Hamon ou Valls ? Le second tour de la primaire montre que l’essentiel du débat ne se mène plus à l’intérieur du PS, mais en dehors de lui… entre Mélenchon et Macron. Aboutissement logique, la fin de son hégémonie à gauche ouvre de nouvelles perspectives.
Les dirigeants socialistes laissaient entendre que la participation à leur primaire pouvait à peine dépasser le million. Ils peuvent donc exulter à bon compte. Mais les comptes, justement, ne sont pas flambants. Au premier tour de la primaire de 2011, 2,7 millions de personnes s’étaient déplacées. Ce 22 janvier, ils ont été un million de moins. Si l’on tient compte de ce que, cette année, une part du camp adverse a participé à chacune des primaires, à gauche comme à droite, on peut considérer que ce sont 1,3 à 1,4 million d’électeurs de gauche qui se sont déplacés ce dimanche, moitié moins qu’en 2011. On peut tourner les chiffres dans tous les sens : la « Belle alliance populaire » n’a pas suscité l’enthousiasme.
Ceux qui ont voté ont placé en tête Benoît Hamon et Manuel Valls. L’ancien premier ministre dépasse tout juste les 30%, enregistrant à son tour le désaveu de l’exécutif. Le bateleur Montebourg, contrairement aux attentes, n’a pas raflé la mise. Le discrédit de Valls a profité d’abord à Benoît Hamon, qui contribua à sa mise en place en 2014, mais qui a pris ses distances depuis. L’homme neuf, pour l’occasion, ce fut lui… Officiellement, le duel de dimanche prochain oppose une fois de plus la gauche et la droite du Parti socialiste. Le problème est que l’essentiel du débat ne se mène plus à l’intérieur du PS, mais en dehors de lui.
Un PS au bord de l’explosion
Quel que soit le candidat retenu à l’arrivée, les électeurs qui considèrent que la logique suivie depuis 2012 est la seule possible voteront plutôt pour Emmanuel Macron. Quant à ceux qui souhaitent une rupture franchement à gauche, ils se porteront plus volontiers sur Jean-Luc Mélenchon. Dans tous les cas, le PS est désormais au bord de l’explosion.
Si Valls l’emporte au second tour, la gauche socialiste se trouve en position de marginalité confirmée. Elle a joué la carte du parti contre l’exécutif ; une défaite montrerait l’inanité de ce projet. Il ne lui resterait qu’à se soumettre ou à partir. Si, en revanche, Benoît Hamon bénéficie de l’impopularité de son rival, une grande partie des cadres socialistes, et notamment des élus, se sentiront déliés de toute contrainte partisane. La perspective d’un médiocre résultat présidentiel socialiste les poussera à rallier l’option « réaliste » et donc à rejoindre Macron. Dans cette hypothèse, l’hémorragie risque bien d’être plus grande encore qu’en cas de victoire de Manuel Valls.
Les primaires étaient censées être l’opération de survie du parti qui a dominé la gauche depuis près de quatre décennies. En pratique, elles ont signé son arrêt de mort clinique. Le président de la République en porte une lourde responsabilité. En acceptant de se soumettre au jeu de la primaire, il a cru qu’il pouvait réussir un de ces tours de passe-passe dont il est familier. Président sortant, la légitimité devait être de son côté. C’était sous-estimer son exceptionnelle impopularité. Manuel Valls en a profité pour lui donner le coup de pied de l’âne : il n’est pas plus avancé pour autant.
Compétitivité, flexibilité, ordre
Mais tout cela n’est que péripéties. En réalité, le temps du socialisme expansif du Congrès d’Épinay (1971) est définitivement clos. François Mitterrand, en 1982, l’a mis sur les rails de la mondialisation capitaliste et du « réalisme » gestionnaire. Il a certes tenté, en 1988, de le sortir de la logique de l’union de la gauche, en tentant la grande aventure du centre. La présidentielle de cette année-là confirma plutôt son intuition, mais les législatives qui suivirent la contredirent sans appel : le rassemblement au centre n’a pas convaincu le peuple de gauche.
