Veaux, vaches, cochons… par milliards et sur 75 % des terres agricoles de la planète. L’explosion de l’élevage intensif démultiplie, notamment, les risques de contact entre le bétail et la faune sauvage. Un terreau propice à l’émergence de nouveaux virus et à leur prolifération.
Des poulets tellement gros que leurs pattes ne peuvent plus les porter à 35 jours, des dizaines de milliers de volailles confinées en France pour éviter une grippe aviaire, 17 millions de visons abattus au Danemark parce que porteurs du Sars-COV-2…
Que fait-on avec les animaux ? Depuis 20 ans, l’écologue Serge Morand, basé en Thaïlande, agrège les chiffres « et partout, ça explose. Depuis les années 1960, on voit très clairement une augmentation de toutes les épidémies animales et humaines. Et elles se globalisent ».
J’ai pris connaissance de la déclaration de l’Elysée suite au décès de Diégo Maradona. Très bien écrite par une plume bien inspirée, développant une belle maîtrise de la science sportive, traduisant la prise en compte de ce que représentait Diego Maradona pour le peuple argentin et au-delà par sa dimension de citoyen du monde.
Quant aux dérives soulevées par certains médias sur des liaisons douteuses de Maradona, elles sont opportunément occultées par la plume élyséenne. Les mots d’un Président de la République se doivent en effet d’être à la hauteur de la fonction et ne pas verser dans la médiocrité.
Mais le naturel reprenant le dessus, la brillante plume n’a pu éviter le grain de sable dans la machine bien huilée, convoquant un prêt à penser de basse politique inspiré de la doxa présidentielle : « Ce goût du peuple, Diego Maradona le vivra aussi hors des terrains. Mais ses expéditions auprès de Fidel Castro comme de Hugo Chavez auront le goût d’une défaite amère. C’est bien sur les terrains que Maradona a fait la révolution ».
« Le professionnel citoyen est celui qui refuse la réduction bureaucratique de sa mission à ses compétences et se revendique partie prenante de son institution ». Invité par le Snuipp Fsu dans le cadre des « Universités virtuelles » le 26 novembre, Philippe Meirieu a partagé sa vision émancipatrice du métier enseignant. Il a opposé l’idée d’un métier d’expert porté par une mission à celle d’un technicien porteur de services en regrettant que l’évolution actuelle pousse vers celle-ci.
Des enseignants inquiets et déprimés
Peut-être le plus frappant de cet échange entre P Meirieu et les centaines d’enseignants qui le suivent en visio conférence, ce sont les questions des enseignants. » Je découvre après plus de 15 années en élémentaire qu’il subsiste davantage dans les écoles maternelles une priorité à l’événement, à la formalisation, au comprendre… Ce qui se fait dans nos écoles maternelles semble ne plus être transposable à l’élémentaire, face aux contraintes grandissantes dont y sont accablés les enseignants… Les enseignants ne se formatent-ils pas eux mêmes, plus particulièrement en élémentaire? » Ou encore : « Nos supérieurs IEN, n’apprécient pas du tout lorsqu’on réfléchit et qu’on se questionne ou qu’on questionne les pratiques imposées. Comment faire cela sans se faire mal voir, voire subir des sanctions? Trop de gens qui préfèrent nous faire appliquer des consignes, même absurdes, du moment qu’elles viennent d’en haut ». » Je n’y arrive pas avec le nombre d’enfants par classe. Je n’ai pas le temps d’un retour sur mes pratiques, d’une analyse des situations didactiques que je propose. J’en suis désespérée ». Continuer la lecture de Philippe Meirieu : Enseigner : un métier de résistant in caf. péda.
Secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ)*, Anthony Bellanger condamne la loi liberticide du gouvernement français et entend saisir le Haut-commissariat au droit de l’homme.
Anthony Bellanger, Secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ)*
Quel est votre regard sur cette loi dite « sécurité globale » ?
