Veaux, vaches, cochons… par milliards et sur 75 % des terres agricoles de la planète. L’explosion de l’élevage intensif démultiplie, notamment, les risques de contact entre le bétail et la faune sauvage. Un terreau propice à l’émergence de nouveaux virus et à leur prolifération.
Des poulets tellement gros que leurs pattes ne peuvent plus les porter à 35 jours, des dizaines de milliers de volailles confinées en France pour éviter une grippe aviaire, 17 millions de visons abattus au Danemark parce que porteurs du Sars-COV-2…
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Que fait-on avec les animaux ? Depuis 20 ans, l’écologue Serge Morand, basé en Thaïlande, agrège les chiffres « et partout, ça explose. Depuis les années 1960, on voit très clairement une augmentation de toutes les épidémies animales et humaines. Et elles se globalisent ».
« Grande accélération »
Le bétail nous transmet des virus ? Jusque-là, rien de très nouveau. Depuis la domestication des animaux, au néolithique, il y a près de 12 000 ans, l’homme a attrapé de nombreuses maladies : la variole qui vient du bœuf, tout comme la tuberculose ou la grippe espagnole transmise par les oiseaux… « Et plus il y a ancienneté de contacts entre l’homme et l’animal, plus ils partagent de maladies », précise Serge Morand. Ainsi le porc et l’humain en partagent beaucoup plus qu’avec le lapin, encore mal domestiqué. « Ils n’ont pas fini de nous en donner. »
Mais, quelque chose est en train de changer. C’est la combinaison de trois facteurs : la perte de la biodiversité, l’industrialisation de l’agriculture qui accentue cette perte et l’explosion du transport de marchandises et de personnes. « C’est la grande accélération », continue le chercheur. D’abord, le nombre d’animaux explose. En 1960, il y avait 5 milliards de poulets. Aujourd’hui, il y en a 25 milliards. Le nombre de bovins est passé de 1 milliard à 1,7 milliard sur la même période. Les porcs, eux, étaient 500 millions en 1960, on en dénombre désormais 1,5 milliard. « C’est tout simplement de la folie », commente Serge Morand, graphiques à l’appui.
Des bêtes stressées, faibles et immunodéprimées
L’industrie a créé un nid douillet pour les pathogènes : des animaux concentrés, très nombreux et assez semblables génétiquement. « C’est un peu moins vrai, ces dernières années, les sélectionneurs font attention à la résistance des animaux. Mais, plus les animaux sont nombreux, plus ils sont stressés, et le stress diminue l’immunité », explique François Meurens, professeur d’immunologie et de virologie à l’école vétérinaire de Nantes.
« Un virus réussit à entrer dans un élevage intensif et c’est l’hécatombe », poursuit Hélène Soubelet, directrice de la fondation pour la recherche sur la biodiversité. Et il faut faire avec de plus en plus d’épizooties. « Chez les animaux d’élevage, en 2005, on comptait moins d’une centaine d’épidémies. En 2018, 300 étaient notifiées. D’autres passent sous le radar », prévient l’écologue, chercheur au CNRS. Au contraire, lorsqu’un milieu est riche en espèces, le virus rencontre des impasses épidémiologiques, des sortes de cul-de-sac… « Ce que l’on appelle l’effet de dilution », détaille pour sa part François Meurens.
Le chien viverrin, hôte intermédiaire du Covid ?
Sans compter que de « nouveaux » animaux sont mis en élevage. « Le vison pour sa fourrure. Mais aussi le chien viverrin. Petit animal d’Asie du Sud-Est, il a été mis en élevage de manière intensive en Russie pour sa fourrure dans les années 1950, des individus s’en sont échappés et l’espèce est désormais endémique en Europe. Depuis quelques années, il est aussi massivement élevé en Chine. On en rajoute toujours plus », insiste Serge Morand. La piste du pangolin, comme hôte intermédiaire, passeur entre la chauve-souris réservoir du Sars-COV-2 et l’homme, est de plus en plus remise en question. « Une étude a montré que le chien viverrin était un bien meilleur candidat », pointe le chercheur.
Au final, « des animaux sauvages et domestiques qui ne se trouvaient pas en contact le sont. Et un des facteurs principaux du risque dans les émergences de maladies infectieuses, c’est le contact », remarque Hélène Soubelet. Mais comment cela se passe-t-il ? Schématiquement, en déforestant, on détruit l’habitat naturel d’espèces sauvages pour faire de l’élevage, du pâturage ou du soja, qui nourrit le bétail partout dans le monde. « Des corrélations claires ont été faites entre déforestation et épidémies », appuie Serge Morand.
Nipah, un bon candidat
Les animaux domestiqués servent aussi de pont épidémiologique. L’émergence du virus Nipah associe tous ces éléments. En 1998, en Malaisie, des ouvriers agricoles et d’abattoirs sont atteints de vomissements, fièvres, altération de la conscience. « Il y avait eu d’importantes déforestations et l’installation d’élevages porcins sur ces terres “libérées”. On pense que les porcs ont été exposés à l’urine et aux déjections des chauves-souris frugivores chassées de la forêt et attirées par les arbres fruitiers des exploitations agricoles de la région. Le virus est ensuite passé à l’humain », raconte le vétérinaire.
