Des bousculades dans des supermarchés pour des pots de Nutella ou des couches Pampers bradés. Les images saturent les écrans. Une info spectaculaire qui ne coûte pas cher… et interroge sur notre société. Car, derrière le phénomène, il y a une réalité sociale. Celle d’un pays où des produits de grande consommation deviennent un luxe.
Dans la Loire, l’Oise, le Nord, mais aussi le Rhône… le message a bien été entendu. Pour avoir un pot de 950 grammes à 1,41 euro, au lieu de 4,70 euros, il y a des mouvements de foule, des bousculades, voire des bagarres, obligeant parfois gendarmes et policiers à intervenir. À Marseille, 300 personnes attendaient devant un magasin de l’enseigne. Dans le 16e arrondissement à Paris, rien de tout cela, le pot y est à 5,25 euros.
Il faut écouter ceux qui se sont rués sur ce Nutella. « D’habitude, les gens achètent de la pâte à tartiner premier prix. Comme ça, ils économisent pour mettre de la viande dans leur assiette ; là, ils peuvent s’offrir de la marque ! » confient-ils au « Parisien », qui est allé les voir à l’Intermarché de Beauvais Nord. Ils disent aussi, comme Sadio, mère de trois enfants : « À cette période du mois, il me reste parfois 20 euros. Le Nutella, c’est un produit de luxe, comme le vrai Coca. » Ou encore : « Pour une fois qu’on peut faire plaisir aux enfants ! »
Dans notre société, le Nutella, comme le Coca-Cola, est donc devenu un produit de luxe. L’offrir à ses enfants, c’est quelque part dire « eux aussi y ont droit ». Trois euros de moins, ça fait parfois toute la différence. Il y a une France qui en est à 3 euros près…
Comme les étudiants sont bien à 5 euros près d’APL. Pour eux, c’est deux repas au restaurant universitaire ou « trois jours de pâtes ». Près des Intermarché concernés, il suffit de regarder les chiffres du chômage. À Roubaix (Nord), selon l’Insee, il s’établit à 30 % ; à SaintChamond (Loire), à 18 % ; à Rivede-Gier (Loire), 20,2 % ; à Beauvais (Oise), c’est 20,5 %…
Mais cette réalité, beaucoup ne veulent pas la voir. Sur les réseaux sociaux, chacun y va de son commentaire, mépris de classe contre « les cassos » qui se battent pour un pot de Nutella. Il faut dire que le président avait déjà désigné « ceux qui ne sont rien » contre « ceux qui réussissent ».
Au-delà, ces « émeutes » sont aussi révélatrices de ce que le « néolibéralisme peut produire comme comportements d’achat impulsif. La grande jungle des marchés mondiaux n’est pas pour rien dans les petites rixes des supermarchés locaux. Sur les premiers, les requins qui se disputent pour gagner des parts. Sur les seconds, des petits poissons qui jouent des coudes pour gagner des pots », analyse l’économiste Jean Gadrey sur son blog (1).
(1) blogs.alternatives-economiques.fr/gadrey
70 % SUR LE NUTELLA ! ÇA VEUT DIRE QUOI ?
Tout le monde le sait, la pâte à tartiner de Ferrero est trop grasse, trop sucrée… et contient peu de noisettes. Mais, si Intermarché l’a choisie pour sa mégapromo, c’est parce que le Nutella fait partie de ces produits totems : 89 millions de pots engloutis par an en France, son premier marché. À 70 %, Intermarché revend-il à perte, ce qui est interdit par la loi dans le cadre de promotions, mais pas de soldes ? C’est ce que cherche à savoir la répression des fraudes. Le but de ces promotions : appâter le chaland… pour faire des marges ailleurs. Ferrero, lui, « déplore cette opération ». L’affaire illustre surtout la guerre des prix entre distributeurs, trois mois après les états généraux de l’alimentation qui devaient permettre de partager « la valeur ajoutée ». Le ministre de l’Agriculture plaint « ceux qui vivent de peu », mais va limiter les promotions « à hauteur de 34 % de la valeur totale » (lire histoire p. 13). Fini le « un acheté, un offert ».
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