Les outils de modélisation sont indispensables pour comprendre l’évolution de l’épidémie et s’en prévenir dans le futur. Explications en 4 points.
Le gouvernement s’appuie régulièrement sur elles, lors de ses interventions concernant la gestion de l’épidémie de Covid-19 : des courbes représentant l’évolution du nombre de cas positifs, de patients hospitalisés, de décès… Ces représentations issues de modélisations épidémiologiques servent à décrire la propagation de la maladie. Voire à anticiper son évolution. À l’heure où est envisagé un assouplissement des mesures sanitaires, leur rôle est crucial pour comprendre comment éviter une troisième vague.
1. Qu’est-ce que la modélisation épidémiologique ?
Éric Daudé, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des maladies à transmission vectorielle, la définit ainsi : « C’est une représentation simplifiée d’un phénomène avec plusieurs objectifs : le comprendre, et essayer de réaliser des prévisions. » Les prévisions météo anticipent, par exemple, le temps qu’il fera dans quelques jours en se basant sur des données climatiques (température, degré d’humidité…). Dans le cas du Covid-19, « on cherche à comprendre comment une épidémie se propage dans une population », résume Laurent Dumas, professeur au sein du Laboratoire de mathématiques de l’université de Versailles. « Pour cela, on se sert de modèles contenant des équations mathématiques, qui relient différentes quantités à mesurer, par exemple le nombre de personnes infectées ou le nombre de décès », explique-t-il.
Un des modèles basiques pour comprendre l’évolution d’une épidémie intègre le nombre de personnes saines, infectées, et celles qui sont guéries, ou décédées, qui n’ont plus de rôle dans la propagation de la maladie. Il peut ensuite être enrichi grâce à plusieurs paramètres, dont le taux de reproduction, ou « R effectif », soit le nombre de personnes que va contaminer en moyenne un malade. Si ce taux est au-dessus de 1, et qu’une personne transmet en moyenne le virus plus d’une fois, la maladie progresse. Si, au contraire, il se situe en dessous de 1, elle recule. Grâce à lui, les modèles peuvent fournir des simulations sous forme de scénarios et prévoir, à partir de données observées aujourd’hui, où en sera l’épidémie dans le futur.
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Dans le cas du Covid-19, « il est très important de pouvoir simuler des contacts entre les individus, car c’est la base de la transmission », explique Chiara Poletto, chercheuse à l’Inserm en modélisation des maladies infectieuses. Des données démographiques de l’Insee et des enquêtes comportementales sont utilisées pour décrire et comprendre comment et à quelle fréquence interagissent les membres d’une population. « On peut subdiviser la population par catégories d’âge, et définir un taux d’échange. Par exemple, au sein d’une école, pour simuler combien de personnes entre 10 et 20 ans vont rencontrer des personnes de plus de 60 ans », ajoute Laurent Dumas. Et voir ainsi les effets de ces contacts sur la transmission et la propagation de la maladie. Il faut, toutefois, toujours tenir compte d’un degré d’incertitude, d’autant que certains aspects du virus demeurent mal connus. Les projections épidémiologiques sont des estimations qui peuvent aller de la plus pessimiste à la plus optimiste.
2. Évaluer l’efficacité des mesures sanitaires
« On peut simuler le confinement qu’on a eu en mars et simuler un autre scénario sans confinement cette fois, pour voir la différence et quantifier l’impact du confinement », précise Chiara Poletto. Les modèles peuvent également tenter d’anticiper ce qu’il adviendrait si rien n’était fait et que l’épidémie continuait de se propager, avant d’atteindre le stade de la fameuse immunité collective. Dans le cas du Covid-19, le prix payé pourrait atteindre des millions de morts. La modélisation tente donc de comprendre comment ralentir l’épidémie par d’autres moyens.
