Avec le coronavirus et le confinement, le scandale des inégalités sociales éclate

Soignants, fonctionnaires, prolétariat urbain endiguent l’épidémie tandis que les classes supérieures fuient. Il faudra s’en souvenir. Il faudra que justice se fasse.

SEBASTIEN BOZON via Getty Images
À l’hôpital Emile Muller de Mulhouse, surchargé par les cas de coronavirus, des soignants emmènent un patient vers un hélicoptère médical pour l’évacuer vers un autre hôpital, le 19 mars 2020.

 

Je suis sociologue, je ne suis pas Covid19, ou alors je ne le sais pas encore. Pour l’instant, j’ai de la chance, je suis confinée dans mon appartement en ville avec mon mari et mon fils de cinq ans, à qui je fais la classe en même temps que je “télétravaille”, par fractions de journée. Ma sœur, elle, est confinée dans 60 m2 à Paris avec sa fille de 4 mois et son conjoint (jeune, sportif, brillant, mobilisé dans le secteur de la santé depuis plusieurs semaines) testé positif au covid19, dont les symptômes peinent à se stabiliser. Leur vie est un enfer depuis huit jours maintenant.

Mais ce que je vois au jour le jour sur les réseaux sociaux, les chaînes Whatsapp, Instagram, Facebook me tient en horreur.

Ce miroir grossissant de notre société m’empêche de dormir. J’ai honte. La crise sanitaire majeure que nous vivons aggrave dans des proportions inédites les inégalités sociales. Elle les décuple à tous les points de vue, en même temps qu’elle les rend visibles, palpables, immédiates: conditions de vie, exposition à la maladie, gestion de la vie domestique, de la parentalité, du travail éducatif. Les personnels de soin, les fonctionnaires (police, professeurs), mais aussi le prolétariat urbain (éboueurs, agents de sécurité…) sont en première ligne pour endiguer l’épidémie de covid19 et assurer la continuité de la vie sociale (sécurité des personnes, des musées, etc.) tandis que les classes supérieures, surexposées initialement au virus par leur nombre élevé de contacts sociaux et la fréquence de leurs voyages, ont déserté les villes pour se mettre à l’abri. Et de cela, nous ne parlons pas.

Ils curent une maladie de cadres supérieurs mais sont, par les processus profonds de ségrégation urbaine, de montée des inégalités, de casse des services publics, exclus des formes récentes d’enrichissement.

Le confinement imposé depuis mardi midi décuple en effet les inégalités de conditions de vie: petites surfaces, logements surpeuplés ou insalubres, sont le fait des étudiants logés en résidence universitaire ou dans le parc privé (chambre de bonne, studio, souplex…), mais aussi des classes populaires et des classes moyennes qui habitent dans les métropoles et peinent, depuis près de dix ans (hausse du marché locatif privé et des prix à l’achat), à se loger et à se maintenir dans les centres urbains. Des logements parfois tout juste suffisants pour répondre à la norme du “logement décent” défini par la loi SRU. Mais les logements qui se sont vidés suite à l’exode sanitaire ne sont pas ceux-là. Non, ce sont les logements spacieux, lumineux, propres, connectés, des arrondissements aisés de la capitale, des logements habités par les familles de classes supérieures parties se mettre au vert dans une résidence secondaire, ou alors dans une villa connectée à internet, louée pour l’occasion.

En première ligne, dans les villes, les personnels soignants et les fonctionnaires gèrent donc l’urgence médicale au quotidien, et assurent la continuité de la vie sociale (écoles, sécurité des musées et du patrimoine de l’État, administrations, etc.). Ces personnels ont obligation de résidence. Ils ne peuvent pas fuir. Et parfois ne le veulent pas, conformément à leur éthique et à leur mission de “service public”.

Mais tandis que les personnels soignants sont mobilisés et que les salariés modestes nettoient et approvisionnent nos villes, jour et nuit, au risque d’être contaminés à leur tour, leurs enfants, pendant ce temps, ne sont pas au vert. Non, ils sont confinés dans ces mêmes appartements étroits, quand ils ne sont pas accueillis dans des structures de garde d’urgence laissées ouvertes à leur intention. Leurs parents ne pourront pas assurer la continuité pédagogique proposée en urgence par le ministre de l’éducation. Il leur est, dans ces conditions matérielles et professionnelles, impossible d’assurer le travail éducatif et parental requis. Mais à qui servent-elles, au final, ces injonctions de “continuité pédagogique”? Car les cours en ligne demandés aux professeurs sont en réalité pris en charge par de nombreux vacataires de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur (ATER, chargés de TD, vacataires…), aux conditions de vie elles-mêmes dégradées, comme l’ont médiatisé récemment les nombreux mouvements contre la réforme des retraites et la LPPR. À bien y réfléchir, comment la continuité pédagogique ne pourrait-elle pas nourrir les inégalités? Suivre un cours sur un téléphone portable n’a jamais été facile, tandis que disposer d’un ordinateur portable, d’une chambre à soi, d’une imprimante, reste un bien très inégalement partagé. De cela, il faudra se souvenir après la crise.

