Que cache vraiment la réforme institutionnelle ?

Les évolutions du parlement au crible.
Photo : Bertrand Guay/AFP

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Avec Éliane Assassi, présidente du groupe Communistes, républicains, citoyens et écologistes (CRCE), Jean Garrigues, historien, président du Comité d’histoire parlementaire et politique et Virginie Duby-Muller, députée « Les Républicains » de Haute-Savoie.

Rappel des faits. Avec notamment la réduction du nombre de députés et de sénateurs du tiers de leurs effectifs actuels, le projet de réforme interroge sur ses finalités.

  • La doctrine conservatrice de la rationalisation par Éliane Assassi, présidente du groupe Communistes, républicains, citoyens et écologistes (CRCE)

Éliane AssassiPrésident du groupe Communistes, républicains, citoyens et écologistes (CRCE)C’est par l’un de ses habituels raisonnements balancés qu’Emmanuel Macron entend tromper son monde sur ses intentions constitutionnelles. Renforcer les pouvoirs du Parlement, le rendre efficace, signifie pour le chef de l’État l’accélération de l’adoption de la loi. Cette nouvelle conception de l’organisation des Assemblées s’assimile, selon de nombreux députés LREM, à des entreprises, voire à de grosses start-up. Le constat de l’affaiblissement du Parlement est partagé par de nombreuses forces politiques, par de nombreux observateurs. De la Constitution de 1958 à la présidence surexcitée de Nicolas Sarkozy, des 49-3 face à l’absence de majorité de François Hollande à la personnalisation à outrance de la magistrature supérieure par Emmanuel Macron, la domination du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif est de plus en plus évidente.

La doctrine conservatrice de la rationalisation du travail parlementaire s’est imposée au fil des années au détriment du débat démocratique : application de plus en plus stricte des irrecevabilités réduisant le droit d’amendement, en particulier en matière budgétaire, réduction du temps de débat de manière drastique ont abaissé bien sou- vent les Assemblées au rôle de banales chambres d’enregistrement.

L’inflation législative – la multiplication des projets de loi, provenant en particulier de la déclinaison des normes européennes – a justifié la recherche de l’efficacité au détriment du débat pluraliste, du débat avec les citoyens.

Le résultat est un Parlement essoufflé, asphyxié, coupé des aspirations du peuple, focalisant les colères.

Emmanuel Macron a perçu cette faiblesse et engage des réformes importantes. Mais ses projets ne sont pas salvateurs du point de vue démocratique. Il entend donner un coup de grâce en éloignant nos institutions du concept de démocratie parlementaire.

Dans son projet de réforme de la Constitution, il entend réduire le nombre de députés et sénateurs d’au moins un tiers. Cet a priori d’un trop grand nombre d’élus est démagogique. S’il faut transformer en profondeur notre démocratie, ce n’est certainement pas en réduisant le nombre de représentants du peuple, et par là même, des territoires, que nous prendrons le bon chemin. La force du Parlement provient de son lien avec le peuple. C’est d’une part en modifiant le mode de scrutin, généralisation de la proportionnelle et, d’autre part, en restaurant sa pleine puissance législative que le pouvoir législatif pourra être redressé.

La réduction du nombre de parlementaires, alors que nombreux parlements européens ont un effectif égal ou supérieur au nôtre, est un acte fort d’affaiblissement démocratique.

Emmanuel Macron met en avant le renforcement du pouvoir de contrôle des Assemblées. Cela peut paraître séduisant mais le travail d’élaboration de la loi, raison d’être de nos Assemblées parlementaires, en pâtira. Le pouvoir de contrôle ne sera qu’un faux nez de la démocratie, laissant la main libre au chef de l’État et à son gouvernement pour accélérer l’adhésion de notre pays aux règles de la mondialisation financière.

Les dispositions de réduction du débat démocratique dont on discute actuellement au Sénat et à l’Assemblée nationale, après l’injonction d’Emmanuel Macron lors de son discours à Versailles du 13 juillet 2017, sont claires : favoriser la législation en commission et non plus en séance publique, avec moins de pluralisme, affaiblir plus encore le droit d’amendement et diminuer, si cela est encore possible, le temps de parole.

La tactique d’Emmanuel Macron avec ses mots fétiches : « en même temps » est habile : il clame partout la nécessité d’un Parlement fort, mais en pratique il lui retire ses pouvoirs.

L’objectif dépasse le débat national, c’est au niveau mondial que la grande offensive est menée pour contrer les résistances aux marchés tout-puissants. Emmanuel Macron s’inscrit pleinement, avec violence, dans cette logique.

