Rappel des faits Un rapport sur le viol propose d’insérer dans le Code pénal un âge de non-consentement des mineurs à un acte sexuel, tout en fixant deux seuils, à 13 et 15 ans.
Katia Dubreuil Présidente du Syndicat de la magistrature Michel Martzloff Secrétaire général de l’association l’Enfant bleu, enfance maltraitée Fatima Benomar Membre du bureau des Effronté·es
Un permis de violer
En France, la loi considère encore qu’une enfant de 11 ans peut être consentante à des relations sexuelles avec des hommes de 28 ou 22 ans, pour ne citer que les deux affaires qui ont défrayé la chronique l’année dernière. C’est dire l’image qu’on se fait des femmes dans ce pays, considérées par défaut comme disponibles, même quand elles ne sont pas encore adultes. Pour la petite Sarah, les viols avaient été « déqualifiés » en atteinte sexuelle. Ce n’était donc pas un crime aux yeux du parquet de Pontoise, alors même que c’est un crime avec circonstance aggravante ! L’atteinte sexuelle est punie de seulement 5 ans de prison. Sa définition ? « Le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de 15 ans. » Or justement, le viol des enfants se fait souvent sans violence, contrainte, menace ni surprise, puisque les enfants ne résistent pas, ne disent pas non, ne comprennent même pas en général ce qui est en train de se passer ! Pour la petite Justine, enceinte à 11 ans de son violeur, les pénétrations ont été qualifiées de viols, crime passible de 20 ans de réclusion criminelle, mais le coupable a été acquitté car les éléments constitutifs du viol n’étaient encore une fois pas établis. Si un tel jugement est confirmé, non seulement on donne à cet homme un permis de violer, mais aussi la possibilité de reconnaître l’enfant, son « père » étant innocenté !
Heurtée, l’opinion a découvert qu’il n’y avait pas d’âge minimum en France en dessous duquel il n’y a même pas à débattre qu’une enfant soit (non) consentante. Or des jugements aberrants ne cessent d’être rendus et dénoncés par les féministes, sans relais médiatique. Rien que l’année dernière. Mars 2017, une enfant de 12 ans est tombée enceinte. L’ADN a accusé le beau-père. Elle l’avait dénoncé en vain cinq ans auparavant, il avait été relaxé à deux reprises. Mars 2017, acquittement général de neuf jeunes de 15 à 20 ans pour des viols commis sur une mineure de 14 ans. Juillet 2017, condamnation par le tribunal correctionnel d’Arras d’un homme à 18 mois de prison avec sursis pour des viols commis sur sa fille de ses 9 à ses 15 ans !
La loi française ne reconnaissant pas cet âge de consentement légal en dessous duquel il y a présomption irréfragable (irrécusable) d’absence de consentement, nous nous retrouvons avec une simple jurisprudence de 2005 concernant les enfants de moins de 5 ans, qui reconnaît l’absence de discernement. Les Effronté·es le réclament pour les mineur·es de 15 ans, et de 18 ans en cas d’inceste ou d’actes commis par des personnes ayant autorité.
Ce débat pourra enfin jeter la lumière sur l’énorme tabou des violences sexuelles précoces. En France, chaque année, 120 000 filles et 30 000 garçons subissent des viols ou des tentatives de viol. 6 % des Français·es déclarent avoir été victimes d’inceste. 81 % des violences sexuelles démarrent avant 18 ans, 51 % avant 11 ans, et 21 % avant 6 ans. #BalanceTonPorc avait aussi montré l’ampleur de la pédocriminalité dans beaucoup de témoignages. Il faut que la loi prenne tout simplement en compte la terreur de la jeune victime face au spectacle d’un homme en érection qui change de regard et de comportement, cet effet de sidération qui se retourne, hélas, contre elle face au juge. Mais comment nier qu’un homme de 28 ans a une emprise sur une enfant de 11 ans qui le voit comme un « grand » ? La surprise et la contrainte morale sont déduites du jeune âge et de la différence d’âge, comme le reconnaît la loi depuis 2010 : « La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. »
La gravité des traumatismes sexuels
Pour protéger efficacement les enfants, il est indispensable que le Code pénal fixe pour les mineurs un seuil d’âge en dessous duquel toute atteinte sexuelle commise par un adulte est une agression sexuelle ou un viol, avec une présomption irréfragable d’absence de consentement. Nous demandons que cet âge soit de 15 ans (et de 18 ans en cas d’inceste, d’adulte ayant autorité ou si le mineur est vulnérable). Les enfants sont les principales victimes de violences sexuelles, 81 % des violences sexuelles sont subies avant 18 ans, 51 % avant 11 ans, 21 % avant 6 ans (Ivsea, 2015), et 56 % des viols et des tentatives de viol ont été subis avant 18 ans, 40 % avant 15 ans (enquête Virage, 2016). Elles sont commises dans 94 % des cas par des proches et dans plus de 50 % des cas par des membres de la famille, surtout sur les filles et les enfants les plus vulnérables.
