Quelles leçons tirez-vous de l’expérience du confinement, du déconfinement, et de la manière dont leurs conséquences ont été gérées par l’éducation nationale ?
Rodrigo Arenas Le système scolaire n’a pas résisté au choc de la pandémie. La fameuse continuité scolaire a reposé d’abord sur la solidarité entre enseignants, parents, élèves, élus locaux, associations… Et ensuite, sur le fait que chacun a retrouvé sa place. Les parents ont compris qu’enseigner est un métier ; les enseignants ont compris que sans les parents, l’école, c’est compliqué ; et tout le monde s’est retrouvé sur l’idée qu’au final, on est là pour les enfants. Une nouvelle centralité de l’élève a commencé à prendre corps. À la FCPE, nous espérions que cette expérience aurait pu permettre de faire un bilan, de se réinventer… Mais cette possibilité a été empêchée par le gouvernement.
D’abord parce qu’il est arrogant, immodeste. On ne savait pas ce qu’allait être cette pandémie, on ne savait pas ce qui, en dehors des gestes barrières, allait être efficace tant qu’il n’y avait pas de vaccin, on ne savait pas faire l’école à distance. Mais de leur côté, ça a été : « Non, on fonce. » Et tous ceux qui pensaient différemment étaient soit des idiots, soit des gauchistes, en tout cas pas dignes de considération.
Pour vous, la réponse à cette situation de crise n’a pas été à la hauteur ?
Rodrigo Arenas Non, parce que ce n’est pas le ministère qui a géré les choses, ce n’est pas l’État qui a tenté de répondre au problème de la fracture numérique, par exemple. C’est le service public qui l’a fait, mais à d’autres échelons : la région, le département, la commune. L’État n’a été ni organisateur, ni ordonnateur, il n’a pas cherché à pallier la déstructuration créée par l’épidémie. Il s’est montré incapable d’organiser les choses à l’échelle nationale. Cette logique atteint son paroxysme avec le gouvernement Castex : « Débrouillez-vous localement. » L’État organise sa propre défaillance. Mais qui a perdu dans l’affaire ? Ce sont les enfants. Un exemple : le dispositif « Ma classe à la maison ». Déjà faire la classe à la maison, ça n’existe pas : c’est un slogan, de la propagande, du marketing. La classe, c’est à l’école. Si on a inventé l’école, si on paie des impôts pour qu’elle existe, c’est qu’il y a une raison ! L’enseignement, ce sont des connaissances, des savoir-faire, du professionnalisme, des méthodes à maîtriser et utiliser. Si on dit que tout se vaut, que ce qu’on fait en classe, on peut le faire à la maison, on commence à détruire le sens et la place de l’école dans la société, dans la démocratie. On diffuse l’idée que l’école publique est en échec. Mais, si l’enseignement à distance était vraiment l’alpha et l’oméga du gouvernement, alors les enseignants, les élèves, les parents auraient dû être formés à ça ! Nous savons tous que ça n’a pas été fait.
Diriez-vous que sur le numérique, on est resté dans une logique de consommation ?
Rodrigo Arenas Absolument. Il faudrait financer des centaines de thèses sur le numérique à l’école, sur cette révolution civilisationnelle qui transforme notre rapport à l’espace, au temps, aux connaissances et au savoir, comme l’imprimerie en son temps. Ce n’est pas fait. Et si l’université ne produit pas ces savoirs, comment les enseignants pourraient-ils les transmettre ? On reste donc dans une logique de consommation, au point que pendant le confinement la France a été incapable de protéger la citoyenneté numérique des élèves, des profs, des familles. Le ministère a lui-même loué des espaces chez Amazon. Il laisse les communes s’équiper chez Microsoft. Il pousse les enseignants à faire des visioconférences mais ne leur laisse guère d’autre choix que d’utiliser Zoom, qui revend les données de ses utilisateurs… Ce sont des entreprises états-uniennes, soumises au Patriot Act, qui échappent aux lois françaises. On fait appel à des applications privées qui ne protègent pas les libertés individuelles, et on enclenche ainsi la commercialisation de l’école.
Le dispositif 2S2C (Sport, santé, culture, citoyenneté) ne relève-t-il pas d’une logique similaire ?