Anthony Bellanger
Lors de la rencontre avec le ministre de l’Intérieur, nous avons clairement dénoncé un tel projet en France. Si plusieurs articles posent problème, le numéro 24 est pour nous intolérable. Celui-ci empêche les journalistes de faire leur métier et de rendre compte des interventions et des violences policières. À partir du moment où un évènement est public, les médias doivent pouvoir le couvrir sans risque. Il s’agit de la liberté d’informer.
À ce sujet, nous avons alerté en tant qu’organisation internationale, le cabinet de Michel Bachelet, la Haute‑Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. Ils sont clairement préoccupés par ce projet de loi. Nous leur avons signifié que si le texte restait en l’état, nous porterons l’affaire à l’occasion de la prochaine cession en février, à Genève. Nous avons averti Darmanin, que la France serait jugée avec d’autres gouvernements qui attaquent le droit des journalistes et la liberté de la presse : Israël, Soudan, Turquie, Iran et Pakistan. Continuer la lecture de Libertés. « La France envoie un signal des plus inquiétant pour la démocratie »
Publiée en cette Journée mondiale des luttes contre les violences faites aux femmes, l’enquête « Violences et rapports de genre » (Virage) met en évidence des agressions vécues tout au long de la vie, dans la famille, l’espace public, le travail… Décryptage.
L’ouvrage est scientifique et d’envergure : après avoir questionné plus de 27 000 personnes, l’Ined (Institut national d’études démographiques) révèle les 500 pages de son enquête « Violences et rapports de genre » (Virage) aujourd’hui, Journée internationale contre les violences faites aux femmes. L’enquête Enveff (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France), de référence jusqu’ici, datait de quinze ans. Virage l’amplifie en interrogeant également des hommes, en s’attachant à la violence vécue par les mineurs et en y incluant les personnes LGBT. « Les femmes sont exposées à des violences tout au long de leur vie », constate Claire Scodellaro, chercheuse associée à l’Ined ayant participé à l’enquête. Continuer la lecture de Agressions sexistes et sexuelles. Ce que révèlent les 500 pages de l’enquête « Violences et rapports de genre »
Les outils de modélisation sont indispensables pour comprendre l’évolution de l’épidémie et s’en prévenir dans le futur. Explications en 4 points.
Le gouvernement s’appuie régulièrement sur elles, lors de ses interventions concernant la gestion de l’épidémie de Covid-19 : des courbes représentant l’évolution du nombre de cas positifs, de patients hospitalisés, de décès… Ces représentations issues de modélisations épidémiologiques servent à décrire la propagation de la maladie. Voire à anticiper son évolution. À l’heure où est envisagé un assouplissement des mesures sanitaires, leur rôle est crucial pour comprendre comment éviter une troisième vague.
1. Qu’est-ce que la modélisation épidémiologique ?
NDLR de MAC: intelligence et solidarité au quotidien… Patron artisan ou pas, Pascal (Et sa femme) sont exemplaires dans leurs combats! Merci à Eux mais aussi à l’association « Masques pour Montauban »
Figure des Gilets jaunes sur Montauban, Pascal Serrier est également le patron du pressing de Sapiac. Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, lui et sa femme distribuent gratuitement des masques pour qui le demande.
Combien de masques avez-vous donnés depuis le début de l’épidémie ?
On est à un peu plus de 18 000 masques. Il y a eu une baisse de demandes au déconfinement mais c’est vite reparti à la hausse. Ce sont souvent des femmes isolées avec des enfants ou des personnes à mobilité réduite qui viennent nous en demander. Depuis peu, on fait aussi des surblouses. On va aller en donner 50 à l’Ehpad d’Agen.
Comment arrivez-vous à maintenir la cadence depuis la première vague ?
On fournit du tissu à des couturières qui font les masques. Certaines ont arrêté, d’autres ont continué et de nouvelles ont pris le relais. Elles se manifestent d’elles-mêmes.
Le député et secrétaire national du Parti communiste préface « 100 ans de parti communiste français » (Cherche Midi) et parle d’un « idéal » que l’actualité ravive.
Est-ce qu’à 100 ans, on a encore l’avenir devant soi ?
