Cyril Mokaiesh : «Cette société va droit vers son chaos»

Entretien réalisé par Victor Hache
Cyril Mokaiesh : « Je crois aux hommes, qu’on a un temps de passage sur Terre et qu’on a des choses à y faire. » Photo : Léonce Barbezieux

Cyril Mokaiesh : « Je crois aux hommes, qu’on a un temps de passage sur Terre et qu’on a des choses à y faire. » Photo : Léonce Barbezieux

L’interprète de Communiste revient avec Clôture. Un album fort et émouvant, mêlant romantisme, manifeste et regard politique où il parle de l’austérité de l’époque, de l’Europe, du FN ou des attentats, porté par un salvateur vent de révolte contre l’ordre du monde qu’il rêve de réinventer.

Un manifeste, un besoin de parler de l’époque, de ses rêves brisés et de ses violences sociales… Comment doit-on entendre Clôture  ?

Cyril Mokaiesh Il y a peut-être dans ce mot le sentiment d’enfermement de la vie dans laquelle on évolue. Ce sont les chants d’un partisan, un manifeste de quelqu’un qui doute, se pose des questions. Quelqu’un qui n’est pas toujours à l’aise avec son temps, son époque, un peu méfiant, sceptique du mot progrès, médias, politique, du mot amour parfois. Quelqu’un qui a ses raisons et ses blessures, qui n’a pas peur de les jeter en musique, en chansons avec comme fil conducteur une espèce de tendresse.

Ce n’est pas exactement comme ça qu’on voyait les choses, donc, qu’est-ce qu’on fait ? Il y a une phrase de Jaurès que j’aime : « Il faut qu’il y ait conscience avant qu’il y ait révolution. » Être un chanteur conscient aujourd’hui, ça me paraît pas très loin de ce qu’évoquent mes textes.

« Parler de son époque est presque un devoir, dites-vous, surtout quand il y a autant de blessures, de tensions, de larmes. » D’où vient ce désir d’engagement de votre part ?

Cyril Mokaiesh J’aurais tendance à dire que j’essaie de faire du beau avec le réel. Je parle de tout en agençant les mots de manière à ce que cela puisse être musical en mettant un point de vue et suffisamment d’ouverture pour que ça reste parfois un point d’interrogation, parfois une colère. Il y a des gens qui trouvent leur exaltation à travers un dieu. Moi, je pense que tout est ici. Je crois aux hommes, qu’on a un temps de passage sur Terre et qu’on a des choses à y faire.

D’un point de vue artistique, ce ne doit pas être évident d’écrire sur des thèmes comme l’austérité, l’Europe, le FN, les attentats…

Cyril Mokaiesh Pour le coup sur cet album, ça a été assez naturel. Je lis les journaux, je regarde les gens autour de moi. Aujourd’hui, il y a un état de fait qui est la crise, l’austérité, l’Europe, l’information, ce qu’on voit à la télé qui nous révolte et parfois nous fait perdre espoir. Ne serait-ce que d’en parler avec des gens ou de ressentir dans sa propre vie le manque de perspective ou la peur de disparaître dans toute cette marée descendante, cela fait prendre la parole, la guitare, la plume pour essayer de dire, en trois minutes, quelque chose qui a un peu de résonance. Le problème est que ce n’est pas tellement à la mode aujourd’hui, la chanson.

Vous trouvez que la chanson a du mal à exister dans les médias ?

Cyril Mokaiesh Oui, vraiment. C’est difficile d’avoir accès à la radio, à la télé. Il faut aller chercher l’information pour savoir ce qui se fait dans l’héritage de la chanson à texte. Heureusement, il y a quelques médias qui jouent le jeu, qui ont des coups de cœur. Je pense à France Inter, Fip, l’Humanité et peut-être d’autres journaux qui s’intéressent épisodiquement à un projet qui leur va. Mais, globalement, c’est dur en ce moment d’embrasser la chanson, de la défendre, de pouvoir en vivre. Chanter tout seul, à deux, adapter les formules… j’y suis prêt. J’ai envie que mon album puisse rencontrer les gens. Maintenant, monter une tournée autour d’un silence, d’une absence dans les circuits, c’est très difficile et ce n’est pas évident de faire bouger les gens.