Une des difficultés réside dans le taux de reproduction. Comme le précise l’agence Santé publique France , cet indicateur est calculé sur une période de sept jours et intègre « le délai entre la contamination et le test ». Ce taux donne donc à voir la « la dynamique de transmission du virus » environ une à deux semaine plus tôt. Un décalage qui peut s’observer notamment au sein des données hospitalières. Les nouvelles entrées à l’hôpital correspondent à des contaminations survenues environ dix jours auparavant. De quoi corser un peu l’exercice de prédiction. « Au moment où on démarre un confinement, avec par exemple un taux de reproduction à 1,4, on sait que l’effet ne sera pas immédiat et que les contaminations vont augmenter pendant deux semaines. Par contre, encore deux semaines plus tard, c’est là que la réduction des échanges va peut-être porter ses fruits », expose Laurent Dumas.
3. Donner des clefs aux pouvoirs publics
Le ministère de la Santé indique travailler étroitement avec l’Institut Pasteur, l’Inserm et l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Les prévisions des modélisateurs sont censées aider les pouvoirs publics à prendre les dispositions les plus adaptées, sur la base de différents scénarios. « En fonction du taux d’occupation des lits de réanimation et du nombre de nouveaux cas, et au regard par exemple de mesures sanitaires déjà prises, on peut faire une projection sur quinze jours et estimer l’évolution prévisible de la maladie. Est-ce acceptable ? Par rapport à l’économie, par exemple, ou au système de soin ? Si oui, alors les mesures peuvent rester inchangées. Mais si on considère que ce n’est pas une solution envisageable, d’autres mesures peuvent être mises en place », schématise Éric Daudé.
Plusieurs aspects de la réalité ne sont pas pris en compte dans les modèles, notamment les impacts économiques et sociaux que peuvent avoir certaines mesures, en parallèle de leurs effets sur la pandémie. « Évidemment, si plus personne n’interagit avec personne, le virus arrête de circuler », explique le chercheur. Les modèles doivent justement permettre « de voir ce qui pourrait être fait pour que le virus circule un peu moins fort, tout en laissant quand même la société vivre, l’économie circuler et en minimisant l’impact sur la liberté des personnes et le système de soin », ajoute-t-il. La modélisation peut donc orienter, conseiller les décideurs, qui trancheront ensuite en s’appuyant sur elle, mais en considérant aussi d’autres facteurs.
4. Une troisième vague est-elle inévitable ?
À l’Inserm, Chiara Poletto est, avec d’autres, en première ligne pour tenter d’apporter des réponses à cette question. Le facteur météorologique, qui peut être intégré aux modèles, doit d’ores et déjà être pris en compte. « Le virus se transmet davantage lorsqu’il fait froid et que les gens restent en intérieur. En janvier, les conditions météorologiques seront, a priori, pires qu’en octobre. Si les mesures sanitaires sont les mêmes que celles en vigueur avant le confinement et que le comportement de la population ne change pas, on va observer une reprise de croissance », estime-t-elle. La réussite du déconfinement est donc cruciale. « Tout l’enjeu aujourd’hui est de comprendre ce qui pourrait être fait après le confinement pour éviter une troisième vague. En octobre, un certain nombre de mesures étaient déjà en place comme le port du masque obligatoire, la limitation des rassemblements, le traçage de contacts, mais cela n’a pas été suffisant, l’épidémie s’est emballée à nouveau », rappelle-t-elle. Comment faire, cette fois-ci, pour ne pas se retrouver dans la même situation ?
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Une des pistes étudiées par Chiara Poletto, à l’Inserm, repose sur le traçage numérique de contacts . « Nous l’avons étudié parce qu’il peut se traduire par des mesures intéressantes qui ne vont pas autant impacter la vie sociale et économique que le confinement », explique la chercheuse. « Si on le développe davantage, cela peut être utilisé et contribuer à réduire le nombre de cas. Nous avons par exemple modélisé un impact significatif de l’application de traçage de contacts TousAntiCovid, si elle est adoptée par 30 % des Français. Si son utilisation est forte, et que les gens suivent les recommandations d’isolement, cela peut devenir un instrument important pour éviter une troi sième vague », affirme-t-elle. De quoi donner des idées pour le déconfinement au gouvernement, qui n’a plus droit à l’erreur.
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