Oui ! Un parti qui a réussi à vivre et à participer à la grande histoire de France pendant 100 ans est un parti qui a 100 ans d’avenir. D’autant plus que l’actualité l’exige. La crise sanitaire et économique que nous vivons est en même temps une véritable crise de civilisation. Nous devons complètement repenser nos modes de vie, nos modes de production et l’utilisation que nous faisons de nos richesses, de l’argent.
En cela, nous communistes, avons une vision de la société qui met l’humain, son bonheur, la dignité humaine, au cœur de tous les choix. C’est l’argent qui doit être mis au service de l’être humain et non pas l’inverse. Notre idéal est un combat d’avenir pour notre pays.
La France ne serait pas ce qu’elle est si le PCF n’avait pas existé, dites-vous. Que lui doit-elle, si on devait résumer ?
En quelques dates, c’est 36 avec les congés payés, c’est la Résistance, c’est 45 avec de Gaulle, la reconstruction de la France, la Sécurité sociale…, c’est 68, c’est 81 avec la victoire de Mitterrand et de la gauche et c’est enfin 2005 avec la victoire du non au référendum sur le traité constitutionnel européen. Nous avons contribué à tout cela.
Entre-temps, le PCF a enchaîné les défaites, passant à 2 % du corps électoral. Comment l’expliquez-vous ?
FR : Si on avait la réponse unique à cette question, on saurait inverser la tendance. Certainement, nos adversaires, à savoir les financiers, les actionnaires qui ont des moyens démesurés, ont été meilleurs que nous. Ils ont gagné quelques batailles, mais ils n’ont pas gagné la guerre.
Nous, communistes français, avons peut-être aussi fait des choix mal compris par le monde du travail, notamment en participant à des gouvernements de gauche qui ont tourné le dos à leurs engagements. Peut-être aussi que le choix de ne pas être présents lors de grands rendez-vous électoraux, comme les deux dernières élections présidentielles, a pu laisser entendre que nous n’étions plus là, alors que nous avons fait le choix de soutenir un candidat au nom du rassemblement. Notre absence a pu être mal comprise.
Ce qui vous pousserait donc à présenter un candidat en 2022…
FR : La décision n’est pas prise. Nous nous préparons et posons les deux options sur la table : ne pas participer à cette élection ou y participer et y être prêt, avec un projet, un candidat ou une candidate, un budget, les parrainages. Nous espérons prendre cette décision au printemps. Ce sont les communistes qui décideront.
Nous sommes une force politique qui compte avec 48.000 adhérents, 620 maires, deux groupes parlementaires, 150 conseillers départementaux.
En 2017, parce que nous n’étions pas prêts, nous avions fait un choix un peu par défaut, le choix de ne pas y aller.
Vous aviez surtout fait le choix de soutenir Jean-Luc Mélenchon, non ?
FR : Oui, bien sûr. La question qui se pose en 2022 est celle d’un changement de société, l’envie de rompre avec le système actuel. Nous disons qu’il est possible d’éradiquer le chômage et la pauvreté. Il est inadmissible qu’il y ait 300.000 SDF dans un pays aussi riche. Il y a l’argent nécessaire pour engager la transition écologique, urgentissime. Ces deux priorités, sociale et écologique, doivent être intimement liées. Il faut sortir des logiques libérales.
Vous dites aussi que les « 500 signatures de M. Mélenchon, c’est son problème »…
FR : Puisque nous avions fait le choix de le soutenir en 2017, nous lui avions apporté beaucoup de signatures. Mais si nous présentons un candidat, nous n’allons pas nous occuper des parrainages de Jean-Luc Mélenchon, mais des nôtres.
La France insoumise a-t-elle quelque part participé à marginaliser le PCF ?
FR : Non, je ne dis pas ça. Quand on est marginalisé, il est trop facile de dire que c’est de la faute des autres. Il faut faire notre bilan.
Cette gauche en ordre dispersé se donne-t-elle une chance ?
FR : Le problème de la gauche n’est pas qu’elle soit représentée par différents courants, cela a toujours existé. Il est lié à la faiblesse de son propos. La gauche n’a plus fait rêver. La gauche a trahi. La gauche a déçu. Tant que les forces de gauche ne le diront pas aussi clairement que je le dis et qu’elles ne renoueront pas avec cette aspiration à défendre le peuple et le monde du travail, comme nous voulons le faire, elle sera toujours au ras des pâquerettes. La gauche, même additionnée, n’a jamais été aussi faible.
