessiterait des mesures d’exception, l’exécutif a, dès l’ordonnance du 25 mars, permis aux entreprises dites « essentielles » de faire travailler leurs salariés jusqu’à 12 heures par jour (contre 10 heures auparavant) et jusqu’à 60 heures par semaine (au lieu de 48 heures), tout en diminuant le temps de repos entre deux jours consécutifs à 9 heures consécutives (au lieu de 11 heures). Feu vert aussi pour le rapt de 10 jours de RTT et de 6 jours ouvrables de congés payés. La fonction publique n’en sort pas indemne. Et l’ordonnance du 22 avril autorise le raccourcissement des délais de consultation des comités sociaux et économiques (CSE) à 8 à 12 jours (contre un à trois mois auparavant) pour examiner l’adaptation de l’organisation du travail. Des dispositions valides jusqu’au… 31 décembre 2020, soit bien après la période de confinement.

Le concours Lépine des idées rétrogrades est lancé

Le patronat a, quant à lui, assuré le bourrage de crâne. Geoffroy Roux de Bézieux, patron du Medef, affirme début avril qu’ « il faudrait bien se poser tôt ou tard la question du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise économique et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire ». Le concours Lépine des idées rétrogrades est lancé. La majorité déterre le projet du candidat Macron de « banque du temps » qui délesterait quelques heures aux plus de 50 ou 55 ans à condition que les plus jeunes triment bien plus que les 35 heures. L’Institut Montaigne envisage des suppressions de jour férié et vacances scolaires pour imposer des journées de travail plus longues. Quant aux Républicains, ils remettent le programme Fillon au goût du jour pour « sortir du carcan des 35 heures », cette fois via des accords d’entreprise ou de branche.

Pas sûr pour autant que le coup de la stratégie du choc, efficace en 2008, opère à nouveau. Les temps ont changé. « La culture du “présentéisme” est très ancienne et bien ancrée en France, concède Vincent Gautheron, du syndicat des cadres de la CGT. Pour autant, avec leurs forfaits jours, les cadres sont déjà entre 42 à 44 heures par semaine en moyenne. Et le confinement a empiré la situation avec le développement du télétravail subi, dans de mauvaises conditions, qui a accru la charge et le temps de travail. La revendication est aujourd’hui forte pour de meilleures conditions de travail, qui passent par une diminution de sa durée et par des embauches. »

La CFDT renvoie à des négociations dans les branches et les entreprises

Côté industrie, l’injonction de travailler plus pour ne pas forcément gagner plus est décodée. « Cette obsession est incohérente économiquement car le marché ne va pas reprendre de sitôt, souligne Fabien Gâche, de la CGT Renault. Elle est mortifère puisqu’elle empire la situation sociale dans l’entreprise et met la santé des salariés en péril, en plus du Covid-19. »

« Alors que le nombre de chômeurs et la précarité vont malheureusement augmenter, il y a une incohérence à demander à ceux qui conserveront leur emploi de travailler plus, relève Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. D’autant que la crise du Covid a mis en lumière de nombreux besoins dans la santé, dans les services publics, tout comme l’obligation de relocaliser. Diminution du temps de travail à 32 heures, embauches et bien-être des ­populations, c’est le sens du progrès. » Si la confédération est la seule – depuis longtemps – à proposer ce nouveau seuil légal, d’autres syndicats posent eux aussi la diminution de la durée du travail comme un enjeu de la relance économique. « Il peut y avoir, dans les entreprises, des accords pour faire face à la situation. Mais toute mesure globale qui augmenterait la durée du travail serait dangereuse et totalement inappropriée aux enjeux à venir », estimait Laurent Berger. La CFDT renvoie le sujet à des négociations dans les entreprises et les branches. La CGT en fait un enjeu national. Pas sûr que le gouvernement, comme le Medef, ait envisagé un tel réveil syndical sur la question.

Stéphane Guérard

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