Claude Lelièvre revient sur les déclarations de Gabriel Attal en matière de laïcité, « dans la continuité malsaine de ses déclarations à l’emporte-pièce ».  « La déclaration de Gabriel Attal sur l’unicité de ’’la laïcité’’ en France va encore plus loin que des annonces quelque peu ‘’forcées’’ pour se faire remarquer, car c’est un déni pur simple de ce qui existe depuis longtemps, de sa complexité, afin d’en imposer en prétendant être le serviteur rigoureux d’une essence de « la laïcité » alors même que, dans la réalité, il n’en est rien » écrit l’historien dans cette tribune.

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Description générée automatiquement Dans la continuité malsaine de ses déclarations à l’emporte- pièce, Gabriel Attal a affirmé le 6 mars dernier devant l’Assemblée nationale qu’« il ne peut pas y avoir de laïcité à la carte ».

Alors, ou bien c’est un déni de réalité quasi forcené car la dite ‘’laïcité à la française ‘’ est de fait à géométrie variable ; ou bien il compte y mettre bon ordre : supprimer le Concordat en ‘’Alsace-Lorraine’’ et appliquer la loi de 2004 concernant le port de signes religieux aussi bien dans l’enseignement scolaire privé sous contrat que dans l’enseignement scolaire public – ou supprimer cette loi.

On s’est habitué, bien à tort, aux annonces péremptoires de Gabriel Attal, notamment lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale, à ses affichages hyperboliques de « priorités » à tout bout de champ. C’était avant tout de la ‘’gonflette’’, qui contribue déjà à miner le sérieux du débat public.

On peut rappeler sommairement que son défilé des « priorités » a commencé dès son discours d’intronisation au ministère de l’Éducation nationale le 20 juillet 2022 : « Les absences de professeurs non remplacés seront ma priorité ». Une semaine après, le 27 juillet, il proclame qu’il a « fixé la lutte contre le harcèlement moral comme la priorité absolue » de son ministère. Le 28 août, il affirme que : « la première priorité est d’élever le niveau des quelques 11 993 500 élèves des écoles, collèges et lycées » . Le 22 octobre, Gabriel Attal met encore en avant avec une nouvelle  »priorité’’ : « ma priorité, mon obsession, c’est que de nouvelles mesures soient prises pour la protection des élèves et des professeurs […] Je vous le redis, la priorité de protéger les élèves et les professeurs, c’est cela mon obsession ». Et on pourrait continuer…

Mais la déclaration de Gabriel Attal sur l’unicité de ’’la laïcité’’ en France va encore plus loin que des annonces quelque peu ‘’forcées’’ pour se faire remarquer, car c’est un déni pur simple de ce qui existe depuis longtemps, de sa complexité, afin d’en imposer en prétendant être le serviteur rigoureux d’une essence de « la laïcité » alors même que, dans la réalité, il n’en est rien.

Ce type de déclaration fausse gravement le débat public – à peu de frais , sans doute, parce ce qu’il se nourrit de la méconnaissance de beaucoup sur le sujet. Et Gabriel Attal n’a pas hésité à être péremptoire à l’instar d’un ‘’camelot du roi’’ et non d’un vrai républicain en concluant :« de la même façon qu’il n’y a qu’une seule République, il n’y a qu’une seule laïcité »

Lorsque la loi de 1905 qui a mis fin au régime du Concordat a été adoptée, ‘’l’Alsace-Lorraine’’ était alors annexée à l’Empire allemand. Lorsqu’elle est redevenue française, en 1918, c’est le régime du Concordat qui avait été adopté en 1802 qui y a été maintenu. Le gouvernement du Bloc des gauches a tenté en 1924 de l’y supprimer, mais a échoué devant une réaction très vive ‘’nationaliste’’ qui voyait avant tout dans la situation un retour à la ‘’mère patrie’’ de ‘’l’Alsace-Lorraine’’ par-delà certaines différences. La situation n’a guère évoluée depuis un siècle, signe qu’il est sans doute difficile de sortir de cette impasse historique.

On peut à cet égard rappeler le pas de clerc de François Hollande à l’élection présidentielle. Fin 2011, il dit vouloir « constitutionnaliser » la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Mais les vives réactions rencontrées le conduisent à préciser le 26 janvier 2012 que cette mesure s’appliquerait « sous réserve des règles particulières en Alsace et Moselle »

En tout état de cause, cette incohérence montre que la logique et le souci de cohérence en prennent beaucoup à leur aise en l’occurrence. On est très loin de ce qui a été soutenu par Gabriel Attal : « il ne peut y avoir une laïcité à la carte »

Il en est tout à fait de même pour l’application de la loi du 15 mars 2004 « sur le port des signes ou des tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » qui n’est nullement obligatoire pour les établissements d’enseignement privés même sous contrat.

Certes, la loi Debré garantit à ces établissements privés sous contrat leur « caractère propre ». Mais il est affirmé à l’article premier de cette loi que « l’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect de la liberté de conscience ; tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance y ont accès ».

Ou bien la loi de 2004 n’est pas jugée nécessaire pour assurer la « liberté de conscience » dans les établissements privés sous contrat, et alors cette loi ne doit pas logiquement être jugée nécessaire pour les établissements d’enseignement publics. Ou bien la loi de 2004 est jugée nécessaire pour assurer au mieux la liberté de conscience dans les établissements d’enseignement publics, et il faut qu’elle soit aussi d’application obligatoire dans les établissements d’enseignement privés sous contrat.

Claude Lelièvre