Je veux qu’on puisse dire, dans notre pays, que si la gauche arrive au pouvoir, le Smic va augmenter de 300 euros, les retraites vont augmenter, qu’on pourra partir plus tôt à la retraite, parce que c’est possible. On veut vivre mieux. Les discours de responsables de gauche, qui disent quand ils sont dans l’opposition qu’ils vont casser la baraque puis, une fois au pouvoir, que c’est compliqué, font du mal à la gauche.
Il faut aller chercher des voix chez les abstentionnistes ?
FR : Oui, c’est mon combat. L’objectif est de convaincre ceux qui sont en colère ou déçus. Je leur dis « Retrouvez goût à voter car sans vous, on ne rependra pas le pouvoir ». Ceux qui se détournent des urnes laissent le pouvoir à la finance. Il faut qu’ils reviennent dans la bataille.
Ça vous tente l’aventure présidentielle ?
FR : On ne se pose pas cette question… Je me bats ces derniers temps pour les salariés de Vallourec, Bridgestone, Airbus… Par un autre candidat ou par nous-mêmes, ces idées doivent être portées aux législatives et à la présidentielle. Je suis passionné, indigné. Je veux que cette question de la dignité humaine soit au cœur d’un projet de société. Voilà ce qui m’anime quand je me lève le matin.
Propos recueillis par Florence Chédotal
Photo Juliette Jem
La bio express de Fabien Roussel
Naissance. Le 16 avril 1969 à Béthune (Pas-de-Calais) Parcours. Il exerce d’abord comme journaliste (indépendant, France 3), avant de « bifurquer ». Son engagement communiste date de ses années lycée, avec notamment pour combats : libérer Nelson Mandela, lutter contre l’apartheid et s’opposer aux lois Devaquet/Monory (1986). En 1997, il devient attaché parlementaire et collaborateur de Michelle Demessine, ministre du Tourisme communiste (gouvernement Jospin). Il devient responsable départemental de la Fédération du Nord du PCF (2010), puis député (2017), puis secrétaire national (2018). Passion. La pêche à la ligne.
En pleine crise sociale et sanitaire, le gouvernement publie deux décrets d’application de la loi de transformation de la fonction publique qui auront un impact majeur sur la vie professionnelle et la santé des fonctionnaires , dont les enseignants. Le décret sur les comités sociaux d’administration (CSA) supprime les CHSCT. Paul Devin, secrétaire général du SNPI Fsu, donne son point de vue d’expert sur ces textes.
Le décret sur les commissions administratives paritaires réduit le rôle des commissions administratives paritaires (CAP) aux licenciements et organise leur élection. Les CAP perdent leur regard sur par exemple les mutations ou les sanctions qui relèvent de la seule administration avec recours devant la justice. Le décret sur les CSA organise leur élection et composition. Il supprime les CHSCT qui sont remplacés par une « formation spécialisée » au sein du CSA.
Nous avons demandé à Paul Devin, secrétaire général du SNPI Fsu, un syndicat d’inspecteurs du 1er degré, son avis sur ces deux textes.
« Ce deux décrets ne sont pas une surprise », nous dit-il. « Il s’agit de l’application de la loi sur la transformation de la fonction publique. Cette loi vise à anéantir le rôle des syndicats. Un bon exemple est les CHSCT. Ils ont fait la preuve de leur utilité. Les élus des CHSCT étaient devenus de bons spécialistes des dossiers et ont révélé des situations où les agents ont besoin d’être défendus quand leur qualité de vie est menacée. Dans le nouveau dispositif, le CHSCT disparait et est remplacé par une formation spécialisée. Ce n’est plus une instance et il sera plus facile de la contourner. La place des personnels dans la définition de leurs conditions de travail devient très relative ».