Leurs conséquences psychotraumatiques sur la santé mentale et physique et sur la vie des enfants sont très lourdes à long terme, et en font un problème majeur de santé publique : 50 % d’entre eux feront des tentatives de suicide, des dépressions à répétition, et auront des conduites addictives, 70 % subiront à nouveau des violences sexuelles tout au long de leur vie.
Or, la justice échoue à protéger ces enfants. Moins de 9 % des viols font l’objet de plaintes, 70 % de ces plaintes sont classées sans suite, 20 % sont correctionnalisées en agressions sexuelles ou en atteintes sexuelles, comme pour Sarah, et seules 10 % des plaintes aboutissent à une condamnation en cour d’assises. Cette impunité met en danger tous les enfants.
Trop souvent, la recherche des éléments destinés à caractériser viols et agressions sexuelles (violence, menace, contrainte et surprise) revient à une recherche du consentement de l’enfant. Cela porte atteinte à sa dignité et méconnaît son immaturité, sa vulnérabilité et sa dépendance face au monde adulte, ainsi que la gravité des traumatismes sexuels et de leurs conséquences psychotraumatiques : en effet la sidération traumatique paralyse l’enfant et l’empêche de réagir, et la dissociation traumatique, mécanisme de sauvegarde mis en place par le cerveau qui déconnecte et anesthésie émotionnellement l’enfant, le rend incapable d’exprimer sa volonté et de s’opposer, ces éléments étant interprétés à tort comme un consentement.
Avant 15 ans, l’âge devrait caractériser en lui-même le viol et l’agression sexuelle, les enfants n’ont pas le discernement ni les capacités pour s’opposer à une instrumentalisation par un adulte, ni un développement psychoaffectif et émotionnel qui permette d’être confronté sans dommage à une sexualité adulte qui fera effraction dans leur monde mental, leur identité et leur corps d’enfant ; ils ne peuvent pas avoir un consentement libre et éclairé sur ce qu’ils vont vivre et sur les conséquences que cela aura sur leur santé et leur avenir.
La littérature scientifique internationale qualifie de précoces les actes sexuels avant 15 ans et a démontré qu’ils sont un facteur de grande vulnérabilité pour l’enfant pour deux raisons. Ils sont fortement reliés à des violences sexuelles subies antérieurement et aux conduites sexuelles à risque dissociantes qui en sont une conséquence psychotraumatique fréquente (Dalhe, 2010). Par ailleurs, ils sont un facteur de risque pour la santé mentale et physique de l’enfant, avec des risques de grossesse précoce et d’infections sexuellement transmissibles, des risques accrus de conduites addictives et à risque, de mauvaise estime de soi, et de violences sexuelles réitérées (Lowry, 2017).
Ce n’est pas aux enfants de se protéger des adultes, mais aux adultes de mettre tout en œuvre pour les protéger, il est urgent de légiférer.
La question des conditions de recueil des preuves
À la suite de deux affaires judiciaires qui ont ému l’opinion, le gouvernement a annoncé le projet d’instaurer une présomption légale selon laquelle toute relation sexuelle d’un adulte avec un mineur en dessous d’un âge déterminé constituerait automatiquement un viol. Cette proposition repose sur l’illusion d’un « vide juridique ». En effet, le Code pénal punit déjà d’une peine de 5 ans, voire 10 ans d’emprisonnement, tout acte sexuel commis par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une contrainte. La loi pose ainsi le postulat de l’immaturité du mineur en matière sexuelle, exprimant que les adultes ne sauraient le considérer comme n’importe quelle autre personne à cet égard. Le crime de viol est puni plus sévèrement (20 ans de réclusion criminelle) car il nécessite, au-delà de la question de l’âge, la preuve que la relation sexuelle a été sciemment imposée par violence, contrainte, menace ou surprise. La jurisprudence, confirmée par une loi du 8 février 2010, prévoit depuis longtemps que la contrainte constitutive du viol peut résulter de la différence d’âge entre la victime mineure et l’auteur des faits, ou de la position d’autorité de l’auteur. Les juges et les jurés examinent les circonstances et la personnalité, et déterminent ainsi si le consentement éventuel du mineur a été trompé ou forcé : s’ils relèvent que c’est le cas – et ils le font systématiquement lorsqu’il s’agit d’un enfant, au cas par cas pour un adolescent –, la contrainte morale est caractérisée et le viol retenu.
Aller plus loin que la loi actuelle, prévoir que toute relation d’un adulte avec un mineur de 15 ans – ou de 13 ans – serait automatiquement et sans dérogation possible un viol, reviendrait à nier la différence de gravité entre des faits commis sans contrainte et des faits effectivement imposés par la contrainte, voire la violence, alors que la très lourde peine réprimant le viol répond précisément à la gravité d’une relation sexuelle imposée. Surtout, ce projet graverait dans le marbre une vérité contraire à la réalité : peut-on affirmer qu’en dessous de 13 ou 15 ans, un mineur ne peut jamais consentir ?
