L’un des plus grands noms de la BD américaine (mais pas seulement) underground (pas seulement non plus), Richard Corben, est décédé le 2 décembre, à l’âge de 80 ans, a annoncé sa femme, quelques semaines après la sortie de son dernier ouvrage, Murky worlds. Il a marqué de son empreinte des générations de dessinateurs et de lecteurs, en France notamment, où son immense talent lui avait valu plusieurs récompenses, notamment un Grand Prix d’Angoulême en 2018 (après le prix du dessinateur étranger en 1976), et la reconnaissance du public.
Corben avait étudié le dessin au Kansas Art Institute, pour se consacrer dans un premier temps au cinéma d’animation. Mais c’est dans les ateliers de comics qu’il apprendra réellement son métier. Que de chemin parcouru depuis sa première série, Fantagor, autopubliée ! Dans les années 1970, il entre chez Warren publishing, et met son talent au service de Vampirella, Creepy et autres histoires fantastiques, d’horreur ou de science-fiction. Son talent traverse l’Atlantique : repéré par le magazine français Actuel, il y publie en 1972 les premières images de celui qui deviendra son héros récurrent, Den. Une série fantastique centrée sur un jeune homme intello, maigrichon et un peu naïf, qui en intégrant le monde parallèle de Neverwhere, devient un gros-plein-de-muscles qui vit d’incroyables aventures la plupart du temps nu comme un ver. L’imagerie tient à la fois aux univers de Robert Howard (le mythe hyboréen), d’Edgar Rice Burrough (pour les décors inspirés de la planète Barsoom), avec un léger saupoudrage de H.P. Lovecraft. Sans dénigrer le potentiel érotique, qui a suscité pas mal d’émois chez nombre d’adolescents des années quatre-vingt (Den s’est baladé jusque dans les années 2000). « La nudité et la sexualité outrancière des Den répondaient à l’esprit de rébellion et à la nature hédoniste qui m’animaient à l’époque, avait expliqué Corben au magazine Kaboom. Je voulais créer un personnage qui soit le plus épique possible, avec une sexualité plus frontale que tout ce qui avait été fait auparavant en bande dessinée. Ce qui impliquait de bousculer les limites de l’esprit libertaire de la BD underground. »
Après Actuel, Den sera accueilli, dès 1975, par Métal Hurlant. Corben y fera la connaissance de Moebius, Philippe Druillet, Jean-Pierre Dionnet… Il sera d’ailleurs l’un des piliers de béa y Métal, la déclinaison anglophone du magazine, toujours publiée à ce jour. Druillet dira de lui qu’il était « un zombie de l’image, un dingue aux images puissantes, folles et d’une justesse non contestable ». Cinquante ans durant, il a mis son talent au service de toutes les maisons d’édition de comics, des plus connues du grand public (Marvel pour The Punisher ou Hulk, DC pour Batman) aux adulées des seuls connaisseurs (Dark Horse, Vertigo) ; des américaines aux françaises (Les humanoïdes associés, Les éditions du Triton, Futuropolis…).
Richard Corben n’a jamais posé sa plume, marquant de son trait à mi-chemin entre « caricature grotesque et réalisme exacerbé », selon Comics blog. Dans les années 2000, il a beaucoup adapté Conan, donnant une nouvelle dimension et de fantastiques développements à l’univers de Howard, mais aussi de nombreux écrits de Lovecraft, d’Edgar Allan Poe… De la bande-dessinée « sans compromis artistique ou philosophique », pour un auteur « resté éternellement fidèle à ses obsessions de jeunesse », écrit Comics Blog. Au total, il laisse plus de 5 000 planches, et plus d’une centaine d’œuvres. De quoi tapisser les murs fictifs du Temple de la renommée Will Eisner, où il était entré en 2012…
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