Suivre un cours sur un téléphone portable n’a jamais été facile, tandis que disposer d’un ordinateur portable, d’une chambre à soi, d’une imprimante, reste un bien très inégalement partagé.

Enfin, il y a bien sûr les inégalités d’exposition au risque de contamination au covid19. Ceux et celles qui sont en première ligne – infirmières, médecins généralistes, aides-soignantes, brancardiers, mais aussi blanchisseurs, personnels de nettoyage- s’occupent de soigner, nettoyer, laver, récurer, endiguer la montée du coronavirus dans la population française. Ils curent une maladie de cadres supérieurs mais sont, par les processus profonds de ségrégation urbaine, de montée des inégalités économiques, de casse des services publics, durablement exclus des formes récentes d’enrichissement. De cela aussi, il faudra se souvenir après la crise.

Et pendant ce temps, les départs au vert s’accélèrent (enfin, jusqu’à hier midi). Les arrondissements riches de Paris se sont vidés de leurs familles. Pouvait-il en être autrement? Devaient-ils rester à Paris? Aider un voisin âgé à faire ses courses, ou un jeune couple atteint par le confinement total? Ou partir dans une résidence secondaire permettait-il de faire baisser la pression sur les lits des hôpitaux déjà presque saturés de la région parisienne? Mais n’allaient-ils pas transporter  avec eux (dans les commerces locaux de campagne et de station balnéaire) le fameux virus dont ils étaient potentiellement porteurs?

Il faudra que justice se fasse, non pas individuellement, mais à l’échelle collective. Je veux dire qu’il faudra lever un impôt spécial sur la fortune pour réparer, rattraper, compenser les inégalités, et payer les soins sans faille apportés par les personnels soignants et l’ensemble des fonctionnaires (police, professeurs, gardiens) mobilisés dans la gestion de la crise et la continuité de la vie sociale.

Il faudra que justice se fasse, non pas individuellement, mais à l’échelle collective.

Je veux aussi dire qu’il faudra investir massivement dans les hôpitaux, l’école et l’université pour rattraper notre retard, et préparer notre avenir avec des infrastructures dignes. Emmanuel Macron a rappelé qu’ils étaient le socle fondamental de notre société, le ferment de notre République; il a annoncé dans son discours de lundi soir qu’il y aura un avant et un après coronavirus. J’espère que notre gouvernement saura rendre justice aux équipes médicales et à l’ensemble des salariés mobilisés. Il faut qu’il y ait un avant et un après. Il doit y avoir un avant et un après. Pour ne pas que cette crise sanitaire et humaine majeure n’ait servi à rien.

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Coronavirus : le jour de carence des fonctionnaires ne sera, pour l’instant, pas suspendu

Défavorisés par rapport aux salariés du privé, les fonctionnaires atteints par le Covid-19 bénéficient du maintien de leur rémunération à partir du deuxième jour d’arrêt maladie seulement.

« A ce stade, pas d’évolution. » La réponse du cabinet d’Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat notamment chargé du dossier de la fonction publique, est laconique. Le jour de carence qui s’applique aux fonctionnaires depuis 2018 ne sera pas suspendu le temps de l’épidémie causée par le coronavirus. Les agents publics qui se trouvent en congé maladie du fait du Covid-19 ne bénéficieront du maintien de leur rémunération qu’à partir du deuxième jour d’arrêt.

Cinq syndicats de fonctionnaires (CGT, Fédération autonome, FO, FSU, Solidaires) ont écrit au premier ministre, mardi 17 mars, pour lui demander que l’abrogation de cette « mesure vexatoire » soit incluse dans le projet de loi d’urgence. Mais le texte adopté par le conseil des ministres, mercredi, ne prévoit rien de la sorte.

« C’est une situation absolument invraisemblable, s’agace Jean-Marc Canon, secrétaire général de la CGT-Fonction publique. Je n’arrive pas à comprendre cet entêtement. » Un agent, souligne M. Canon, qui devra rester chez lui pour télétravailler ou garder ses enfants sera payé intégralement. Mais le jour où il tomberait malade du Covid-19, il perdrait une journée de salaire.

Souplesse demandée

Par ailleurs, écrivent les syndicats dans la lettre envoyée à Edouard Philippe, « l’engagement avait été pris devant toutes les organisations », par Olivier Dussopt, de ne pas appliquer le jour de carence. « Ce dernier pourtant est revenu ensuite sur cet engagement à un moment où toute tergiversation n’est plus acceptable, regrettent-ils dans la même missive. Dans une crise sanitaire qui coûtera des milliards à l’économie française, récupérer de l’argent sur le dos de fonctionnaires malades serait très loin des propos du président de la République sur la solidarité et la responsabilité. »

Selon la CGT, le secrétaire d’Etat a promis d’envoyer une circulaire aux employeurs publics pour leur demander de faire preuve de souplesse et de ne pas appliquer le jour de carence pendant l’épidémie. Mais une circulaire « n’a pas force de loi », rappelle Jean-Marc Canon.