  • Restaurer la confiance des citoyens par Jean Garrigues, historien, président du Comité d’histoire parlementaire et politique

Jean GarriguesHistorien, présidentdu Comité d’histoire parlementaire et politiqueL’antiparlementarisme est une vieille tradition française, et il faut garder la tête froide lorsqu’il s’agit d’en tirer les conséquences, en rappelant que la représentation nationale et la délibération sont les poumons de notre démocratie. Néanmoins, il est évident que la rupture entre le Parlement et les citoyens n’a fait que s’accentuer depuis plusieurs décennies, au point que la participation est passée sous la barre symbolique des 50 % lors du premier tour des élections législatives de 2017. Si l’on compare aux débuts de la Ve République, où la participation a pu dépasser 80 %, et si l’on observe que plus de 60 % des Français sondés ne font plus confiance à leurs parlementaires, on comprend que la réforme est indispensable et urgente. Une transformation de fait s’est effectuée lors des élections législatives de 2017, qui ont vu un renouvellement sans précédent des députés, par la création du groupe paritaire de la République en marche mais aussi par la mutation des groupes traditionnels. La féminisation, le rajeunissement, et dans une moindre mesure la diversification socioculturelle de cette nouvelle assemblée contribuent à la re-légitimation d’une représentation parlementaire devenue plus représentative. Par ailleurs, l’application de la loi sur le non-cumul des mandats, votée sous le quinquennat Hollande, a mécaniquement favorisé ce renouvellement. Enfin, la loi de moralisation votée au début de la présidence Macron, supprimant notamment les emplois familiaux, la réserve parlementaire, et contrôlant les frais de mandat, ainsi que les mesures réglementaires décidées par François de Rugy, président de l’Assemblée nationale, et intégrant par exemple les députés au droit commun des retraites, vont dans le sens d’une réhabilitation des acteurs parlementaires, trop souvent considérés comme des privilégiés.

Ces mesures de réhabilitation symbolique sont-elles suffisantes ? Bien sûr que non, car c’est fondamentalement la place du système parlementaire dans notre dispositif institutionnel qu’il convient de repenser si l’on veut restaurer la confiance des citoyens dans leurs Assemblées. Dans un système surprésidentialisé, notamment depuis la loi du quinquennat qui a subordonné les élections législatives à l’élection présidentielle, il est indispensable de recrédibiliser le rôle du Parlement. Ce fut d’ailleurs l’esprit de la révision de 2008, qui réduisit l’usage de l’article 49-3 et permit notamment aux Assemblées de fixer elles-mêmes leur ordre du jour, de délibérer sur la base des textes adoptés par les commissions choisies, ou de créer des commissions d’enquête pour les missions de contrôle et d’évaluation. Mais il faut concilier ce rééquilibrage avec le principe d’efficacité, qui est le fondement du parlementarisme dit « rationalisé » voulu par les constituants de 1958.

Deux directions se dessinent aujourd’hui. D’abord la réhabilitation symbolique, qui touche essentiellement aux acteurs de la vie parlementaire. C’est entre autres la limitation à trois mandats successifs, qui va dans le sens du renouvellement démocratique, les arguments contraires nous apparaissant à rebours de l’histoire. De même pour l’introduction d’une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif (qui existe déjà pour les élections sénatoriales), et qui permettrait une représentation plus équitable des sensibilités politiques.

Mais ce ne serait un véritable rééquilibrage institutionnel que si le seuil de cette proportionnelle dépassait la moitié des élus, ce qui serait alors en contradiction avec le fait majoritaire qui est l’un des fondements de la Ve République.

Quant à la réduction d’un tiers du nombre des parlementaires, elle peut satisfaire l’opinion publique, en réduisant la charge financière de la représentation nationale. Par ailleurs, elle peut se concilier avec un principe d’efficacité législative, en réduisant mécaniquement le temps de la délibération et en rendant les parlementaires plus concernés, au prix de sanctions drastiques contre l’absentéisme. Encore faut-il rappeler que cette productivité accrue aura un coût, celui de l’augmentation des collaborateurs parlementaires.

Ce dernier point fait le lien avec la réhabilitation institutionnelle du Parlement, qui passe par la réforme du processus de délibération. Si l’on se réfère aux travaux des sept groupes parlementaires mis en place à l’Assemblée nationale, on constate la nécessité de travailler plus vite, avec plus de moyens techniques, mais aussi plus de transparence démocratique. Il conviendrait de faire participer les parlementaires à la fabrication de la loi en amont de sa présentation au Conseil des ministres, quitte à réduire ensuite le temps de la délibération, soit en la limitant à la commission ad hoc (comme expérimenté au Sénat), soit à une seule lecture par assemblée, comme c’est déjà le cas pour la moitié des textes, ce qui place d’ailleurs la France dans la moyenne de durée du processus législatif des pays européens.