« Le plus terrible c’est que les CAP et CHSCT fonctionnent très bien et ne sont pas à la botte des syndicats. En matière de mutations, les CAP évitent bien des erreurs à l’administration et empêchent que se cristallisent des conflits entre un agent et son administration. Ils permettent le dialogue social. Maintenant tout le monde bascule dans l’opacité totale sur la façon dont le mouvement se passe. Et cela dessert l’équité ».
Pour P Devin, « la loi prétend au renforcement du dialogue social mais restreint en réalité la place des syndicats, nie le travail paritaire et permet une administration sans transparence et sans concertation. Cela se fait aux dépens des agents ».
Dans son dernier ouvrage paru aux éditions de l’Humanité, le philosophe de formation analyse les évolutions actuelles du monde qui nous entoure. Que ce soit le débat intellectuel, les mouvements sociaux ou encore la crise sanitaire à l’heure de la globalisation, tout appelle l’humanité à sortir de l’ère du capitalisme.
Bernard Vasseur Effectivement, en regardant ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, ce qui s’écrit, ce qui se pense aussi, j’ai trouvé du nouveau. Il y a trente ans, lorsque l’on regardait les vitrines des librairies, on ne trouvait pas un seul livre de Marx. Le philosophe allemand était traité en chien crevé. Il était assimilé à l’échec des pays socialistes et de l’URSS. En ce moment, on voit au contraire une sorte de floraison incroyable de livres de Marx et de livres sur Marx. On trouve des traductions nouvelles, des écrits que l’on ne connaissait pas dans ma jeunesse. Marx avec Engels sont en train d’être redécouverts. C’est très fort. Au sein du mouvement ouvrier français, on a longtemps séparé deux dimensions chez Marx. On a vu chez lui le penseur de l’anticapitalisme et de la lutte des classes, mais on a souvent oublié qu’il est aussi un penseur du communisme, ce qu’il appelle la « société sans classe » ou encore « la fin de la préhistoire de la société humaine ». Une « société sans classe », c’est une société sans dominants, ni dominés. Cela nous parle tout de suite quand on pense aux inégalités de toute nature (pas seulement de revenus) qui explosent et qui sont perçues comme inacceptables. Le communisme, c’est la visée de l’émancipation humaine. Alors ce n’est certes pas « le grand soir », mais c’est bien une révolution. C’est l’idée d’un changement d’ère de l’humanité, où chaque être humain décide, individuellement et collectivement, de se battre pour maîtriser sa vie et décider de son travail. Je rappelle le début du Manifeste du parti communiste : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes. » Marx pose également la question d’une véritable transformation, d’un changement de la manière de faire humanité et d’œuvrer au « genre humain », selon le mot célèbre de l’Internationale. Pour moi, il faut réconcilier les deux dimensions et ne pas en rester à la pensée du « contre » afin d’être, en même temps « pour ». Nous combattons cette société capitaliste et nous agissons en faveur d’un changement de civilisation. Et d’ailleurs, les défis actuels sont tels que l’on ne peut se contenter de changer de pouvoir ou de gouvernement, nous avons besoin d’un changement profond, civilisationnel. J’ajouterai que lorsqu’on voit le succès d’intellectuels comme Alain Badiou, Étienne Balibar, Frédéric Lordon, David Graeber, Bernard Friot, etc., et même Thomas Piketty à sa manière et dans ses limites, qui parlent de Marx ou du communisme, on peut s’étonner que les communistes eux-mêmes, et le parti qui a raison de vouloir rester communiste, ne se proclament pas davantage les héritiers de Marx et évoquent si peu le communisme. C’est aussi un peu ce paradoxe qui m’a amené à écrire ce livre. « Encore un effort, camarades ! »
En quoi Marx est-il alors aujourd’hui pleinement d’actualité ?
