Présidentielle. La droite et son candidat, faux amis des agriculteurs

François Fillon en visite dans une ferme pour son premier déplacement en tant que candidat de la droite. Photo : Denis Allard/Réa

François Fillon en visite dans une ferme pour son premier déplacement en tant que candidat de la droite. Photo : Denis Allard/Réa

François Fillon doit présenter son programme agricole aujourd’hui dans l’Ain. Face à cet électorat historiquement ancré à droite, il précisera ses propositions, dont le décryptage démontre l’illusion d’une défense des intérêts des paysans et l’encouragement du monopole de l’agro-industrie.

Le dos courbé dans son champ de vignes, sécateur en main, Jérôme (le prénom a été modifié) confie sans détour : « Si on vote à droite, c’est parce que les propositions sur le logement social ou les 32 heures, ça ne nous concerne pas. On est souvent propriétaire de notre logement et de nos terres et on fait bien plus que 32 heures. »

Comme ce viticulteur du val de Loire nouvellement installé, le monde agricole vote majoritairement à droite. Lors de la dernière élection présidentielle de 2012, quand 27 % des Français votaient pour Nicolas Sarkozy au premier tour, ce dernier recueillait 44 % parmi les paysans, soit une prime de 17 points. C’est ce que relève une enquête Ifop de février 2014 portant sur les votes paysans. « Ce vote pour l’UMP ne s’est pas accompagné d’une minoration du score des autres candidats de droite et du centre, qui réalisent eux aussi des scores supérieurs à leur moyenne nationale », précise même l’étude, confirmant ce « tropisme droitier » du monde agricole français. Au premier tour de la présidentielle de 2012, le total des voix de droite et du centre atteignait 76,5 % chez les agriculteurs, « soit 21 points de plus que dans l’ensemble de la population ».

Les motivations du vote à droite des agriculteurs sont parfois floues

Pourtant, il n’y a pas de profession aussi hétérogène que celle d’agriculteur. Le rapport de l’Ifop démontre en effet que « si la droite est ultradominante dans les plus grandes exploitations (avec 86 % des voix pour Nicolas Sarkozy dans les fermes de plus de 100 hectares), la situation est beaucoup plus équilibrée avec quasiment du 50-50 dans les exploitations de moins de 30 hectares. (…) Cette variable de la taille d’exploitation étant tout à fait déterminante (au sens quasiment marxiste du terme) du comportement politique des agriculteurs ». Cette frange de petits paysans qui votent à gauche, voire communiste dans certaines régions (Bourbonnais, haute Corrèze ou Haute-Vienne) est néanmoins minoritaire face aux idées réactionnaires et libérales qui, tout en cédant moins qu’ailleurs aux sirènes de l’extrême droite, dominent dans la profession agricole et jusque dans le syndicat majoritaire, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles).

Mais, à l’image de Jérôme, les motivations du vote à droite des agriculteurs sont parfois floues et relèvent souvent du réflexe, voire de la tradition familiale, plutôt que de la réflexion. En témoigne cette confession lors d’une table ronde avec François Fillon au sommet de l’élevage de Cournon, en octobre 2016, ou Michel Schietequatte, qui se présentait comme un chef d’entreprise agricole, déclarait : « Je suis né en politique en 1981, en tant que fils de paysan, quand j’ai vu un socialiste arriver (François Mitterrand – NDLR), j’ai eu l’impression que les Russes arrivaient à la maison le lendemain. »