Rodrigo Arenas Il va plus loin. C’est l’institutionnalisation de la privatisation de l’école. On confie des activités, sur le temps scolaire, à des associations ou des entreprises, choisies par les élus locaux en fonction de leurs orientations politiques, idéologiques – et pourquoi pas confessionnelles. On abandonne cette spécificité française qui est d’avoir des programmes nationaux, mis en œuvre dans le cadre du projet éducatif de l’établissement. On met à égalité le prof de sport multidisciplinaire et une association ou un club, auquel on ne demande pas tant d’avoir une approche pédagogique, éducative que de soumettre une partie du temps scolaire aux desiderata des élus locaux. C’est ce que j’appelle une république féodale. On organise des baronnies locales, en ajoutant une dimension inégalitaire car les choix des communes seront aussi orientés en fonction des moyens dont elles disposent. On retrouve là le débat qui avait surgi au moment de la réforme des rythmes scolaires : en fonction du territoire où on est scolarisé, on n’a plus le droit à la même école.
Est-ce une mise en cause de la fonction unificatrice et de cohésion sociale de l’école publique ?
Rodrigo Arenas Oui, dans le sens où on demande aux élus locaux de s’occuper d’autre chose que du bâti scolaire. L’école, en France, n’a jamais été « communale » du point de vue de ses contenus, seulement du point de vue du bâti. Et faire ça, ce n’est pas innocent.
Puisqu’on parle du bâti, la FCPE est très attentive à la question du bien-être à l’école. Quels en sont les enjeux ?
Rodrigo Arenas C’est une question centrale. L’école est dépositaire d’une partie de la santé publique parce qu’elle met en jeu le rapport à son propre corps et au corps de l’autre. Cela pose la question de l’éducation à l’hygiène et au respect de l’espace public. Exemple très concret : les toilettes. Aujourd’hui, les enfants ne vont pas aux toilettes quand ils en ont besoin, ils y vont quand le règlement l’autorise. Les toilettes des écoles ne sont pas un espace partagé, dans le sens où on devrait avoir les mêmes exigences d’hygiène, de confort et d’accessibilité que pour les adultes. Il faut arrêter d’imposer aux enfants ce qu’un adulte refuserait. Depuis quand doit-on accepter d’aller aux toilettes quand elles sont sales ? Il faut avoir une réflexion là-dessus parce que dans les établissements, les toilettes sont devenues des lieux de souffrance. On y va pressé, on y va en meute, il s’y organise des bagarres… Quelle jeune fille n’a pas eu peur d’aller aux toilettes à l’école ? Laquelle n’y a pas vécu ses menstruations comme une épreuve ? Les toilettes sont genrées. L’école, ses espaces, sa cour sont genrés. Cela dit beaucoup de choses sur la manière dont on fait société.
Cet été, on a vu des ateliers pédagogiques se dérouler dans des centres commerciaux. Est-ce une atteinte à la laïcité ?
Rodrigo Arenas Je ne pense pas, même si ça peut se discuter. Mais ça contribue au prosélytisme commercial. La France a fait, il y a bien trente ans de cela, le choix d’ouvrir l’école au commerce, selon l’idée qu’elle devrait contribuer à la compétition sociale et économique. Donc ce n’est pas nouveau. Ce n’est pas nouveau que Microsoft veut rentrer dans l’école et que l’État l’y aide. Ce n’est pas nouveau qu’on vend des chocolats à l’école pour une entreprise, en versant 6 % pour financer la coopérative scolaire. C’est le détournement des solidarités ouvrières, un héritage culturel français, vers le business ! Il y a une grande différence entre les bourses aux fournitures de la FCPE, à prix coûtant, et le fait de contracter avec un papetier qui va vous retourner 5 % du chiffre d’affaires. On est soumis à un marketing puissant qui nous incite à céder à nos pulsions. C’est là que la laïcité est mise en question : l’État ne joue plus son rôle de garde-fou. Au contraire : il autorise, il labellise ça « Vacances apprenantes »… Il donne crédit au fait que, puisqu’on peut faire « la classe à la maison », on peut faire « la classe chez Auchan » ! Mais on ne soumet pas un enfant – qui n’est pas armé pour résister – à ce matraquage publicitaire sous prétexte de faire du rattrapage scolaire. L’école devient un prétexte à la consommation. Ceux qui organisent cela détruisent le modèle éducatif républicain en décentralisant le lieu de l’éducation. Oui, c’est une question de laïcité parce que l’école publique, c’est un temple qu’on doit défendre. Ils détruisent ce rapport presque religieux, sacré mais laïque, que l’on a en France avec l’école. On joue sur l’idée que l’école est en échec, et on propose une alternative : le centre commercial. On confond le temple et les marchands du temple. Et on s’émeut plus pour une maman qui met un foulard sur sa tête que pour des gamins qui vont faire du français ou de l’anglais dans un centre commercial. Oui, il y a du prosélytisme néolibéral dans l’école, et dans le cadre de la laïcité, ce devrait être interdit.
