Le double langage du pouvoir politique face au monde paysan

À la veille de la présentation du projet de loi en conseil de ministre à Paris, on apprenait que la discussion avait repris à Bruxelles pour tenter de conclure en février un accord de libre échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Photo : Thierry Zoccolan/AFP

À la veille de la présentation du projet de loi en conseil de ministre à Paris, on apprenait que la discussion avait repris à Bruxelles pour tenter de conclure en février un accord de libre échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Photo : Thierry Zoccolan/AFP

Ce matin, le conseil des ministres a adopté un projet de loi pour « redonner du revenu aux paysans ». Il fait suite aux Etats généraux de l’alimentation qui se sont déroulés durant l’automne 2017 et sera soumis au parlement  prochainement. Mais, en même temps, Emmanuel Macron a fait savoir le 25 janvier qu’il souhaitait la conclusion rapide d’un accord de libre échange entre l’Union européenne et  les pays du Mercosur qui sont de gros exportateurs de viandes, de sucre et d’éthanol. Histoire de peser sur les prix agricoles à la production ?

Avant que le président de la République ne s’envole pour la Tunisie aujourd’hui, le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert a pu présenter en conseil des ministres « un projet de loi issu des Etats généraux de l’alimentation ». Officiellement, le but de ce texte serait de corriger les excès de la Loi de modernisation économique (LME) que le gouvernement Fillon fit adopter par sa majorité en 2008. La nouvelle loi doit relever le seuil de revente à perte dans les magasins de la grande distribution. Sachant que dans ces « reventes à perte », la perte est d’abord subie par les fournisseurs des distributeurs, on peut se demander ce que ce relèvement et une limitation à moins 30% des prix des produits en promotion changera au niveau des prix agricoles. Néanmoins, la présentation de ce texte est un désaveu du rapport de la Commission Attali dont Emmanuel Macron fut le rapporteur en 2008. En pages 151 et 152 de ce rapport, l’actuel président de la République mettait en exergue l’objectif suivant : « Instaurer le principe de la liberté tarifaire dans la distribution et le commerce de détail, en levant les interdictions dites de » revente à perte » et de discrimination tarifaire ». Son rapport indiquait aussi que la « revente à perte » n’était « qu’un prix de connivence entre certains producteurs et certaines grandes surfaces».

La charte de bonne conduite est un chiffon de papier

Le 14 novembre dernier, les distributeurs avaient signé une charte de bonne conduite pour la négociation annuelle sur les prix des produits qui seront référencés pour douze mois dans les magasins à partir du mois de mars. Mais ils en ont fait un chiffon de papier. Hier, un communiqué commun signé de quatre organisations impliquées dans cette négociation (1) dénonçait « d’une même voix le climat catastrophique dans lequel ces négociations se déroulent et la déflation tarifaire qui continue de caractériser les accords signés (…) L’Etat doit impérativement renforcer ses moyens de contrôler, dénoncer et sanctionner les pratiques illégales, faute de quoi l’esprit des Etats généraux de l’alimentation ne survivra pas au-delà du 1er mars 2018 », lit-on dans ce texte.
Pour l’instant l’Etat ne fait rien. Mais il pourrait donner de nouvelles armes aux distributeurs. Le projet de loi prévoit une « incitation des agriculteurs à se regrouper en organisation de producteurs » pour tenter de négocier de meilleurs prix avec leurs clients de l’aval en créant ainsi un rapport de force dans la négociation via la concentration de l’offre en volume. Faire mine de croire que cela fera remonter les prix revient à occulter le fait que la concurrence est libre dans l’Union européenne. Les produits agricoles y circulent d’un pays à l’autre sans le moindre tarif douanier. De ce fait, le déficit en viande de porc a augmenté de 53% en 2017 pour avoisiner les 400 millions d’euros. Les grandes surfaces et les charcuteries industrielles ont importé beaucoup de viandes désossées, tandis que le kilo de carcasse payé aux éleveurs français a baissé de 25% en quelques mois du fait de ces importations. Parallèlement, que le marché chinois réduisait considérablement ses importations, ce qui a accentué les baisses de prix à la  production.
Hier, veille de la présentation de ce projet de loi en conseil de ministre à Paris, on apprenait que la discussion avait repris à Bruxelles pour tenter de conclure en février un accord de libre échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Pour le moment, l’offre européenne propose d’importer d’Amérique du sud 70 000 tonnes de viande bovine désossée, 600 000 tonnes d’éthanol et 100 000 tonnes de sucre de plus par an sans le moindre droit de douane. Comme les pays du Mercosur trouvent que ce n’est pas assez, il se dit que l’offre européenne pourrait monter à 99 000 tonnes pour la  viande bovine sud américaine importée chaque année en Europe sans droits de douane. Comme cette viande s’ajoute aux 67 000 accordées au Canada et que les viandes européennes entrent librement en France, on peut se demander comment une organisation de producteurs de viande bovine pourrait négocier les prix avec le groupe Bigard qui abat les trois quarts des bovins en France pour servir les grandes surfaces en priorité.

Emmanuel Macron veut-il sacrifier l’élevage allaitant en France ?

Il n’est donc pas étonnant que la Fédération nationale bovine (FNB) de la FNSEA qui tient son congrès annuel la semaine prochaine à Evreux, ait posé hier ces questions dans un communiqué : « Jusqu’à quel point Emmanuel Macron est-il prêt à sacrifier l’élevage bovin français dans le cadre de l’accord UE-Mercosur ? Jusqu’où ira le reniement du président de la République sur ce sujet»? Ce syndicat rappelle aussi que le chef de l’Etat  « est venu annoncer aux éleveurs, le 25 janvier dernier, qu’un accord avec le Mercosur serait conclu». D’où ce commentaire de Bruno Dufayet, président de la FNB : « Conclure cet accord au lendemain des Etats généraux de l’alimentation ne relève pas seulement de l’incohérence totale des politiques publiques, mais de l’irresponsabilité. Quels que soient les intérêts commerciaux en jeu, une telle concession est inadmissible et doit être largement dénoncée» .
Hier aussi, on pouvait lire dans un communiqué de la Confédération paysanne : « les négociations avec le Mercosur doivent être stoppées et la loi agricole promise par le gouvernement doit interdire à l’aval d’acheter nos animaux en dessous du prix de revient. Cette mesure doit être associée à une gestion des volumes en redonnant à l’aide aux bovins allaitants un rôle de régulation et d’orientation de la production. Par ailleurs, il est primordial de transformer cette aide pour en faire une véritable aide à la transition vers des systèmes d’engraissement à l’herbe», ajoute ce syndicat paysan.
En effet, les prairies productrices d’herbe stockent du carbone tandis que les parcs d’engraissement de bovins qui ne cessent de se développer en Amérique du sud poussent à la déforestation de l’Amazonie pour cultiver toujours plus de maïs et de soja afin de nourrir ce bétail destiné à l’exportation. Il serait bon d’en tenir compte deux ans après la tenue de la Cop 21 à Paris.
(1) ANIA, Coop de France , FNSEA, ILEC

Gérard Le Puill, Journaliste et auteur

En savoir plus sur Moissac Au Coeur

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Donnez votre avis

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.