C’est une révolution des statuts des fonctionnaires d’Etat, notamment des enseignants, que prépare le gouvernement. JM Blanquer a multiplié les allusions récemment sur le recrutement local. Edouard Philippe a annoncé le 1er février un programme qui va plus loin puisqu’il est question d’établir une rémunération au mérite et d’augmenter le nombre de contractuels.
« Simplifier » les représentations syndicales
» Ces mesures s’adressent en premier lieu aux agents publics, qui se verront proposer un nouveau contrat social pour accompagner l’évolution de leurs métiers et libérer leurs initiatives. Les usagers des services publics sont eux aussi concernés : ils auront accès à une information égale et transparente sur l’efficacité et la qualité des services publics, publiée régulièrement par les administrations concernées, et pourront s’exprimer, ce qui permettra aussi de valoriser les initiatives et résultats locaux ».
A l’occasion du Comité interministériel de la transformation publique réuni le 1er février, Édouard Philippe a présenté un véritable plan d’évolution des statuts des fonctionnaires d’État.
Dès ce mois ci il va lancer une concertation sur quatre chantiers.
Il promet d’abord « un dialogue social plus fluide et recentré » c’est à dire une modification des instances représentatives des fonctionnaires qui devraient être « simplifiées » et « déconcentrées ». Il s’agit, comme dans les ordonnances Travail, d’affaiblir les instances syndicales en les regroupant.
« Individualiser » les salaires
Le premier ministre veut ensuite lancer le chantier de la « rémunération plus individualisée ». « Une part de la rémunération (de l’agent) doit être liée au mérite et à l’atteinte des résultats individuels et collectifs ». C’est l’idée de la paye au mérite.
E Philippe annonce aussi « un élargissement du recours au contrat pour donner davantage de souplesse dans les recrutements ». Le nombre de contractuels devrait augmenter y compris pour les emplois les plus élevés.
Enfin un plan de formation serait élaboré pour les fonctionnaires.
Libérer les managers
Un cinquième point est annoncé par le premier ministre. Il s’agit de donner » plus de liberté et plus de responsabilité pour les managers publics… Au niveau central comme déconcentré, les managers publics, dont l’implication et la responsabilisation sont déterminantes pour la réussite de la transformation publique, ne disposent pas aujourd’hui des leviers nécessaires à l’exercice de leurs missions… En tant qu’employeurs, leur capacité d’initiative et leur marge de manœuvre apparaissent excessivement contraintes ». Le gouvernement veut leur donner notamment » plus de souplesse dans leurs recrutements ».
JM Blanquer avait annoncé son intention de permette aux chefs d’établissement de recruter leurs enseignants. C’est exactement ce qu’annonce le premier ministre.
Quel impact du renforcement des pouvoirs des chefs d’établissement ?
Toutes ces idées ne sont pas neuves. Ce que veut appliquer Edouard Philippe ce sont les recettes du New Public Management, déjà expérimentées dans les pays anglo-saxons et au delà depuis une dizaine voire une vingtaine d’années.
L’idée du renforcement du pouvoir des chefs d’établissement pour en faire de « vrais managers » a été poussé à son maximum en Suède où ils ont obtenu un large pouvoir administratif (recrutement , paye des enseignants, évaluation) et pédagogique (curriculum local).
Les résultats sont désastreux. Le niveau des élèves suédois, qui était bon, a décliné dans Pisa. Le métier enseignant a été largement dévalorisé et les écoles ont du mal à en trouver. Il en va de même pour les chefs d’établissement. Dotés de très larges pouvoirs, ils sont soumis à des pressions majeures et sont débordés dans leurs tâches.
Quelle efficacité pour la paye au mérite ?
L’idée du salaire au mérite a été aussi longuement testée dans les pays anglo saxons où ele est devenue la règle. De nombreux pays de l’OCDE (environ la moitié) ont fait entrer la reconnaissance du mérite de l’enseignant dans sa rémunération. Aux Etats-Unis des districts utilisent les résultats des évaluation nationales pour estimer le niveau de rémunération des enseignants. On peut aller ainsi jusqu’à une paye strictement individuelle. L’idée c’est que les enseignants sont le premier outil d’amélioration de la productivité de l’école. « L’effet maitre » serait le premier responsable de la réussite des élèves et il y aurait urgence à faire partir les « mauvais maitres » et à encourager les bons.
En mai 2012, l’OCDE a publié une étude hésitante sur l’efficacité de cette politique. Selon l’Organisation, dans les pays où le salaire des enseignants est particulièrement bas par rapport au PIB local, la performance des élèves est meilleure avec une paye au mérite. Dans les pays où le salaire des enseignants est élevé, la paye au mérite fait baisser les performances des élèves. Mais encore faut-il que la paye au mérite soit reconnue comme juste et équitable par les enseignants.
Cette position embarrassée de l’OCDE s’explique par une caractéristique propre au métier d’enseignant : il est très difficile d’évaluer le mérite d’un enseignant. Comme le remarque Bruno Suchaut, dans un article donné au Café en 2008, « l’efficacité de l’acte pédagogique (est) en partie liée au contexte d’enseignement, c’est-à-dire à la classe et aux élèves qui la composent. Pour le métier d’enseignant, la définition même du concept de mérite ne va pas donc de soi et nécessiterait de mobiliser des indicateurs nombreux pour l’appréhender dans son ensemble ».
Alain Chaptal, auteur d’un ouvrage sur cette question, a présenté la situation de façon très claire. « Entrez dans une salle des profs, passez suffisamment de temps pour gagner la confiance des enseignants, interrogez-les pour savoir si certains collègues ont plus de charisme que d’autres ou bien si certains d’entre eux ne sont pas à la hauteur. Très vite, les réponses vont converger, le consensus se réaliser entre pairs. Poussez plus loin l’exercice, essayez de faire émerger des critères objectifs susceptibles d’étayer ce jugement collectif. Echec sur toute la ligne. D’autant plus que la variabilité des situations est extrême. Tel enseignant qui réussit bien avec la quasi-totalité de ses classes pourra être confronté à de grandes difficultés avec telle autre ». Si le mérite est insaisissable, l’efficacité de la paye au mérite calcule seulement celle de l’incitation financière et du climat de l’entreprise. La question de l’efficacité de la paye au mérite reste ouverte.
L’annonce de 50 000 suppressions de postes
Du moins si on cherche l’efficacité éducative. Mais l’objectif gouvernemental semble plus trivial. Le président de la République a annoncé 25 milliards d’euros d’économies sur les dépenses de l’Etat. Il a promis 120 000 suppressions de postes dans les 3 fonctions publiques dont 50 000 pour celle d’Etat. Le programme de « modernisation » annoncé par E Philippe vise à permettre cet effondrement des effectifs et le remplacement des fonctionnaires par des contractuels.
On retiendra aussi que les annonces d’évolution des statuts des enseignants lancées par JM Blanquer ne sont maintenant qu’un élément d’une politique gouvernementale. Cela leur apporte beaucoup de poids.
François Jarraud
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