Éducation. L’impossible rentrée de monsieur Blanquer

Élèves et enseignants se retrouvent ce mardi matin avec pour premier défi de rattraper les dégâts du confinement. Une situation exceptionnelle, dont le ministre n’a pas pris la mesure, en termes de moyens comme en termes pédagogiques.

Une « rentrée normale », dans une école qui est « prête » et qui doit « maintenir le cap des réformes » : tout va bien pour Jean-Michel Blanquer. Comme si rien ne s’était passé entre le 13 mars et aujourd’hui. Comme si, surtout, l’immobilisme et l’impréparation qu’il a soigneusement organisés allaient permettre à 12 millions d’élèves et 1,2 million de personnels de relever le défi de cette rentrée semblable à aucune autre.

1 Covid : le protocole impossible

Le protocole sanitaire mis à jour le 19 août et assorti depuis de fiches thématiques pour les cantines, le sport ou les récréations réussit un tour de force : être jugé à la fois peu protecteur et inapplicable. Distanciation physique, limitation du « brassage » des élèves, nettoyage et désinfection systématiques… deviennent facultatifs. De toute façon, assurait Jean-Michel Blanquer le 25 août, dans le secondaire, « normalement, les emplois du temps sont conçus pour limiter les croisements d’élèves ». Surréaliste, d’autant que la réforme du lycée voulue par le ministre oblige chaque élève à croiser en quelques jours la totalité des autres élèves du même niveau !

Le port du masque devient obligatoire pour tous les adultes et pour les élèves à partir de 11 ans. Obligatoire mais pas gratuit, ce qui posera problème aux familles les plus fragiles sur le plan économique. Le lavage des mains reste obligatoire… et tout aussi impraticable, quand environ 25 % des écoles ne disposent toujours pas de lavabos en nombre suffisant. Les fiches thématiques sont à l’inverse constituées de préconisations assez fortes : retour au non-brassage des élèves à la cantine et pendant les récrés, où la distanciation doit être « recherchée », respect de la distanciation – sans masque – pendant le sport… Mais, comme il s’agit de recommandations, non d’obligations, et comme elles sont quasi impossibles à mettre en pratique, elles apparaissent pour ce qu’elles sont : un moyen pour le ministre de rejeter les responsabilités sur les directions des établissements et les collectivités locales, en cas de contamination.

2 Rattraper le temps perdu

Pour les élèves, l’école s’est, en pratique, arrêtée le 13 mars. Les efforts des équipes pédagogiques pour maintenir le contact avec les élèves, les dispositifs numériques… tout cela n’a permis au mieux que de consolider des acquis. Les programmes n’ont pas été bouclés. Le bon sens (et les organisations syndicales) demandait que ces derniers puissent être lissés sur deux, voire trois années, afin de ne pas transformer l’année 2020-2021 en un impossible marathon couru au sprint. Refus du ministre : il ne faut pas « édulcorer les contenus » afin de permettre une « élévation du niveau général ».

Au lycée, où les programmes sont ressortis alourdis de la réforme, l’opération risque de tourner à la boucherie pédagogique avec, en pratique, quelques semaines pour remettre tout le monde à peu près à niveau avant de se préparer aux premiers examens de contrôle continu, en janvier. Mais, pour le ministre, tout est prévu : les « vacances apprenantes », les évaluations standardisées imposées dès le 14 septembre, alors que de nombreux professeurs dénoncent leur inutilité, le dispositif – volontaire – « devoirs faits » : l’existant y pourvoira. Pas d’embauches, ni de locaux supplémentaires pour permettre un travail qualitatif en petits groupes de niveau. « Accueillez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens », pourrait-on résumer, parodiant l’appel au massacre des hérétiques lancé par le légat du pape devant Béziers en 1209…

3 Collèges, lycées : les sacrifiés

Quand l’Italie recrute 50 000 encadrants supplémentaires avant cette rentrée exceptionnelle, Jean-Michel Blanquer se rengorge des moins de 1 300 postes offerts à l’école primaire, prioritaire, et du quasi-moratoire sur les fermetures de classes en milieu rural. Mais passe sous silence le fait que, dans les collèges et lycées, qui s’apprêtent à accueillir entre 18 000 et 20 000 élèves de plus, ce sont, selon le Snes-FSU (premier syndicat du secondaire), 440 postes en moins qui sont prévus.

Le ministre sort alors de sa manche 1,5 million d’heures supplémentaires, censées permettre d’absorber le choc et de déployer le fameux dispositif « devoirs faits ». Sauf que, l’an dernier, seulement un tiers des heures supplémentaires déjà budgétées ont pu être utilisées, faute de professeurs pour les endosser. Une situation qui rend d’autant plus incompréhensible le choix de n’embaucher que 4 000 des 8 000 candidats admissibles aux concours internes du professorat, les 4 000 refusés étant déjà des enseignants expérimentés et employables, dont les établissements auraient le plus grand besoin. Et comme il n’est décidément pas à une incohérence près, le ministre assure que les personnels malades – qui risquent fort d’être plus nombreux qu’en temps normal – seront bien remplacés.

4 Le risque d’une « vente à la découpe »

« Nous allons maintenir le cap des réformes. » C’est bien là l’essentiel aux yeux de Jean-Michel Blanquer, ministre en mission. Celle des bacs – général comme professionnel – continuera donc son chemin ; les dédoublements en CP, CE1 et à présent en maternelle pour les grandes sections de l’éducation prioritaire, resteront l’alpha et l’oméga de sa politique en primaire, fût-ce au détriment des autres classes.

Mais, tout indique que le ministre a, avec un bel opportunisme, utilisé la crise sanitaire pour avancer d’autres pions. La place du numérique, par exemple : en dépit du constat général que, faute d’un accès égal de tous, le « distanciel » creuse les inégalités sociales devant l’éducation, Jean-Michel Blanquer compte bien faire des États généraux du numérique une occasion d’ancrer ces outils à l’école, confiant ainsi tout un pan des missions de l’éducation nationale aux entreprises, privées, de l’EdTech.

Pas besoin non plus d’être médium pour comprendre que, derrière le dispositif « 2S2C » (Sport, santé, culture, civisme), il s’agit de sortir des disciplines comme le sport, la musique ou les arts plastiques du périmètre de l’école (mais, à terme, sur le temps scolaire) pour les confier aux collectivités locales. Avec, là encore, l’assurance d’un accès inégal selon les choix et les moyens de celles-ci. Ce que le coprésident de la FCPE (première fédération de parents d’élèves), Rodrigo Arenas, a qualifié récemment de « vente à la découpe » de l’école publique. Personne, jusqu’ici, n’a osé le contredire.

Lire aussi : L’éducation physique et sportive est-elle sur le point d’être boutée hors de l’école ?

Lire aussi : LA POLITIQUE SCOLAIRE DE JEAN-MICHEL BLANQUER… Par Daniel Amedro

Olivier Chartrain

L’arlésienne de la revalorisation des profs

Les profs sont « désabusés ». Voilà comment Frédérique Rolet, porte-parole du Snes-FSU, qualifie l’état d’esprit du corps enseignant. 10 milliards d’euros, puis 500 millions, puis 400 millions : l’enveloppe qui devait être consacrée à la revalorisation du métier rétrécit sans cesse. La « prime d’équipement » informatique reste dans le flou. Comme celle promise aux directeurs. Et tout cela conditionné à une « transformation profonde » du métier, à travers un « Grenelle des professeurs » annoncé par un ministre qui devrait prendre garde, quand même, que ces désillusions enchaînées ne finissent par déchaîner la colère.

 


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