Menée par Médecins sans frontières, l’enquête épidémiologique « Précarité et séroprévalence du Covid-19 en Île-de-France » révèle des contaminations massives, surtout dans les foyers et les centres d’hébergement.
Le long du canal, sous le pont de l’autoroute A1 à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), des dizaines de tentes Quechua se sont érigées depuis le mois d’août. De la musique lancinante s’échappe de l’une d’elles, faisant écho au bruit incessant des voitures. Entre la ligne 13 et les escaliers qui mènent au Stade de France, des hommes discutent, jouent aux cartes, chahutent, regardent en fumant les passants qui s’engouffrent dans la bouche de métro. Ils sont 300 ou 400, afghans. Des hommes, essentiellement, qui se sont installés ici depuis l’évacuation d’un camp à Aubervilliers. La plupart n’ont pas de masque. D’autres le tiennent à la main ou le portent en brassard. Se protéger du Covid ? Impossible quand on vit les uns sur les autres, dans des conditions d’hygiène déplorables, et que la préoccupation principale, c’est de savoir si l’on va pouvoir manger ou si l’on ne sera pas expulsé.
Les sur-risque de la promiscuité
En Île-de-France, plus d’une personne en grande précarité sur deux, pour l’essentiel des migrants, a été infectée au Covid-19, selon l’étude de séroprévalence – la première en France sur le sujet – publiée hier par l’association humanitaire Médecins sans frontières (MSF). Le rapport fait état de « prévalences particulièrement élevées, surtout dans les foyers et les centres d’hébergement », avec un taux de positivité dans ces centres de 50,5 %. Il est de 27,8 % dans les distributions alimentaires et de 88,7 % dans les foyers de travailleurs, où MSF a conduit des tests. Des résultats particulièrement inquiétants. « Ces chiffres-là, dans ces proportions, on ne les retrouve qu’en Inde ou dans les bidonvilles du Brésil », commente Thomas Roederer, épidémiologiste chez Épicentre, le centre d’épidémiologie qu’héberge MSF. À titre de comparaison, le taux de positivité de la population générale du pays, selon Santé publique France, était de 8 % la semaine dernière et d’environ 12 % sur Paris, là où se trouvent les principaux sites couverts par l’ONG.
Le taux de positivité est de 88,7 % dans les foyers de travailleurs, contre 8% pour l’ensemble de la population française.
Une fois de plus, cette étude confirme que les plus précaires sont davantage touchés par l’épidémie de Covid-19. En cause, « les situations où la promiscuité est la plus forte. Quand la personne doit partager chambre, douches et cuisine avec d’autres », précise Thomas Roederer. Son collègue de MSF, le Dr Bastien Mollo, se souvient qu’au début du confinement, les populations mises à l’abri en urgence, dans les gymnases, témoignaient toutes avoir été positives au Covid. « Quand on met des personnes en situation de contamination, il ne faut pas s’étonner qu’elles se contaminent », dit-il. Dans un des foyers de travailleurs, le taux de positivité a été jusqu’à atteindre 94 %. « Pourtant, la grande majorité applique les gestes barrières, poursuit le docteur Mollo. Mais avec très peu d’effets face au sur-risque dû à la promiscuité, à la forte densité d’une population dans un lieu donné. »
Rien n’a vraiment changé en matière d’accueil
Avec l’arrivée de l’hiver, MSF redoute que les dispositifs d’urgence, qui permettent de mettre à l’abri temporairement des personnes sans hébergement, comme les gymnases, contribuent à créer de nouveaux foyers de contamination. MSF précise que la séroprévalence parmi les personnes ayant transité par des gymnases est trois fois plus élevée que celle estimée chez les personnes ayant été relogées directement en centres d’hébergement. Jusqu’à présent, rien n’a vraiment changé en matière d’accueil des plus précaires. Près du Stade de France, des centaines de migrants s’entassent encore dans leur campement d’infortune. Le ministère de la Santé a l’enquête de MSF entre les mains. Il recevra l’ONG ce mercredi. Pour Bastien Mollo, les choses sont claires : « Nous demandons une mise à l’abri des personnes en situation de grande précarité compatible avec la crise sanitaire. » MSF recommande aussi aux autorités de renforcer l’accès des résidents à l’information, à la prévention, au dépistage et aux soins médicaux de façon universelle. « Les décideurs politiques doivent privilégier les personnes les plus à risques en leur proposant des lieux d’hébergement adéquats. » Que du bon sens.
Dans les foyers de travailleurs, un tiers des résidents partagent une chambre avec deux à cinq personnes et 21 % avec plus de cinq personnes. Dans les centres d’hébergement ou les hôtels, plus de la moitié (59 %) partagent la leur. MSF a alerté dès le début du confinement : l’accueil des personnes en grande précarité tel qu’il fonctionne aujourd’hui ne peut pas fonctionner. Impossible d’y respecter les gestes barrières.
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