Mitterrand reprit donc le jeu d’équilibre où il excellait : discours de gauche et gestion gouvernementale recentrée. En 1997, Lionel Jospin voulut rajeunir la méthode : sa référence à la « gauche plurielle » s’est alors assortie d’un refus officiel du recentrage radical entrepris par le « social-libéralisme » de Tony Blair. Il échoua cruellement cinq ans plus tard.
En 2012, François Hollande ouvrit sa campagne sur une tonalité de gauche. Mais il intégra Manuel Valls, le « social-libéral » assumé, dans son équipe de campagne, puis lui confia le poste décisif de l’Intérieur. En 2014, il lui livra les clés de Matignon, sous l’impulsion et la bénédiction d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon. Du point de vue de la pratique du pouvoir, jugea-t-il, le temps n’était plus à la tergiversation. Le socialisme ne pouvait être celui de la répartition des richesses, mais celui de leur production : il se devait donc d’assumer totalement le triple impératif de la compétitivité, de la flexibilité et de l’ordre.
Mélenchon, Macron : les deux ruptures
En 2016, Jean-Christophe Cambadélis lança la thématique de la primaire, sous l’intitulé un tantinet ridicule de la « belle alliance populaire ». La logique en restait classique : associer la totalité de la gauche, au nom du vote utile, à la gestion gouvernementale recentrée sous leadership socialiste. François Hollande, après avoir hésité, s’engagea dans l’aventure. Son objectif tacite était alors de contraindre, en pratique, le Parti socialiste à glisser doucement vers un parti démocrate, sur le modèle italien.
La tactique eût pu réussir. Le PCF lui-même hésita un moment, tenté par le jeu de la primaire, au nom du danger d’extrême droite. Mais la logique de la primaire se heurta très vite à deux obstacles d’envergure. Jean-Luc Mélenchon s’en dégagea par avance, en annonçant sa candidature, sans passer par l’adoubement d’un Front de gauche d’ores et déjà bien moribond. Quant à Emmanuel Macron, il comprit très vite que l’option « démocrate » s’accommodait mal des visages du passé. S’il fallait rompre avec le vieux socialisme, il fallait le faire franchement, avec un visage neuf, le sien.
Contre l’option d’une évolution « douce » du Parti socialiste, Mélenchon et Macron ont décidé d’offrir l’hypothèse de la rupture, chacun à sa façon, contradictoire l’une de l’autre. Leur dynamique dans les sondages a très vite suggéré qu’ils avaient raison de le faire. Le roi socialiste est nu. Il va chercher à limiter la casse. Mais son hégémonie de trente-cinq années est révolue.
Une fenêtre historique pour la gauche
Le socialisme mitterrandien fut la dernière grande tentative sociale-démocrate française du XXe siècle. Or nous avons changé de siècle. La mise à l’écart du PCF le suggérait depuis longtemps. L’essoufflement accéléré du PS le confirme. Le vieux courant populaire, démocratique, de souche révolutionnaire, lui, reste vivant et les déboires de l’exécutif socialiste en sont une preuve vivifiante.
Il reste à confirmer dans les urnes la fenêtre historique que les électeurs de gauche peuvent décider d’ouvrir. Depuis la fin des années 1970, l’hégémonie socialiste à minoré le poids de la tradition de critique sociale la plus radicale. 2017 peut remettre les pendules à l’heure. La séquence électorale de 2017 dira qui, de l’option de gauche et de l’option démocrate, emportera le plus de suffrages. Cela se mesurera à la présidentielle, autour du vote Mélenchon. Et cela se décidera aussi aux législatives qui suivent et qu’il serait suicidaire de manquer.
Dans la foulée, une fois refermée la séquence électorale, se posera alors l’enjeu non encore résolu : celui d’une force politique neuve, populaire et plurielle, qui donne majorité au projet d’égalité, de citoyenneté et de solidarité, sans lequel la gauche est infirme et le peuple sans souveraineté.
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