Évasion fiscale : 300 milliards, le plus grand hold-up d’argent public de notre époque

Les données fiscales des multinationales, publiées par l’OCDE, mettent en lumière une perte annuelle dépassant les 300 milliards d’euros pour les États en impôt sur les sociétés, et la responsabilité des paradis fiscaux de l’Union européenne, Pays-Bas en tête.

La transparence a du bon. Depuis bientôt trois ans, les 4 000 multinationales des pays membres de l’OCDE, dont le chiffre d’affaires dépasse les 700 millions d’euros, doivent remettre à l’administration fiscale de leur État d’origine un rapport (reporting) sur leurs implantations, effectifs, revenus et activités pays par pays. Seules 15 ont été totalement transparentes, permettant toutefois de suivre à la trace plus de 400 milliards d’euros de bénéfices. Le Tax Justice Network s’est plongé dans ce monceau de données et a pu retracer le voyage des milliards des multinationales.

Selon leur extrapolation, pas moins de 1 150 milliards d’euros de bénéfices transitent ainsi chaque année par les paradis fiscaux. La perte nette en impôt sur les sociétés dépasse les 300 milliards d’euros. Sans parler évidemment du manque à gagner fiscal sur les autres types de revenus, comme sur la propriété intellectuelle (royalties). « C’est le plus grand et le plus long hold-up d’argent public de notre époque, mais la bonne nouvelle est que nous avons maintenant l’un des meilleurs systèmes d’alarme en place – il faut juste que les gouvernements l’allument », a déclaré Alex Cobham, directeur général du Tax Justice Network.

De faibles gains pour des pertes colossales

Ces données démontrent aussi très clairement à quel point les « listes noires » établies par l’UE ou l’OCDE elle-même sont de vastes blagues, puisque les pays qui y figurent ne représentent que 7 % de l’évasion fiscale des multinationales. À l’inverse, le Royaume-Uni, la Suisse, le Luxembourg et les Pays-Bas sont ensemble responsables de 72 % des pertes en impôt sur les sociétés subies dans le monde. Aucun d’entre eux n’est pourtant considéré officiellement comme un paradis fiscal, au mieux certains figurent sur une « liste grise ». Tous, à l’exception du Luxembourg, rechignent à transmettre les données de reporting. Le Royaume-Uni, pourtant membre de l’OCDE, n’a autorisé la publication d’aucune information.

Plus grave encore, le suivi précis des sommes a permis de mettre en lumière les faibles gains pour les paradis fiscaux, rapportés aux pertes colossales pour les autres États. En moyenne, pour chaque euro d’impôt gagné par les paradis fiscaux sur les bénéfices des multinationales, le reste du monde subit un manque à gagner de 6 euros. Et cela masque beaucoup de disparités. Ainsi, sur les 400 milliards d’euros de bénéfices dont tout le parcours est détaillé, près du quart est allé aux Pays-Bas, faisant de ce pays, cofondateur de l’Union européenne, le plus grand paradis fiscal pour les multinationales. Mais, ce qui rapporte au royaume néerlandais 3 milliards d’euros par an, représente un manque à gagner pour ses voisins de plus de 20 milliards. La palme revient aux îles Vierges britanniques où, pour chaque euro d’impôt sur les sociétés qui y est perçu, le reste monde en perd 314 ! Ce ratio est de 1 pour 24 aux Bermudes, 1 pour 20 aux Luxembourg et 1 pour 112 aux îles Caïmans…

Concurrence mortifère

Ces données se retrouvent sur les bilans fiscaux des pays. Ainsi, l’Irlande est devenue dépendante des multinationales étrangères, qui comptent pour 65 % de ses recettes de l’impôt sur les sociétés. C’est 46 % au Luxembourg et près de 5 % en France. Cette course à l’optimisation fiscale entretient la mortifère concurrence fiscale entre États et pénalise grandement les pays en développement, qui ont pourtant un besoin impérieux de ces recettes fiscales. « L’ironie de l’OCDE – le club des pays riches –, qui publie des données montrant les abus fiscaux des plus grandes multinationales de ses membres, ne devrait échapper à personne (…) alors que ce sont les pays non membres du Sud global et leurs citoyens qui en subissent les pires effets », a déploré Dereje Alemayehu, coordinateur exécutif de l’Alliance mondiale pour la justice fiscale. « Ces données confirment l’ampleur du déplacement des profits des multinationales et le coût pour les recettes publiques, a réagi de son côté Rosa Pavanelli, secrétaire générale de l’Internationale des services publics. C’est un facteur qui contribue directement au sous-financement choquant de nos services publics que la pandémie de Covid-19 a pleinement mis en évidence. »


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