21 octobre 2020 / Lorène Lavocat (Reporterre)
La Politique agricole commune (PAC) est discutée cette semaine à Bruxelles et doit être adoptée d’ici vendredi 23 octobre. Selon un eurodéputé Vert français, comme à l’accoutumée, elle « correspond aux attentes des lobbys agrochimique et agroalimentaire » et a des conséquences sociales et écologiques désastreuses.
C’est un pavé indigeste, qui déterminera pourtant l’agriculture et l’alimentation des Européens pour les prochaines années. La Politique agricole commune (PAC) est au menu des eurodéputés, cette semaine à Bruxelles. En jeu, 386 milliards d’euros d’aides aux agriculteurs (62,4 milliards pour la France). De quoi modeler nos paysages et nos assiettes, mais également notre climat – l’agriculture est le troisième secteur responsable d’émissions de gaz à effet de serre de la France – et le vivant qui nous entoure. Après des mois d’intenses négociations, le Parlement et les Etats membres doivent déterminer leur position sur le projet de PAC d’ici le 23 octobre. Dans les mois suivants, ils discuteront en « trilogue » (avec la Commission) pour harmoniser leurs avis* et décider du texte final.
Avec le groupe des Verts au Parlement européen, Benoît Biteau – qui est aussi paysan – a porté un amendement proposant le rejet de ce projet de PAC. Amendement retoqué dans la soirée du mardi 20 octobre. Pour autant, l’eurodéputé n’en démord pas : cette PAC sera un « désastre social et écologique ». Il nous explique…
Reporterre — Pourquoi la PAC est-elle si importante, et pas seulement pour les agriculteurs européens ?
Benoît Biteau — Elle représente plus d’un tiers du budget total de l’Union européenne. C’est énormément d’argent public, donc cela nous concerne toutes et tous ! Elle modèle notre agriculture, et par là, elle touche au climat, à la biodiversité, à la santé, et bien sûr à l’alimentation. Il s’agit aussi de notre souveraineté alimentaire : avec le Covid-19, nous avons connu des tensions fortes sur les produits alimentaires, parce que la PAC actuelle nous rend très dépendants des échanges mondiaux. Dernier enjeu, et pas des moindres, elle détermine largement le revenu des paysans. Pour toutes ces raisons, la PAC est le levier – ou le frein – essentiel des mutations agricoles.
Pourquoi l’adoption du projet de PAC dans son état présent serait-elle, selon vos mots, une « erreur historique » ?
Depuis 1993, toutes les PAC [elles sont révisées tous les sept ans, NDLR] ont entériné le même modèle et les mêmes logiques agricoles qui conduisent à des désastres écologiques et sociaux. Les premières victimes ont été les agriculteurs – dont la population ne cesse de décroître – car ces politiques ont encouragé le cannibalisme agricole. Pourquoi ? Parce que la PAC est fondée sur des aides à l’hectare : plus on a de surface, plus on touche d’argent. Les agriculteurs sont donc poussés à se bouffer entre eux, c’est un cercle vicieux ! Plus on a d’hectares, plus on a d’aides, et plus on a d’aides, plus on peut acheter de nouvelles terres… Et cela bloque l’installation de nouveaux paysans, car la pression sur la foncier est trop importante. Ceci a aussi des effets néfastes sur l’environnement, car plus une exploitation est grande, plus il faut d’engrais, de pesticides et de pétrole pour la maintenir.
La PAC qu’on nous propose pour 2023 ne propose rien de nouveau, elle est dans la continuation des précédentes. Elle va donc continuer à provoquer des désastres. Mais elle correspond aux attentes des grands lobbys qui entourent et profitent des agriculteurs : le lobby agrochimique et le lobby agro-alimentaire, qui sont les principaux bénéficiaires d’une agriculture productiviste.
À l’inverse, que pourrait permettre une « autre PAC » ?
L’essentiel serait de changer le cœur du réacteur, en sortant des aides à la surface ou au nombre d’animaux. Aujourd’hui, 80 % de l’enveloppe de la PAC est captée par 20 % des agriculteurs, les plus gros, et par les industriels. C’est scandaleux ! Il faudrait mettre en place une autre logique : des aides qui seraient fonction du nombre d’emplois créés. C’était le sens de notre amendement de rejet, qui a été retoqué : il faut reprendre depuis le début, tout remettre à plat.
Nous avons également porté des amendements sur la « conditionnalité », autrement dit sur les conditions qu’on pourrait exiger des agriculteurs en échange des aides. On a proposé de demander une rotation des cultures sur quatre ans : quatre cultures différentes, avec au moins une légumineuse – qui sont des plantes qui fixent l’azote et enrichissent ainsi les sols sans avoir besoin d’engrais de synthèse. Cette condition pourrait amener des évolutions dans les pratiques agricoles : moins d’engrais et de pesticides, moins de monoculture… Autre proposition : les agriculteurs qui pratiquent de l’élevage concentrationnaire – avec une grande densité d’animaux – ne seraient plus éligibles aux aides. Ça ne les fera pas disparaître, mais on arrêtera de subventionner un élevage dépendant du soja transgénique et des antibiotiques.
Mais tous ces amendements — s’ils sont adoptés — ne feront qu’améliorer la copie à la marge, sans inverser franchement la tendance. D’ailleurs, les trois principaux groupes du Parlement – la droite du Parti populaire européen, les socio-démocrates et les libéraux de Renew (dont fait partie La République en marche) – ont d’ores et déjà proposé des versions au rabais.
Autrement dit, que ce soit à la Commission européenne ou parmi les principaux groupes politiques du Parlement, personne ne veut que la PAC soit réellement modifiée…
Oui. Pourtant, depuis les élections européennes, ils se sont positionnés en faveur d’un Green Deal, pour une stratégie sur la biodiversité et pour la stratégie « Farm to fork » — de la ferme à l’assiette — censée promouvoir une agriculture plus durable. Ces politiques, bien qu’insuffisantes, poussent à une réduction de 50 % des pesticides et de 20 % des engrais de synthèse… Récemment on a aussi rehaussé l’ambition climatique européenne. Sauf que la PAC va complètement à l’encontre de tous ces objectifs ! Il y a un décalage schizophrénique, tant de la Commission que des groupes majoritaires au Parlement.
La Copa-Cogeca (syndicat agricole européen) et son émanation française, la FNSEA, freinent des quatre fers pour « un verdissement de la PAC », car selon eux, « on ne peut pas passer au vert quand on est dans le rouge ». Que leur répondez-vous ?
Quand on est dans le rouge, il est urgent de passer au vert. Les agriculteurs qui passent à des pratiques agro-écologiques s’en sortent mieux que les autres ! Il faut arrêter avec cette vieille marotte des libéraux d’une prétendue opposition entre l’écologie et l’économie.
Votre groupe n’est pas majoritaire à Bruxelles : la bataille n’est-elle pas perdue d’avance ?
Je suis un optimiste maladif et je suis un coureur de fond. Il faut livrer bataille, tant que la cloche n’a pas sonné.
Puisque vous êtes ici…
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