L’Humanité, avec sa plateforme numérique l’Humanite.fr, prend l’initiative de solliciter des contributions pour repenser le monde et inventer des alternatives, avec l’ambition d’être utile à chacune et chacun d’entre nous. Cette démarche sera prolongée par la publication d’un hors-série à la fin de l’été et l’organisation de grands débats publics. Aujourd’hui : « Le combat écologique, une lutte de classe », par le philosophe Jacques Bidet.
La pandémie n’est pas une « catastrophe » qui nous serait tombée dessus. Elle est le signe avant-coureur d’un «désastre» que l’on pouvait anticiper depuis longtemps. Pour se relever d’un désastre, il faut savoir en analyser les causes.
À juste titre, le marxisme l’impute non pas à l’Homme, mais à des mécanismes sociaux définis. Plus précisément, dans cette phase d’accélération pluriséculaire, au « capitalisme ». On nous objectera que le capitalisme, en dépit des horreurs qu’il suscite, est tout de même une chose merveilleuse, qui nous a donné la télévision, le smartphone, l’avion, les médicaments… Qui voudra réellement renoncer au « capitalisme » ?
« Le capitalisme détruit naturellement la nature. »
En réalité, ce n’est pas le « capitalisme » qui nous a apporté le « progrès ». Celui-ci ne tient pas au miracle du « marché », mais tout autant à l’immense capacité d’organisation et de coopération qui s’est développée corrélativement à lui, tant à l’intérieur de l’entreprise, dans l’invention des procès industriels, qu’à l’extérieur, dans l’administration, l’éducation, la recherche, etc. C’est s’aveugler que d’attribuer au « capitalisme » tout ce produit accumulé de la raison sociale commune. Le capital n’est en lui-même rien d’autre que la logique des forces sociales qui se sont emparées du marché. Marx l’a montré : il ne vise à rien d’autre qu’au profit, chaque capitaliste étant condamné à faire plus de profit que le concurrent, sous peine de disparaître. Le capitalisme doit, bien sûr, produire des biens et services, mais ce n’est pas là sa fonction. Il est en lui-même, et plus que jamais dans son pic néolibéral, aveugle à leur usage, à leur effet sur les hommes et sur la nature. Il détruit donc naturellement la nature.
« Cette logique de marché se trouve nécessairement associée à une logique d’organisation, qui vise des biens concrets à produire, et dans laquelle prévaut la “compétence”. Non pas le savoir, mais son contraire, l’autorité (soi-disant) compétente. »
Il reste que cette logique de marché se trouve nécessairement associée à une logique d’organisation, qui vise des biens concrets à produire, et dans laquelle prévaut la « compétence ». Non pas le savoir, mais son contraire, l’autorité (soi-disant) compétente, laquelle a, comme le capital, son propre mécanisme social de reproduction. Il est cet autre acteur social dominant dont la logique productiviste n’est pas de « produire-détruire pour le profit », mais de « produire pour produire », produire des valeurs d’usage. Son règne n’est pas celui de la concurrence, mais de la compétition. Dont le jeu pourtant peut, lui aussi, se révéler « produire-détruire ». Il repose en effet sur un rapport de forces structurellement reproduit qui lui permet, au sommet, une course aux exploits, écologiquement irresponsable, et lui assure, dans sa masse, une part d’exploitation, certes minime comparée à celle que s’adjuge le capital, mais suffisante pour lui fournir l’assise d’un « style de vie », d’un « statut d’élite » qui le distingue du peuple ordinaire. Or c’est par là que se trouve incessamment relancé le mécanisme écologiquement destructeur de la « dépense ostentatoire », qui de proche en proche envahit tout le corps social. Ces deux forces dominantes (dont les sommets se fondent parfois étroitement, comme sous le macronisme) s’associent ou se dissocient selon la puissance de la force d’en bas, celle du commun du peuple, selon sa capacité à attirer et à hégémoniser une part de cette dite « élite » pour neutraliser le capital.
« Ce ne sont pas les désirs qu’il faut châtier : ce sont les besoins vrais, écologiquement soutenables, qu’il faut définir. Et cela n’est possible qu’à partir de la force d’en bas, celle du commun du peuple. »
Ce sont donc les mécanismes de domination-exploitation, et eux seuls, qui détruisent la nature. Et l’on doit en conclure que la lutte d’émancipation sociale et la lutte écologique sont une seule et même chose. Tout recul infligé à l’avidité du capital (35 heures de travail jusqu’à 60 ans, ça suffit !) ou du pouvoir élitaire (mêmes écoles pour tous !) est une victoire écologique sur des forces destructrices. Le « consumérisme » est donc à traiter à partir de ce (double) « productivisme ». Et non l’inverse. Le capitalisme enchaîne nos désirs. Pour relancer la machine (aveugle) à profit, il suscite sans cesse de nouveaux objets qui aiguiseront à nouveau les désirs d’ostentation. Mais ce ne sont pas les désirs qu’il faut châtier : ce sont les besoins vrais, écologiquement soutenables, qu’il faut définir. Et cela n’est possible qu’à partir de la force d’en bas, celle du commun du peuple, dépourvu des privilèges et des intérêts de la propriété capitaliste et de la nomenclature élitaire. C’est cette « classe fondamentale » qui seule porte en elle la capacité écologique : celle d’engager des politiques de sobriété et d’égalité qui fassent reculer tout à la fois l’infinitude mortifère du capital et la démesure de la (soi-disant) élite. Le combat écologique, c’est d’abord une lutte de classe.
« Les États-nations modernes n’existent comme tels que du fait de l’appropriation de territoires par des communautés définies. Inégaux en puissance, ils sont poussés à la conquête par les forces qui les dominent, détruisant ce qu’ils s’approprient. »
De même en va-t-il aussi pour les rapports de genre. Les luttes féministes, tournées vers l’égalité civique et économique, qui tendent à abaisser, en même temps que le pouvoir mâle, le pouvoir hiérarchique dont il est le premier échelon, et l’exploitation capitaliste dont il est l’ultime charnière, sont par essence des luttes écologiques. Les femmes s’y trouvent promues gardiennes de la vie en même temps que des lieux de vie.
Quant au troisième terme du fameux triptyque, « classe-genre-… », appelons-le « colonialité », dont le racisme est un sous-produit. La colonialité caractérise le Système-monde moderne, son impérialisme constitutif. Les États-nations modernes n’existent comme tels que du fait de l’appropriation de territoires par des communautés définies. Inégaux en puissance, ils sont poussés à la conquête par les forces qui les dominent, détruisant ce qu’ils s’approprient. La guerre aujourd’hui portée par le complexe militaro-industriel en est la forme achevée. C’est le « produire-détruire pour conquérir ». Intimement mêlé au capitalisme, il ne lui est pas réductible.
Le combat écologique, qui sera notre demain politique, tient tout entier dans ce triptyque des luttes d’émancipation : classe-genre-colonialité.
Mercredi 8 juillet, dans l’Humanité, et dès mardi sur l’Humanite.fr :
« Pour l’hôpital public », par Alain Bruneel, député PCF du Nord
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