Collectivités locales. La « différenciation », une attaque contre l’égalité territoriale… Report des Régionales?

Le 13 juillet à Matignon, le premier ministre, Jean Castex, et Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion territoriale, en visioconférence avec les acteurs du projet de loi organique sur le droit à la « différenciation ». Raphaël Lafargue /Abaca

Le 13 juillet à Matignon, le premier ministre, Jean Castex, et Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion territoriale, en visioconférence avec les acteurs du projet de loi organique sur le droit à la « différenciation ». Raphaël Lafargue /Abaca
Jeudi, 30 Juillet, 2020

Chaque collectivité serait en mesure d’exercer des compétences spécifiques, selon le projet de loi présenté mercredi en Conseil des ministres. Le gouvernement prône une logique ultralibérale, nuisible aux territoires les plus fragiles.

C’est au beau milieu de l’été que le gouvernement a décidé de dévoiler une réforme systémique. Le projet de loi organique sur le droit à la « différenciation », présenté mercredi en Conseil des ministres, est un véritable chamboule-tout pour les collectivités locales, déjà mises à rude épreuve par le coronavirus. En réponse, le gouvernement a lancé un gigantesque chantier : l’assouplissement du principe d’expérimentation. Autrement dit, les collectivités pourront exercer une même compétence de façon différente de leurs voisines. « Il s’agit tout simplement de mieux adapter les politiques publiques aux réalités du territoire », a fait valoir Jacqueline Gourault, la ministre des Relations avec les collectivités, en charge du dossier. En réalité, ce projet ultralibéral marque une étape décisive dans l’émiettement territorial.

Le droit à la différenciation présente des risques majeurs. Officiellement, le but est de donner aux collectivités locales « plus de libertés et de responsabilités », avec la possibilité « d’adapter l’action publique aux réalités locales ». Comme l’explique Benjamin Morel, maître de conférences en droit public (voir entretien p. 4), « l’égalité de chacun devant la loi ne sera plus acquise, puisque la loi sera susceptible d’être modulée à la frontière de chaque commune ». Une rupture fondamentale qui ouvre « la porte aux régionalismes, aux inégalités territoriales (…), au dumping social et environnemental, et transformera la République en une République 2.0 à géométrie variable », lancent les sénateurs communistes, dénonçant une « évolution fédéraliste de (notre) République ».

En dépit des dangers pour la cohésion du pays, Jacqueline Gourault veut inciter les collectivités à déroger davantage aux règles communes. Jusqu’à présent, celles-ci peuvent conduire leurs propres politiques publiques sur certains sujets, pour un objet et une durée limités. Une partie de ces verrous vont sauter : les mesures prises pourront être poursuivies sans limite de temps. Et une simple délibération sera suffisante pour conduire une politique publique spécifique, quand il fallait auparavant une autorisation par décret.

Plus largement, cette possibilité de fixer ses propres règles pourrait favoriser la mise en concurrence entre les territoires. Aux collectivités les plus aisées d’élargir le champ de leurs compétences aux dépens des autres territoires. Car, si une intercommunalité ou une région veut exercer une nouvelle politique publique, elle doit en avoir les moyens. Alors que la crise sociale liée au coronavirus bat son plein, ce projet de loi creuserait encore les inégalités territoriales et sociales. Loin de répondre aux inquiétudes, Jacqueline Gourault a annoncé que les collectivités qui le souhaitent pourront piloter les questions de logement, de mobilité, la transition écologique ou la cohésion sociale. « Tout n’est pas envisageable pour autant, a-t-elle nuancé. Il y a le régalien, bien sûr. La crise a aussi montré qu’il n’est pas opportun de décentraliser l’emploi. »

Ces annonces vont dans le sens des propositions du Sénat et de Territoires unis, regroupement composé de l’Association des maires de France (AMF), l’Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France, toutes instances dominées par la droite, qui plaident pour « plus de libertés locales pour plus d’efficacité ». « Les départements sont, par exemple, prêts à gérer complètement la médecine scolaire ou les Ehpad, a développé, dans les Échos, Dominique Bussereau, le président (divers droite) du conseil départemental de la Charente-Maritime et de l’ADF. Ils pourraient aussi aller plus loin dans les politiques culturelles et sportives, sans pour autant piquer des compétences aux régions et aux intercommunalités. » Autant de sujets à soumettre aux discussions de la Conférence nationale des territoires, prévue en septembre. Un projet de loi devrait découler de ces échanges, avant d’être présenté en 2021.

Le droit à la différenciation est la pierre angulaire d’un projet de « décentralisation » plus vaste. Le gouvernement compte bientôt défendre sa loi dite 3D (décentralisation, déconcentration, différenciation), visant à donner une marge de manœuvre encore plus grande aux collectivités. Ces dernières pourront, par exemple, gérer « la formation des chômeurs entre les régions et Pôle emploi », « favoriser des expérimentations autour du grand âge », ou piloter le RSA, a indiqué aux Échos la ministre Jacqueline Gourault, encourageant les élus à aller plus loin : « Place à l’imagination des élus ! » En juin, lors de son allocution télévisée, Emmanuel Macron a fixé le cap : « L’organisation de l’État et de notre action doit profondément changer. Tout ne peut pas être décidé si souvent à Paris. » Dans un discours inspiré du Medef, le président de la République a appelé à « libérer la créativité et l’énergie du terrain ». Sans le dire, il concocte un projet destiné à achever la fracture territoriale à l’œuvre depuis des années, au détriment des citoyens.


Vers un report des régionales après la présidentielle

Emmanuel Macron a proposé, en contrepartie de son « nouvel acte de décentralisation », le report en 2022, après le scrutin présidentiel, des élections régionales prévues normalement l’an prochain. Officiellement, il a évoqué la nécessité de mettre sur les rails rapidement la nouvelle organisation territoriale. Cette hypothèse a aussitôt provoqué l’ire des présidents de région, dont Xavier Bertrand, le président (ex-LR) du conseil régional des Hauts-de-France, pour qui le président de la République « n’a pas envie de se prendre une raclée à un an de la présidentielle parce que ça ferait mauvais genre ». Le député communiste des Bouches-du-Rhône Pierre Dharréville s’est élevé contre un projet de calendrier visant à « tout mettre à la remorque de la présidentielle ».


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