Féministes et signataires d’une pétition réclament l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon, sur fond de lutte contre l’invisibilisation des femmes.
Il y a quarante-huit ans, la pénaliste Gisèle Halimi défendait devant le tribunal de Bobigny Marie-Claire Chevalier, violée à 16 ans et dénoncée à la police par son agresseur pour s’être fait avorter. S’ouvrait un procès historique, entraînant un débat national et le changement de la loi. Pour cette victoire majeure en faveur des droits des femmes, mais aussi pour ses combats contre la guerre d’Algérie, pour la dépénalisation de l’homosexualité et la criminalisation du viol, des collectifs féministes, dont Les effronté-es, Les Grenades et Osez le féminisme !, manifestent ce dimanche en faveur de son entrée au Panthéon, qui exprime l’hommage de la France à ses plus grandes figures, essentiellement masculines…
Ce mémorial, dont le fronton est orné de la significative phrase « Aux grands hommes la patrie reconnaissante », n’a accueilli que cinq femmes, sur les quelque 73 personnalités inhumées en son sein. En 1907, Sophie Berthelot n’a accompagné son mari qu’en hommage à « sa vertu conjugale ». Il faudra attendre la fin du XXe siècle pour que le Panthéon ouvre enfin ses portes à une femme en reconnaissance de son travail. En 1995, soit plus de soixante ans après son décès, la chimiste Marie Curie y fait son entrée, en même temps que Pierre, son collègue et époux. En 2015, c’est au tour des résistantes Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz d’être admises au Panthéon. Enfin, l’ancienne ministre de la Santé Simone Veil, qui a fait adopter le droit à l’avortement en 1974, intègre en 2018 le cercle très restreint des femmes panthéonisées grâce à leur engagement politique.
Le récit national se conjugue surtout au masculin
La quasi-absence de femmes saute aux yeux, soulignant à quel point le récit national se conjugue surtout au masculin. Comme le rappelle l’historienne spécialiste du XIXe siècle Mathilde Larrère : « La majorité des gens panthéonisés l’ont été au XIXe . Or, à cette période, les femmes n’avaient pas accès aux sphères de pouvoir et étaient invisibilisées partout, pas seulement au Panthéon. Ce monument n’était que le reflet de l’exclusion des femmes de la sphère publique et du refus de leur reconnaître la moindre place. Au XXe siècle, cela continue de la même façon, les corps des hommes y sont enterrés au moment où seulement 3 % de femmes siègent à l’Assemblée nationale. »
Marie-Claude Vaillant-Couturier restera à la porte, François Hollande ayant sciemment choisi d’ignorer le rôle des communistes dans la Résistance, et au-delà.
L’arrivée au Panthéon, en 2015, des résistantes Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, rescapées du camp de Ravensbrück, aux côtés de deux figures masculines (Jean Zay et Pierre Brossolette), a marqué un tournant, soulignant une volonté politique de rééquilibrage. Signe d’une prise de conscience autour de l’invisibilisation des femmes et de la nécessité de rectifier le tir. Toutefois, Marie-Claude Vaillant-Couturier, elle, restera à la porte, François Hollande ayant sciemment choisi d’ignorer le rôle des communistes dans la Résistance, et au-delà. Rescapée d’Auschwitz, témoin au procès de Nuremberg, l’élue PCF a sensiblement marqué l’Histoire du pays. Silence radio, également, sur les engagements de Martha Desrumaux, ouvrière du textile, organisatrice en 1940 de la grande grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais. La communiste a pourtant elle aussi participé à la lutte clandestine aux côtés de la nièce du général de Gaulle.
Du côté du gouvernement, un certain mépris se devine
« Énormément de femmes ont contribué à l’Histoire, mais leur travail a toujours été occulté, invisibilisé. Le Panthéon prône une vision historique très viriliste, très masculine, excluant de facto les ouvrières, mais aussi les femmes de lettres comme George Sand », critique Ophélie Latil, fondatrice du collectif Georgette Sand, qui milite pour une meilleure représentation des femmes dans l’espace public. Elle cite aussi le travail de Suzanne Noël, docteure en médecine, qui a opéré les gueules cassés de la Première Guerre mondiale. Inlassable militante de la cause des femmes, elle a aussi œuvré toute sa vie pour la protection des droits humains. « Il faut arrêter d’ignorer le fait que les femmes ont participé à l’Histoire, poursuit-elle. C’est important d’avoir des modèles. Et s’il y en a bien une qui s’est battue pour rendre la République plus égalitaire, c’est bien Gisèle Halimi. Avec sa panthéonisation, Emmanuel Macron pourrait envoyer un message fort. »
Les combats féministes et anticolonialistes de l’avocate humaniste auront-ils droit aux honneurs de la République ? Du côté de l’Élysée, l’hommage s’est limité pour l’instant à un simple tweet du président. « Elle n’a toujours pas reçu d’hommage national aux Invalides alors que le chef de l’État l’avait annoncé début septembre, dénonce Claire Charlès, secrétaire générale des Effronté-es. Aucun dialogue n’a été amorcé, non plus, depuis la mise en ligne cet été de la pétition qui recueille à ce jour plus de 31 000 signatures. » Le 6 août, lors de ses obsèques au Père-Lachaise, aucun membre du gouvernement n’a fait le déplacement. Un certain mépris se devine. Ses engagements pour le droit à l’avortement et la dénonciation du viol entrent pourtant en résonance avec ceux des féministes d’aujourd’hui. Le 6 octobre, la Ville de Paris a adopté un vœu réclamant son entrée au sein du temple républicain. « Gisèle Halimi fait partie de ces femmes qui ne renoncent jamais. Elle a su conjuguer tous les grands combats de notre siècle », estime l’élue PCF Raphaëlle Primet. Sa panthéonisation ferait sens dans un quinquennat marqué du sceau de la promotion de l’égalité femmes-hommes. À Emmanuel Macron d’apprécier si l’avocate mérite sa place aux côtés « des grands hommes ».
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