L’Observatoire national du suicide souligne l’influence du travail et du chômage dans ces comportements et alerte sur les risques liés à la crise sanitaire.
« C e rapport a été rédigé avant la pandémie de Covid-19. Néanmoins, le thème choisi mettant en lien travail, chômage et comportements suicidaires résonne particulièrement avec l’actualité, alors qu’on annonce pour les mois à venir une crise économique et sociale. » Pour Fabrice Lenglart, président délégué de l’Observatoire national du suicide (ONS) et directeur de la Drees (organisme statistique du ministère de la Santé), son étude arrive à point nommé pour anticiper et prévenir les risques que pourrait provoquer la période à venir.
« Le suicide au travail est un phénomène nouveau, explique le sociologue Christian Baudelot, qui a participé à ce 4e rapport de l’ONS, « Suicide : quels liens avec le travail et le chômage ? ». Il est apparu dans les années 1990, notamment chez les salariés de grandes entreprises. Une nouvelle forme de management lié à des plans de restructuration a imposé aux salariés de s’adapter à un nouveau rythme demandant plus d’autonomie, plus de flexibilité, plus d’engagement personnel. » De nouveaux mots ont alors émergé comme « stress », « burn-out » ou « souffrance au travail » révélés par le psychiatre Christophe Dejours. Ainsi qu’un nouveau type de comportement suicidaire, public, argumenté, qui établissait un lien avec les conditions de travail. Le suicide devenait une forme ultime de protestation sociale, à l’image du « suicide vindicatif » découvert par l’ethnologue Bronislaw Malinowski, qui décrivait en 1926, en Nouvelle-Guinée, comment les personnes se hissaient en haut du palmier de la place publique et désignaient du doigt à la communauté le responsable, avant de se lancer dans le vide. « Ceux et celles qui se suicident au travail sont les plus investis dans l’activité professionnelle, en attente d’une reconnaissance, poursuit le sociologue. L’acte est provoqué par un drame de la conscience professionnelle induit par le bouleversement de normes traditionnelles. » Injonctions paradoxales, conflits de valeurs peuvent entraîner le geste, comme l’ont démontré de nombreux témoignages lors du procès contre les dirigeants de France Télécom, en mai 2019. Si agriculteurs et policiers connaissent un taux de suicide important, le milieu médical et les infirmières constituent désormais un « îlot menacé ».
Effets psychotraumatiques des licenciements
Mais le chômage peut aussi être un déclencheur. « Si les pensées suicidaires sérieuses se retrouvent chez 19 % des personnes ayant un travail, cela monte à 30 % chez les chômeurs, alerte le professeur de médecine légale Michel Debout. Il n’est pas contestable de lier risques suicidaires et situation de précarité. » Pour cet expert de l’ONS, les effets psychotraumatiques des licenciements ou des dépôts de bilan sont à la hauteur de ceux entraînés par un attentat ou une agression. Or, « quand on perd son travail, on perd la médecine qui va avec. C’est un paradoxe insupportable. Il n’y a aucune prise en charge psychologique, aucune prévention » .
S’il existe une baisse significative des taux de suicide depuis quarante ans, c’est grâce à la synergie des différents dispositifs mis en place, d’associations très mobilisées et d’un changement de regard sur la maladie mentale. La France, cependant, se situe parmi les pays européens ayant un taux élevé de suicides (13,2 pour 100 000 habitants). Et la crise actuelle et à venir doit renforcer la vigilance des pouvoirs publics. Pour Michel Debout, « il est urgent qu’un comité d’experts se mette en place comme pendant la crise sanitaire, pour faire des préconisations aux pouvoirs publics en termes de santé et de risques psychologiques ».
En savoir plus sur Moissac Au Coeur
Subscribe to get the latest posts sent to your email.