Les débats sur l’âge d’un seuil éventuel montrent bien que non, et l’absurdité de la proposition est suffisamment démontrée en citant l’exemple d’une mineure de 14 ans qui aurait une relation parfaitement consentie avec un majeur de 18 ans que le juge serait, avec une telle loi, contraint de condamner pour viol. Une présomption de viol fondée sur l’âge de la victime se heurterait frontalement au principe de présomption d’innocence garanti par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et le Conseil constitutionnel, qui a déjà exclu de tels dispositifs pour des contraventions routières, ne devrait pas manquer de le relever.
Ainsi, cette proposition avancée hâtivement dans le débat public à la suite de faits divers médiatisés a pu – un temps – présenter l’apparence d’une solution miracle, nos dirigeants politiques dégainant la loi pénale dans un réflexe pavlovien.
Le constat selon lequel les procédures en matière de violences sexuelles sur mineurs aboutissent trop peu ne peut qu’être partagé. Mais c’est avant tout sur les conditions de recueil des preuves qu’il faut progresser. La parole de la victime doit pouvoir s’exprimer moins difficilement, plus tôt, et être recueillie dans de meilleures conditions, ce qui engage d’autres évolutions qu’une nouvelle loi pénale.
Une nouvelle loi pour aider à la libération de la parole
Moins d’un adulte sur cinq (19 %) déclare avoir parlé, au moment des faits, des maltraitances qu’il a subies (sondage de l’institut Harris Interactive pour l’Enfant bleu, octobre 2017). Poser le principe de la présomption du non-consentement des mineurs de moins de 15 ans pour des faits de nature sexuelle montrerait une volonté du législateur de recueillir d’une manière bienveillante la parole de l’enfant sans lui imposer d’avoir à apporter la preuve qu’il n’était pas consentant. La loi interdit les relations sexuelles non consenties, c’est le moins qu’on puisse attendre de notre droit. Mais il est beaucoup plus surprenant que ce droit ne fasse pas de distinction entre les victimes majeures et mineures. La loi est la même que vous ayez 10 ou 30 ans ! Les deux seules différences qu’elle établit, entre des victimes majeures et mineures, sont que les relations sexuelles, entre un majeur et un mineur de moins de 15 ans, sont interdites et que les peines encourues sont aggravées quand la victime a moins de 15 ans. Cependant, ce qui paraît absurde dans notre législation est que les victimes mineures, au même titre que les majeures, doivent prouver qu’elles n’étaient pas consentantes. On peut comprendre qu’il soit demandé à un majeur une preuve de non-consentement, mais cela n’est absolument pas raisonnable quand il s’agit d’un enfant. L’adulte commettant une agression sexuelle sur un enfant est parfaitement responsable de ses actes, il a tout à fait conscience de ce qu’il est en train de faire, le mineur à l’inverse, n’ayant pas l’expérience sexuelle des adultes, est projeté dans l’inconnu, dans une violence qu’il n’imagine pas. Comment peut-il consentir dans une telle situation ?
Si le mineur victime d’une agression sexuelle ne peut pas prouver que la relation sexuelle a eu lieu contre sa volonté, qu’il n’a pas fait l’objet de pressions physiques ou morales, n’a pas été menacé, n’a pas subi de violences, le non-consentement du mineur ne sera pas établi. Et c’est pourtant bien le silence qui s’impose face à ces situations extrêmes. Les victimes décrivent parfaitement l’état de sidération, de paralysie qui les frappe, face à un événement d’une violence indicible.
Nous souhaitons donc que soit introduit dans le Code pénal l’article 222-22-3, qui indiquerait que « la violence, la contrainte la menace ou la surprise est présumée en matière de viol et d’agression sexuelle commis sur un mineur de 15 ans. » Nous demandons que le seuil de moins de 15 ans soit retenu, car il correspond à l’âge en dessous duquel la loi augmente les peines prévues dans notre Code pénal en cas d’agression de nature sexuelle. Le mineur de moins de 15 ans bénéficierait ainsi, automatiquement, d’une présomption de non-consentement. Le présumé auteur conserverait la possibilité de se défendre en apportant la preuve du contraire, comme tout individu a le droit de le faire en regard des principes des droits de l’homme.
Un large consensus existe sur le sujet, du citoyen jusqu’au président de la République. La France doit rejoindre la majorité des pays de l’OCDE qui ont, depuis de nombreuses années, posé le principe du non-consentement. Aujourd’hui, trop peu de victimes parlent. Le plus grand nombre se murent dans un silence qui les détruit. Il faut aider la parole à se libérer en inversant la charge de la preuve et considérer qu’un mineur de moins de 15 ans est présumé non consentant à tout acte de nature sexuelle imposé par un adulte.
Katia Dubreuil, Présidente du Syndicat de la magistrature
Michel Martzloff, Secrétaire général de l’association l’Enfant bleu, enfance maltraitée
Fatima Benomar, Membre du bureau des Effronté·es, Auteure du Livre noir des violences sexuelles (Dunod, 2013) et d’un Manifeste contre l’impunité des crimes sexuels
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