Marcel Paul, un projet en héritage
Il y a quarante ans, l’ancien déporté, le résistant, le syndicaliste, le ministre communiste de la nationalisation d’EDF-GDF mourait, à l’âge de 82 ans.
Le 11 novembre 1982, Marcel Paul est décédé, victime d’une crise cardiaque dans son HLM de L’Île-Saint-Denis, au retour de la manifestation commémorative où il avait rappelé à François Mitterrand la nécessité de régler définitivement la situation des déportés et internés. Huit jours plus tard, par milliers, les déportés et leurs familles, ainsi que les électriciens et gaziers lui rendaient hommage au Père-Lachaise, témoignant de sa popularité. Il s’agissait d’honorer un homme de son temps. Marcel Paul, c’est tout à la fois l’ouvrier électricien syndicaliste, le ministre communiste, le résistant de la première heure, le déporté.
Quarante ans après, un détour par son action est libérateur : il permet de stimuler notre imaginaire et d’entrevoir des possibles. D’abord, son action aura permis d’anticiper ce qui est devenu un enjeu majeur. L’énergie, sa maîtrise publique, en particulier l’électricité, doit devenir un bien commun universel. Les enjeux climatiques actuels et les conséquences du conflit en Ukraine montrent combien l’électricité doit échapper à la règle du profit et relever de la propriété publique.
Jean Ferrat a chanté « Nul ne guérit de son enfance ». C’est particulièrement vrai de celui qui, né en 1900, enfant de l’Assistance publique de Paris, a vécu sa jeunesse dans des familles d’accueil paysannes de la Sarthe. S’il a trouvé chez certaines d’entre elles l’affection, ce qui l’a marqué pour la vie, c’est l’injustice et les discriminations.
Après son engagement dans la marine nationale, seul moyen d’échapper à sa condition, il y acquiert son diplôme d’électricien. Il a eu cette formule : « Je suis enfin devenu un ouvrier. » Cela témoignait de cette fierté de vivre digne avec la classe ouvrière. Marcel Paul fera son éducation politique dans cette période où les mutineries se développent pour améliorer le traitement des marins et pour protester contre l’intervention française à l’encontre des bolcheviques qui ont pris le pouvoir en Russie.
« Un des vôtres »
Son embauche à la Compagnie parisienne de distribution électrique, en 1923, sera déterminante jusqu’à la fin de sa vie. Quelques mois encore avant son décès, s’adressant aux électriciens et gaziers, il signait : « Un des vôtres. » C’est tout naturellement que l’ouvrier adhère à la CGTU et, quelques mois plus tard, au PCF. Ainsi, il fait partie de cette génération glorieuse qui, non sans contradictions, a forgé un syndicalisme de lutte de classe et donné à la CGT un visage rassembleur et unitaire. Il se voulait avant tout un ouvrier syndicaliste dont l’action devait être prolongée par un engagement politique.
C’est cette fidélité qui a caractérisé son double engagement, fidélité à sa classe et à ses valeurs. Elle l’a parfois conduit à épouser certains errements, même si chez lui il y avait une grande indépendance d’esprit – ce qui lui a été parfois reproché.
Son œuvre est multiple, mais ce que l’on retient, c’est la nationalisation des industries électriques et gazières, et le statut du personnel, facteur de progrès social et de bien-être pour tous. Dès 1937, il porte cette double revendication. À cette période, il contribue à mettre en place un syndicalisme spécifique confédéré, facteur de rassemblement et d’efficacité de l’activité syndicale et de l’action revendicative.
Pionnier de la Résistance, il contribue dans l’Ouest à la reconstruction clandestine de l’organisation communiste, avec la mise en place de l’Organisation spéciale (OS), composante des futurs FTP. Arrêté en novembre 1941, il ne retrouvera la liberté que mille jours plus tard, après avoir connu l’enfer de l’appareil répressif nazi : la Santé, Fontevraud, Blois, Compiègne, Auschwitz et enfin Buchenwald. Il témoignera, au nom du PCF, sur le rôle de la police de Vichy au procès de Pétain. Six mois après avoir été libéré de l’enfer concentrationnaire nazi, il est élu député de la Haute-Vienne, puis nommé ministre de la Production industrielle, un poste des plus importants pour une France en reconstruction.
L’énergie, un bien commun
Ainsi, le ministre communiste pourra donner du contenu à la revendication qu’il portait comme secrétaire général de la Fédération de l’énergie CGT, reprise dans le programme du Conseil national de la Résistance (CNR). La nationalisation d’EDF et GDF n’a aucun caractère conjoncturel, mais en permettant la création de deux entreprises nationalisées et intégrées de la production à la distribution, elle tient compte du rôle de l’énergie dans la vie quotidienne qui doit échapper à la sphère du marché. C’est ce qui fait la modernité de la loi du 8 avril 1946 et l’actualité des valeurs et des concepts qu’elle porte, et sa réussite pendant près d’un demi-siècle.
Au moment où la question du travail est mise en débat, il est utile de rappeler que le statut, deuxième pilier de l’édifice nationalisé, prévoyait des droits d’intervention particuliers pour le personnel, condition d’une réussite de la nationalisation et de son efficacité économique, industrielle et sociale. Aujourd’hui, la FNME-CGT porte la revendication du retour à deux Epic (établissements publics à caractère industriel et commercial) 100 % publics et un statut de l’énergéticien. Il s’agit de faire échapper le gaz et l’électricité à la sphère du marché par une nationalisation nouvelle à finalité, propriété et contenu sociaux.
Homme de son temps et passeur de mémoire, Marcel Paul nous a laissé en héritage un véritable projet d’une grande modernité et efficacité.
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