Nipah est un paramyxovirus, ce sont de « bons candidats à l’émergence ou à la réémergence, tout comme les coronavirus ou les virus de grippe », poursuit le spécialiste de santé vétérinaire. Avant le Sars-COV-2, un autre coronavirus de chauve-souris avait émergé, en 2016, en Chine, dans les élevages de cochons, c’est le SAD-COV. « Une étude le mois dernier dans la revue “Pnas” montre que, in vitro, il peut infester tous types de cellules humaines et s’y répliquer… Le virus a donc les propriétés suffisantes à son émergence potentielle chez les humains. Aujourd’hui, il circule très bien dans les élevages en Chine », révèle Serge Morand.
L’ombre des grippes aviaires
Parmi les autres virus qui inquiètent les virologues, ceux de la grippe. « Dans le monde aviaire et particulièrement celui les oiseaux aquatiques sauvages, il y a une grande diversité de souches de virus de la grippe, dont ils sont naturellement porteurs. Régulièrement, il y a un passage aux volailles domestiques, qui, elles, n’ont pas d’immunité », explique François Meurens.
Le problème aussi, c’est que, par des phénomènes de réassortiments génétiques, ces virus peuvent intégrer des éléments d’autres virus, notamment de la grippe humaine ou porcine. « Ce qui s’est passé lors de la grippe H1N1, la grippe espagnole, c’est probablement un réassortiment à partir d’un virus aviaire qui a tué plus de 50 millions de personnes à la faveur de conditions sanitaires dégradées dues à la Première Guerre mondiale », raconte Hélène Soubelet. Après les premières épidémies de grippe aviaire, en France, les grands plans pandémie se sont focalisés sur ces grippes et la probabilité d’une recombinaison du virus aviaire avec le virus grippal humain.
Démondialiser l’agriculture
La France vient de passer en zone à risques pour un virus aviaire. « Le H5N8, qui sévit actuellement, est un sous-type hautement pathogène. S’il y a une contamination dans un élevage, il y a un risque de forte mortalité pour les volailles et canards. Pour essayer d’arrêter la propagation à d’autres élevages, on peut recourir à des abattages. Plus le virus circule, plus il y a un risque de réassortiment avec d’autres souches virales et, potentiellement, un risque pour l’homme. Pour le moment, il n’est pas important », rassure François Meurens.
En attendant, les volailles sont confinées, les contacts limités. « À chaque fois, les mesures de biocontrôles et d’abattages massifs sont les seules réponses », dénonce Serge Morand. Mais pour le chercheur, il faut avant tout démondialiser l’agriculture en la sortant des traités de libre-échange qui font circuler les animaux et les maladies, tout comme s’attaquer aux causes : la déforestation. « Il va surtout falloir limiter la pression humaine sur les écosystèmes », met en garde Hélène Soubelet. Sans cela, le dernier rapport de l’Ipbes, le GIEC de la biodiversité, sorti le 29 octobre, a prévenu : « Il y aura plus de pandémies, plus fréquentes et plus mortelles. »
LEXIQUE
Épizootie : Maladie qui affecte et se transmet aux animaux.
Zoonose : Maladie ou infection qui se transmet des animaux vertébrés à l’homme, et inversement. Il n’y a pas de contamination interhumaine.
Épidémie : Propagation d’une maladie infectieuse contagieuse qui frappe en même temps et en grand nombre des personnes.
L’antiobiorésistance, l’autre « menace sanitaire mondiale »
Dans l’industrie de l’élevage, les antibiotiques, c’est presque automatique. Avec autant de bêtes concentrées, il faut les traiter, essentiellement en préventif. Il faut dire que, dans les années 1950, les zootechniciens ont découvert que l’ajout de petites dosesd’antibiotiques dans l’alimentation facilitait la croissance des animaux. Ainsi, dans le monde, 70 % des antibiotiques utilisés sont consommés par des animaux d’élevage. C’est une des principales causes de l’antibiorésistance.
Pour l’OMS, c’est une « menace sanitaire mondiale ». Une étude parue en 2018 a rassemblé des données issues de 900 analyses produites dans le monde entier entre 2000 et 2018. En dix-huit ans, le nombre de bactéries qui ne répondent plus aux traitement a triplé. La méticilline est l’un des antibiotiques les plus utilisés dans l’élevage industriel.
Le Sarm, le staphylocoque auréus réistant à la méticilline, explose depuis trente ans. Il provoque chez les humains des infections allant jusqu’au choc toxique. Il n’y a plus de traitement efficace. Chaque année, aux États-Unis, 19 000 personnes en meurent, plus que du sida. En France, l’utilisation d’antibiotiques sur les animaux d’élevage a globalement baissé (-14 %) en 2019, selon un rapport de l’agence nationale de sécuritaire sanitaire (Anses) publié le 18 novembre, mais « cette baisse risque de stagner dans les années à venir, à moins de modifier en profondeur certaines pratiques d’élevage », avertit l’Anses.
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