Bernard Vasseur Je parlais des nombreux travaux intellectuels. Mais, si on regarde les dernières luttes sociales et la crise sanitaire du Covid-19, on voit là encore planer l’ombre de Marx. Rappelons-nous. Les soignants, notamment les hospitaliers, ont conduit une grève très longue. Je me souviens de ce mot d’ordre : « L’État compte ses sous, nous compterons les morts. » On voit ce que cette mise en garde acquiert de vérité aujourd’hui en pleine épidémie. Dans la période antérieure, cette remarque signifiait : la santé n’est pas une marchandise. On ne peut pas gérer l’hôpital public comme une entreprise capitaliste avec la dictature du chiffre, avec ce qu’Alain Supiot appelle la « gouvernance par les nombres ». Prenons encore les gilets jaunes. Ils ont mis sur le devant de la scène la précarité de vie, la pauvreté de gens qui travaillent mais qui n’arrivent plus à vivre de leur travail. La question des inégalités et de la représentation politique des humbles, des « sans-grade » était posée. On peut là encore retrouver l’ombre de Marx avec l’enjeu de réappropriation de la politique qu’il met au cœur de l’idée communiste. Ce que l’on traduit souvent en français par « le dépérissement de l’État de classe ». Troisième exemple, le mouvement des retraites : tout le monde a bien compris que le projet gouvernemental avait pour objectif de nous faire travailler plus longtemps. En régime capitaliste, cela signifie être exploité plus longtemps. Le fait de vivre plus longtemps devenait une proie afin de réaliser toujours plus de profits. Là encore, l’ombre de Marx et son idée du communisme apparaissent. Ce n’est pas seulement dans les milieux intellectuels que l’on y assiste, des idées naissent aujourd’hui au sein du mouvement social. Ce qui me fait dire que le communisme est pleinement d’actualité.
Et puis, il y a la crise sanitaire et les défis climatiques auxquels nous sommes confrontés. Vous avez également publié, aux éditions de l’Humanité, un petit essai intitulé Après la crise sanitaire ? L’après-capitalisme. En quoi ces menaces sur la vie posent-elles la question du dépassement du système capitaliste ? Et comment le faire à l’heure de la globalisation néolibérale ?
Bernard Vasseur Concernant le Covid-19, on a beaucoup parlé du « jour d’après ». Foin des tisanes et de l’eau tiède, de mon côté, j’ai parlé du « système d’après », donc, de l’après-capitalisme. C’est ce combat au présent pour sortir du capitalisme que Marx qualifie de communisme, et pas un horizon lointain, un idéal merveilleux ou un modèle social présentant le portrait d’une société de l’avenir comme un dépliant touristique. Or cette idée de sortie du capitalisme, de civilisation nouvelle, vient à maturité. Je lis les spécialistes des zoonoses (ces maladies qui passent des animaux aux humains). Pour expliquer la pandémie, ils mettent en cause le mode de développement contemporain le plus « high-tech » du capitalisme. Or, le capitalisme se rue désormais sur le monde sans obstacles, ni garde-fous, il domine les sociétés comme aucun autre mode de production avant lui et il est seul en piste. Il ne peut pas maquiller ou effacer ses responsabilités et on peut le regarder en face, comme Marx l’a fait en son temps. La pandémie qui frappe le monde sème la maladie et la mort, rend visible aux yeux de tous qu’il impose un mode de développement et d’existence qui est angoissant et mortifère. Voilà bien une dé-civilisation qu’il faut arrêter si nous voulons continuer de vivre en quittant la peur. Derrière la globalisation du capital, c’est-à-dire le rêve fou d’imposer à la planète entière la manière occidentale de l’habiter, surgissent les pulsions de toujours les plus essentielles du capitalisme : l’insatiable volonté de puissance, la concurrence sauvage, les inégalités, le fétichisme du fric. On les connaît depuis longtemps, mais elles prennent des proportions considérables, deviennent visibles et largement choquantes. Ici encore, la sortie du capitalisme : voilà un bon pôle de rassemblement. Enfin, il y a les désastres écologiques qui s’annoncent et qui deviennent eux aussi visibles : la terre se réchauffe, les calottes polaires et les glaciers fondent, les ressources naturelles s’épuisent. Pour tout cela aussi, sortie du capitalisme !
Le capitalisme, avec le développement d’un marché vert, veut pourtant se donner un visage environnemental ?