Pourtant, le gouvernement veut combattre les séparatismes…
Rodrigo Arenas On pourrait chercher dans toutes les religions des textes qui justifient la violence au nom de la foi. Ce n’est pas le sujet. On est dans un délire où être musulman, c’est comme avoir un gène qui prédispose à la violence, au terrorisme. À quel moment sommes-nous devenus idiots à ce point ? On confond une violence qui a toujours existé, dans toutes les sociétés, avec l’adhésion à telle religion. On nous ressort maintenant ce discours sur le séparatisme : je pense que le but est de faire peur et de faire diversion. Le terrorisme, c’est une affaire de renseignement, de police, pas de religion. Quelqu’un qui s’habille en dépit des lois, nu ou le visage masqué, c’est une affaire de police, pas de religion. Mais quand cet été, des gendarmes demandent à des femmes de couvrir leurs seins sur la plage, on voit bien que le sujet, c’est aussi le contrôle du corps des femmes. Celles-là mêmes qui ont été en première ligne pendant le Covid. Celles qui sont confrontées à toutes les difficultés : salaire, emploi, garde des enfants… Par contre, quand en Vendée ou dans le Maine-et-Loire, des élus de la République s’organisent pour qu’il n’y ait pas d’école publique dans leur commune, la laïcité ne serait pas menacée…
Où en sont vos relations avec le ministère de l’Éducation nationale ?
Rodrigo Arenas Nous devions passer une convention pour cofinancer un livret sur la laïcité. Personne n’y trouvait à redire mais le ministre est intervenu, sans avoir vu le livret puisqu’il n’est pas réalisé, pour dire qu’il ne souhaitait pas le financer et nous proposer de travailler plutôt sur l’égalité hommes-femmes. Nous lui avons répondu que nous ne sommes pas dans un État totalitaire, et qu’un ministre n’a pas le droit de préjuger d’un contenu qu’il n’a « vu » qu’à travers ses propres turpitudes, préjugés et la conception toute personnelle qu’il a de la laïcité. Nous ne sommes pas à vendre. Nous ne l’avons pas non plus attendu pour travailler sur l’égalité hommes-femmes. D’ailleurs, au vu de ce qu’il a répondu aux jeunes filles du mouvement #14Septembre, nous n’avons pas grand-chose à nous dire sur le sujet.
Pourtant, la FCPE reste la première organisation de parents d’élèves…
Rodrigo Arenas: Oui ,avec nos 300 000 cotisants et nos 1,2 million de voix l’an dernier, nous sommes la première fédération de parents d’élèves. Et nous allons le rester, je ne suis pas inquiet là-dessus ! L’an dernier, Jean-Michel Blanquer avait misé sur notre échec : ça montre qu’il ne connaît pas bien l’école publique et la force de notre réseau de parents. Les parents d’élèves votent pour ceux qu’ils connaissent. Est-ce que la FCPE fait de la politique ? Oui, parce qu’elle s’intéresse aux politiques éducatives, de la commune à l’État. Est-ce que la FCPE fait du syndicalisme ? Oui, parce qu’elle défend les droits des parents et des élèves. Quand on occupe des écoles contre les fermetures de classes, quand on s’invite dans les conseils municipaux, nous défendons ces droits. Et ça pose problème à qui, sinon à ceux qui veulent les réduire ? Ces gens-là doivent savoir que la FCPE sera toujours en face d’eux. Le séparatisme, il est là, sur le projet de l’école, au cœur de la société française. Voulons-nous une école émancipatrice, égalitaire, garante des valeurs de la République ? Ou bien une école commercialisée, que l’on peut faire derrière un ordinateur, sans enseignants, dans un pays qui reste sous la moyenne de l’OCDE pour son investissement éducatif ? Nous sommes aux portes d’une évolution civilisationnelle, et l’école est au cœur de ça.
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