Quelle lecture faites-vous de la Loi du marché, une chanson forte sur l’Europe (en duo avec Bernard Lavilliers), à laquelle vous reprochez « d’avoir fait le baisemain à l’austérité son Altesse »  ?

Cyril Mokaiesh C’est plus un constat, une colère des vœux pieux de Robert Schuman dont on entend le discours dans la chanson, d’une Europe d’ouverture, de partage, de redistribution, de rêve. On voit aujourd’hui où nous mène le capitalisme. La chanson parle de ceux qui exercent le pouvoir sur ceux qui n’en ont pas. Je dis toujours, il faut arrêter de vouloir donner le pouvoir à ceux qui le veulent. Quand on veut le pouvoir, on se met forcément du côté de ceux à qui on va devoir rendre des comptes, ne serait-ce que pour financer ses campagnes, arriver là où on veut arriver. Et finalement, on ne peut pas tenir ses promesses même quand elles sont aussi claires que « mon ennemi principal, c’est la finance ». On se rend bien compte de l’incapacité, de l’impuissance du politique face à une société établie qui s’appelle le capitalisme. Cela fait vieux altermondialiste de dire ça, mais, en réalité, ce n’est pas autre chose. Pendant ce temps, il y a ceux qui se font délocaliser, qui n’ont plus de boulot, qui sont dans le film la Loi du marché de Stéphane Brizé, qui a fait véritablement un zoom sur ces pauvres gens. C’est se rendre compte réellement dans quel sens marche la vie qui tourne autour de 5 % de personnes qui détiennent 98 % des richesses. Les autres n’ont qu’à bien se tenir, fermer leur gueule. Quand on voit ce qui s’est passé à Air France et le mec qui a arraché la chemise du DRH, on a l’impression qu’il y a une coalition qui se met en place pour montrer de quel côté est la violence, à savoir du côté de celui qui arrache la chemise. Permettez-nous d’en douter ! La violence, elle est du côté de ceux qui font déjà du chiffre d’affaires et se permettent de mettre 5 000 ou 10 000 personnes sur la paille pour se privatiser et faire aussi bien que le concurrent. C’est tout ce système-là qu’il faut arriver à démonter point par point et se dire de notre vivant qu’il y a peut-être une issue possible. En tout cas, je l’espère puisque celle-là ne convient pas.

Dans Je fais comme si, vous semblez regretter qu’il n’y ait plus ni folies ni grands soirs et vous ajoutez « sur la rose évanouie tombe la pluie ». Comme si vous étiez peut-être déçu par la gauche ?

Cyril Mokaiesh Je suis déçu par la gauche du gouvernement. J’aime bien rappeler que les primaires de gauche vont bientôt commencer, mais ce sera exactement pareil. Il faudra mettre 2 euros et adhérer aux valeurs de la droite ! (rires). Mais pour dire vrai, c’est une chanson d’amour. Ce qui est marrant, c’est que je ne peux m’empêcher de parler politique avec engagement dans l’amour et parfois dans des thèmes plus sociaux. Tout se mélange. Quand on porte de l’espoir, qu’on donne sa voix à quelqu’un, c’est comme s’engager en amour et quand tout d’un coup, l’avenir se réduit, la trahison arrive, les belles promesses décrépissent et on en tire les conséquences.

En 2011, dans un article pour l’Humanité vous écriviez « vivre, c’est repousser l’heure de la déception ». C’est une vision profondément pessimiste !

Cyril Mokaiesh C’est vrai que je ne suis pas optimiste. Il y a ce mot de René Char : « La lucidité, c’est la blessure la plus proche du soleil. » Je crois qu’on en a encore pour un bon moment à être spectateurs de cette société du spectacle dont parlait Guy Debord, qui va droit vers son chaos. Dans les derniers instants d’une civilisation ou d’une société qui n’a décidément pas envie de se remettre en question, il y a toujours des beaux moments. C’est après ces moments-là que je cours. On peut imaginer un bateau qui coule et un quatuor à cordes qui continue à jouer pour des amoureux, des rêveurs, des utopistes ou des révolutions. C’est une belle image.

Album Clôture, Un plan simple/Sony Music. Concert, le 28 février à la Maroquinerie Paris 20e. Tél. : 01 40 33 35 05.
Journaliste, chroniqueur culturel à l’Humanité. En charge de la rubrique musiques actue

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