En amont comme au moment de la délibération, la participation des non-parlementaires pourrait être envisagée, en modernisant le droit de pétition, en introduisant un droit d’ordre du jour ou d’amendement citoyen. On peut même envisager une participation citoyenne aux questions d’actualité, qui mériteraient au passage d’être resserrées et transformées en véritables débats productifs. Enfin, il est essentiel de renforcer le contrôle de l’application des lois, par la multiplication des études d’impact et la création d’un droit de suite parlementaire.

La re-légitimation du travail parlementaire est à ce prix. Et même si l’opinion se focalise sur la réhabilitation symbolique, cette réforme en profondeur sera indispensable pour pérenniser notre système politico-institutionnel.

  • Stop aux sirènes populistes, réformons sans dénaturer notre démocratie par Virginie Duby-Muller, députée « Les Républicains » de Haute-Savoie

VirginieDuby-MullerDéputée «   Les Républicains    » de Haute-SavoieAvec le groupe de travail sur le statut des députés, que je préside, nous travaillons sur l’Assemblée nationale de demain. Car la baisse des taux de participation aux récentes élections est un reflet inquiétant de la santé de notre démocratie, et du sentiment de défiance de nos concitoyens envers les politiques. Nous voulons leur redonner envie de croire en la démocratie représentative. Après plus de 20 auditions, 171 contributions citoyennes, un rapport a été remis au président de l’Assemblée nationale, en décembre 2017, avec plusieurs propositions pour une réforme constitutionnelle. Certaines sont nécessaires et légitimes (renforcement du rôle des suppléants des députés ; réduction des membres du Cese…). D’autres propositions de réforme font débat. C’est le cas de la proportionnelle dans les scrutins, dont on parle depuis des années comme une « solution miracle » pour restaurer la représentativité de notre Assemblée. Avec « Les Républicains », nous pensons que cette proposition porte plutôt une réelle menace : celle d’une assemblée « hors-sol », qui permettrait à certaines grandes personnalités des partis politiques d’être élues sur liste, sans passer par le soutien d’un territoire, et qui empêchera les électeurs de les sanctionner dans les urnes. Les caciques seront toujours réélus. Et les parlementaires seront divisés en deux grandes catégories : les politiques « nommés » sur listes, et les élus de terrain. Du point de vue de la représentativité territoriale, la proportionnelle aggraverait encore davantage la fracture territoriale que connaît la France depuis plusieurs années. Les parlementaires seront moins présents, donc moins connus, et donc moins identifiables. Un véritable déracinement !

Surtout si ce scrutin est couplé à l’autre proposition remise au président de l’Assemblée nationale : celle d’une réduction du nombre de parlementaires. Si une baisse des députés peut être bénéfique – en étant mesurée –, elle ne doit pas se faire au détriment de la représentation dans les territoires ruraux. Car l’attachement territorial du député est fondamental pour son mandat, son rôle de représentant. C’est la condition de l’efficacité de son travail. Supprimer des élus, cela veut dire augmenter la taille des circonscriptions, et donc faire peser le risque d’un éloignement avec son député, surtout dans les territoires sous-peuplés. Cela signerait la fin d’une relation de confiance et de proximité.

La proposition de « limiter le cumul des mandats dans le temps » est, elle aussi, très populaire. Cela reviendrait donc, au bout de 3 ou 4 mandats, à ne plus pouvoir voter pour l’élu de son choix. Même si ce dernier a un bon bilan, s’est montré efficace, connaît bien les spécificités locales. Comment une telle proposition, aussi liberticide, et démagogique, peut-elle ainsi être défendue ? Les citoyens ne seraient-ils pas suffisamment conscients pour ne pas voter pour un élu s’étant montré décevant ? Pour moi, tout ce qui contribue à censurer l’électeur dans son choix est antidémocratique.

Ma question est simple : où serait l’intérêt pour nos concitoyens dans ces propositions ?

Entre l’équilibre de nos institutions et la vie de la nation, il existe un lien étroit et fondamental. Avec l’ensemble de mes collègues députés, nous partageons une responsabilité commune : porter la voix de l’ensemble de nos concitoyens, apaiser le débat démocratique, travailler ensemble au service de l’intérêt général. La Constitution de la Ve République nous offre un juste milieu, à la fois en permettant à l’opposition d’être représentée, et en donnant assez de pouvoir au gouvernement pour avancer. Préservons-le, renforçons-le, et ne cédons pas aux sirènes populistes.

Éliane Assassi,  Présidente du groupe Communistes, républicains, citoyens et écologistes (CRCE)

Jean Garrigues,  Historien, président du Comité d’histoire parlementaire et politique

Virginie Duby-Muller, Députée « Les Républicains » de Haute-Savoie


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