Sncf. Le recours aux ordonnances, détonateur d’une bombe sociale

à l’exemple de la mobilisation en 2016, les cheminots entendent riposter pour défendre le rail et leurs emplois. Jeff Pachoud/AFP

à l’exemple de la mobilisation en 2016, les cheminots entendent riposter pour défendre le rail et leurs emplois. Jeff Pachoud/AFP

Envisagée par le gouvernement, la possibilité d’un passage en force de la réforme ferroviaire cristallise la colère des élus et des cheminots. Matignon devrait faire des annonces lundi. Les cheminots, en intersyndicale, travaillent à la riposte.

Comme un air de déjà-vu. À l’instar de la casse du Code du travail, entérinée en septembre dernier, l’exécutif pourrait une nouvelle fois passer par ordonnances, pour réformer le système ferroviaire. La piste, sérieusement évoquée par le journal les Échos dans son édition de jeudi, n’a pas été démentie par le gouvernement. Loin de là. Christophe Castaner, secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, affirmant sans ambages que « oui, il faut aller vite et il faut être efficace », et d’ajouter : « Les ordonnances sont une des façons d’y parvenir. » L’affaire sera tranchée lundi par Édouard Philippe, qui doit annoncer officiellement la méthode et le calendrier retenus.

le rapport Spinetta, feuille de route de la future réforme du rail

Rendu public en fin de semaine dernière, le détail des préconisations contenues dans le rapport Spinetta – feuille de route de la future réforme du rail – a déclenché en chaîne la colère des cheminots, dont le statut et les conditions de travail sont directement menacés, celle des élus locaux, qui voient les lignes ferroviaires irriguant leurs territoires mises sur la sellette, et celle des usagers. Pour Fabien Roussel, député communiste du Nord, si le gouvernement venait à « briser la SNCF par ordonnances », ce serait la preuve intangible d’une « volonté de frapper vite et fort en évitant tout mouvement de contestation ». Un non-sens pour l’élu, qui « n’ose imaginer que cette méthode soit retenue », et affirme que l’avenir de la SNCF, « qui a bientôt un siècle d’histoire, mérite un vaste débat public ». De l’autre côté de l’échiquier politique, le ton monte également. Ainsi, Gérard Larcher, président « Les Républicains » (LR) du Sénat, a prévenu dès jeudi : « Si le Parlement n’est pas sollicité pour débattre d’un sujet aussi important pour l’aménagement du territoire, il y aura un déni de démocratie. Je le dis clairement, on nous entendra sur le sujet. » Tout porte à croire pourtant que le gouvernement ne retiendra pas l’option d’une procédure ordinaire de discussion parlementaire.

« Pas de débat public, pas d’explication, seulement la volonté d’imposer leur vision », résume Éric Meyer, secrétaire fédéral SUD rail. Pour le syndicaliste, si l’option des ordonnances n’est pas vraiment une surprise, la contre-attaque, elle, devra être à la hauteur. « On craignait le recours aux ordonnances, ça circule dans les couloirs de la direction SNCF et du ministère depuis quelque temps. Et, si la méthode est confirmée, le calendrier de la mobilisation (une manifestation nationale à l’appel de la CGT et de SUD est prévue le 22 mars – NDLR) devra forcément s’adapter », poursuit-il.

Jeudi, les organisations syndicales de cheminots se réunissaient pour confronter leurs opinions et envisager les suites éventuelles à donner au mouvement. Mais une chose semble acquise, le recours aux ordonnances est unanimement dénoncé par les syndicats de cheminots. « Exactement contraire aux valeurs de négociation », cette méthode constitue, pour la CFDT, « une provocation » et « une attaque sans précédent (qui) nécessite une réponse immédiate ». Le syndicat se déclare favorable au dépôt d’un « préavis de grève reconductible ».

À vouloir étouffer le mouvement social en accélérant à tout prix le calendrier, l’exécutif joue au contraire le durcissement des positions syndicales. D’autant que, reprend Éric Meyer, « du transfert obligatoire des personnels en cas de passage au privé au plan de départs volontaires, en passant par la privatisation du fret ou la fermeture de lignes et la suppression des centaines d’emplois qui y sont affectés, le rapport Spinetta cristallise la colère des cheminots dans tous les services ». De son côté, la direction de l’entreprise publique n’a pas réagi. Le président de la SNCF, Guillaume Pepy, s’est dit en début de semaine « persuadé que l’écoute, la concertation, la négociation (allaient) permettre d’éviter une grande grève ». Et si le gouvernement, qui a reçu un à un les acteurs du secteur, parle de « concertation », pour la CGT cheminots, c’est à une simple « explication de texte » que s’est livrée Élisabeth Borne, ministre des Transports. Les salariés du rail ne s’y tromperont pas : « On est un peu à la croisée des chemins, explique Éric Meyer, et les cheminots savent bien que leur devenir dépendra un peu de l’issue de ce conflit, qui, aujourd’hui, paraît inévitable. »

Marion d’Allard, journaliste

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