Cette confiance persistante à l’égard de la droite est pourtant contradictoire avec la réalité des politiques déjà mises en œuvre et du programme que François Fillon compte présenter aujourd’hui lors d’une visite dans l’Ain. Parmi les éléments qu’il propose et qui poursuivent les recettes libérales de ses prédécesseurs, le candidat veut « simplifier drastiquement le droit des entreprises agricoles pour laisser les agriculteurs choisir librement la forme juridique de leur entreprise ». Sous ce leitmotiv, qui prétend permettre aux paysans de mieux gérer leur pluriactivité (méthanisation, vente directe, gîte rural, etc.) se cache en réalité la possibilité pour des capitaux externes à l’agriculture d’y faire leur entrée. C’est donc ouvrir en grand la porte à des structures comme la ferme des 1 000 vaches dans la Somme, financée par un magnat du BTP, ou à la possibilité pour la grande distribution de phagocyter la production, comme Intermarché le fait déjà dans l’atelier d’engraissement de Saint-Martial-le-Vieux (Creuse) à travers sa filiale Jean Rozé ou encore en armant des bateaux de pêche grâce à sa société Scapêche.

Pour Fillon, le principe de précaution « empêche tout progrès»

En dévoyant la volonté légitime des agriculteurs de mettre fin aux distorsions de concurrence avec les pays européens et sous prétexte de financer la protection sociale, François Fillon souhaite ainsi baisser les cotisations sociales pour les agriculteurs et augmenter la TVA de 2 % sur les produits qui ne seraient pas de première nécessité. « Une erreur », selon le président du Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux), Jean Mouzat, pour qui la TVA est l’impôt le plus injuste qui puisse exister. L’agriculteur syndicaliste souhaite au contraire qu’un pourcentage soit appliqué sur les bénéfices des sociétés de l’agroalimentaire pour financer la protection sociale.

Un peu plus loin dans ses propositions, l’ex-premier ministre de Nicolas Sarkozy déclare vouloir supprimer de la Constitution le principe de précaution, qui selon lui « empêche tout progrès, toute innovation, toute expérimentation, et même toute recherche ». Une proposition qui tombe à pic pour combler les souhaits de la puissante FNSEA, pour qui « l’application abusive du principe de précaution empêche la recherche et l’innovation ». De là à y voir une connivence il n’y a qu’un pas, tant « le président du syndicat a une vision libérale de l’agriculture », selon le porte-parole de la Confédération paysanne, Laurent Pinatel. D’autant que de nombreux responsables locaux des FDSEA sont aussi souvent élus ou candidats sous les couleurs du parti « Les Républicains » (LR).

La droite veut laisser les paysans dans les mains de l’agro-industrie

À l’inverse, Jean Mouzat propose de protéger et de renforcer ce principe de précaution ainsi que de développer la recherche publique grâce au CNRS plutôt que de laisser la recherche dans les mains de sociétés privées, comme veut le faire la droite en rendant les exploitations agricoles éligibles au crédit d’impôt recherche. L’abaissement des normes, que François Fillon ne manque pas de proposer aux paysans pour leur permettre de continuer à protéger leurs cultures à grand renfort de produits phytosanitaires, rendrait en fait les paysans « toujours plus dépendants des agro-industriels », s’inquiète Laurent Pinatel. Quant aux traités de libre-échange (Tafta, Ceta, etc.), à travers lesquels les élevages bovins et porcins, déjà extrêmement fragilisés, seront mis en concurrence avec des dizaines de milliers de tonnes de viande issue de fermes-usines qui entreront sur le marché sans droits de douane, François Fillon n’en souffle mot dans les 11 pages de son programme. Pourtant ce sont bien les députés LR au Parlement européen qui ont été à chaque fois les promoteurs zélés de ces traités transatlantiques. Face à eux, les élus de la Gauche unitaire européenne (GUE-NGL) se sont farouchement opposés à ces accords commerciaux et en ont popularisé les contenus et les dangers, notamment grâce à l’ouvrage du député européen et directeur de l’Humanité Patrick Le Hyaric (le Traité avec le Canada mis à nu). Le Salon de l’agriculture, qui s’ouvrira le 25 février, constituera un rendez-vous incontournable pour remettre ces enjeux au cœur de la campagne. C’est à cette occasion que le Parti communiste, explique le responsable aux questions agricoles Xavier Compain, invitera les paysans à reprendre la main face à l’agro-industrie pour « reconquérir les marchés et la production ».

Olivier Morin


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