C’est ce que confirme Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale : « Ça ne marche pas, les circulaires, explique-t-il. C’est une loi qui a instauré le jour de carence pour les fonctionnaires, c’est elle qui s’impose à nous. »

La coordination des employeurs territoriaux, dont M. Laurent est porte-parole, demande également la suspension du jour de carence. Une question de symbole et d’« équité avec le privé où les employeurs ne l’appliquent pas de fait ». Bref, les fonctionnaires sont défavorisés par rapport aux salariés du privé, car leurs employeurs publics sont tenus par la loi et n’ont pas la même souplesse.

Mais tout n’est pas perdu. Lors de l’examen, jeudi 19 mars au Sénat, du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie, un amendement sénatorial devrait proposer de faire du Covid-19 un motif légal d’exception, permettant de ne pas appliquer le jour de carence aux fonctionnaires. « Olivier Dussopt y est favorable, assure une source proche du dossier, mais ce n’est pas le cas de tout le monde au gouvernement. Cet amendement permettra peut-être de faire bouger les choses. »

Coronavirus : Les travailleurs doivent être protégés !

Face à une crise sanitaire sans précédent dans l’histoire récente de notre pays, une part importante de notre population est confinée depuis hier midi afin de limiter la propagation rapide du Covid-19. Mais beaucoup de salarié-es sont aussi les premiers au front pour répondre aux besoins vitaux de la population.

Nous pensons aux personnels de santé qui tentent de répondre aux mieux à l’urgence dans des conditions de travail dégradées comme ils le dénoncent depuis un an.

Nous pensons aux agents de l’état, des collectivités locales, qui assurent les missions régaliennes et les solidarités sur les territoires qui sont essentielles dans cette période. Ils font chaque jour la démonstration du rôle indispensable de nos services publics.

Nous pensons à tous ceux qui doivent continuer de produire et travailler pour nous permettre de manger, de nous déplacer, d’accéder à l’énergie.

Nous saluons leur engagement, leur courage, nous les remercions pour leur sens des responsabilités et de l’intérêt général.

Nous exigeons que les conditions sanitaires les plus essentielles soient respectées afin de les protéger.

Par ailleurs, sur tout le territoire national, de trop nombreuses entreprises continuent de produire et fonctionner au détriment de la santé de leurs salariés, parfois même dans des entreprises où des salariés ont été dépistés positifs au COVID-19

Cela doit cesser : Seul ce qui est essentiel doit fonctionner.

Le confinement doit s’étendre rigoureusement à tout le reste afin de répondre efficacement au défi qui est devant nous. Fabien Roussel s’adressera en ce sens au premier ministre afin que celui-ci définisse plus clairement les secteurs stratégiques et les mesures de protection au travail, afin que nul ne puisse déroger aux règles qui permettent d’épargner des vies.

La situation d’urgence ne peut se traduire par un confinement du droit des salariés.

Partout en France, chez Amazon, sur le chantier de Saint-Nazaire, comme chez Alstom, des salarié.e.s sont conduits à utiliser leur droit de retrait, à débrayer parce qu’ils refusent d’aggraver une situation sanitaire déjà grave. Nous sommes à leur côté.  A l’heure où le président de la République semble découvrir l’importance du service public, nous exigeons qu’il prenne les mesures pour protéger tous les travailleurs, toutes les travailleuses, leur santé et leurs droits sociaux.

Nous sommes fiers des travailleurs de notre pays. Ils sont à la hauteur de la crise que nous connaissons. Protégeons les !

Santé. Les hôpitaux entre énergie du devoir et colère du désespoir

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Depuis un an, les personnels paramédicaux et médicaux sont mobilisés contre la casse du service public du soin et de la santé. Ils ont pris comme une claque le « quoi qu’il en coûte » et « la santé n’a pas de prix » proférés par Emmanuel Macron.

Ils feront face. Bien sûr que les personnels des hôpitaux publics feront face aux conséquences sanitaires du coronavirus, comme Emmanuel Macron les a à nouveau exhortés à le faire lors de son allocution de jeudi. D’ailleurs, ils font déjà face. Dans l’urgence, comme à Mulhouse, premier point d’impact du tsunami de cas graves que les autorités sanitaires nous prédisent (voir en page 4). Partout ailleurs aussi. À mesure que les stades successifs du plan blanc ont été déclenchés, le système public s’est lancé dans une course contre la montre de redéploiement et d’adaptation de ses capacités de prises en charge.

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