Bernard Vasseur Je montre dans mon livre qu’un capitalisme vert est inconcevable. Il y a en effet une opération en cours pour faire du marketing vert autour de l’écologie. Mais le capitalisme ne peut pas concilier la recherche du profit et les écosystèmes, une myriade d’entreprises privées et le contrôle social du respect des normes écologiques, le court terme de la finance et le long terme des équilibres planétaires. Si on lit vraiment Marx en se débarrassant de la lecture imposée au XIXe et au XXe siècles, d’abord par la social-démocratie allemande et ensuite par la lecture soviétique de la Troisième Internationale, on va trouver des textes de Marx absolument précurseurs en la matière. John Bellamy Foster a remarquablement mis cela en évidence dans son Marx écologiste (Amsterdam, 2011). Le productivisme que l’on associe à Marx aujourd’hui ne se trouve pas dans son œuvre, qui, au contraire, se préoccupe des équilibres naturels dans plusieurs textes du Capital. Mais c’est ce que la conception soviétique du stakhanovisme a glissé sous son nom et a fait prendre pour sa pensée. C’est la raison pour laquelle je dis que le communisme a de l’avenir, à condition de le libérer des traditions du passé. Libérer Marx du marxisme militant de jadis.
Dans ce souci de « se libérer du passé », vous insistez sur le fait que l’on a trop souvent confondu socialisme et communisme. Que voulez-vous dire ?
Bernard Vasseur En effet, il y a une anomalie – une ruse de l’histoire – dans le développement du mouvement ouvrier. Je le répète : Marx et Engels sont des penseurs du communisme. Mais ce qui l’a emporté durant deux siècles est le mot « socialisme », tant dans la social-démocratie allemande que dans le socialisme soviétique. Aujourd’hui encore, on tient toujours ces deux mots pour synonymes. Est-ce que Marx les identifiait ? Je pense que non et j’essaie de le démontrer. En 1848, Marx et Engels ont bien écrit le Manifeste du Parti communiste. Par la suite on s’est réclamé du socialisme mais, selon moi, il y a une différence d’ambition et de moyens politiques entre les deux. Par exemple, le socialisme souffre de sa croyance dans l’État comme moteur de la dynamique sociale, pas le communisme. Le communisme selon Marx n’a jamais été essayé.
Mais comment l’après-capitalisme, autrement dit le communisme, est-il capable d’être la première référence du changement ?
Bernard Vasseur En 1992, dans la Fin de l’histoire et le dernier homme, Fukuyama dépeignait un monde où le capitalisme triomphant parvient au « mariage intime » de l’économie de marché et de la démocratie représentative. Le temps d’un tel enthousiasme est largement dépassé. Pour autant, ce qui pèse sur les luttes sociales est l’idée que ce qui s’est effondré au XXe siècle, c’est le communisme. Donc, si le communisme est mort, il ne peut rien y avoir d’autre que le capitalisme. Cela handicape gravement tous les mouvements sociaux actuels, qui doivent alors se maintenir sur la défensive. On ne peut que se défendre « contre » mais on n’a rien à proposer « pour ». Je crois que si l’on se décide à parler du communisme tel que Marx l’a pensé, les choses peuvent évoluer. Dans le Capital, Marx écrit : « Le communisme est une forme de société supérieure dont le principe fondamental est le plein et libre développement de chaque individu. » Si on regarde ce qui s’est passé au XXe siècle, ce que l’on nomme communisme et qu’il faudrait en réalité appeler « échec des pays socialistes », n’a rien à voir avec « le plein et libre développement de chaque individu ». Dans le premier volet de Communisme ? (La Dispute, 2018), Lucien Sève a produit une pierre d’angle dont on peut se nourrir sur cette histoire. Au regard du monde qui nous entoure, il faut s’engouffrer dans la brèche. Il est temps de remettre Marx et le communisme dans le débat public, et de recréer l’idée qu’il y a deux voies pour l’humanité. Nous ne sommes pas condamnés au capitalisme ad vitam aeternam. La seconde voie, celle de l’émancipation humaine, que l’on nomme depuis plus de trois siècles le communisme, a de l’avenir.
(1) Le communisme a de l’avenir… si on le libère du passé, de Bernard Vasseur, éditions de l’Humanité, 344 pages, 11,50 euros. disponible ici.
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