Dans un contexte de fortes tensions, à la suite des violences de la semaine dernière, la fronde contre le « plan étudiant » du gouvernement prend de l’ampleur. Elle pourrait franchir un cap avec la journée de mobilisation du 3 avril.
Ils allaient peut-être un peu vite en besogne, ceux qui, au gouvernement et ailleurs, pensaient pouvoir se frotter les mains en observant un mouvement contre le « plan étudiant » qui peinait à prendre son envol. Cette semaine, plusieurs facs ont bel et bien franchi un cap dans la mobilisation – et beaucoup d’éléments semblent réunis pour que les choses ne s’arrêtent pas là.
À Toulouse, le blocage du campus Jean-Jaurès (sciences humaines) est effectif depuis le début du mois et une assemblée générale (AG) monstre, rassemblant quelque 2 500 étudiants, a voté, le 26 mars, la poursuite du mouvement. Il faut dire que la situation dans cette université (anciennement le Mirail) est particulièrement tendue : en grève depuis trois mois contre un projet de fusion des trois campus de la Ville rose, Jean-Jaurès a vu la ministre Frédérique Vidal démettre sa direction et nommer un administrateur provisoire, le 20 mars.
À Nantes, ils étaient 600 en AG le 22 mars, puis 1 000 le 27. Le même jour, on a compté des AG de 200 personnes à Rouen ou Poitiers, plus de 300 à Strasbourg, 700 à Lille, entre 600 et 700 à Bordeaux… D’autres AG se sont tenues dans des universités restées plutôt calmes jusque-là, comme à Angers ou Grenoble. À Nancy, les étudiants de l’université de Lorraine se sont retrouvés à près de 1 000 en AG ; 600 ont voté en faveur du blocage de la fac, 300 contre. Président de l’Unef sur le campus lorrain, Luc Duponcel explique : « Le but n’est pas d’empêcher les gens d’aller en cours, mais de montrer à ce gouvernement que les étudiants ne veulent pas de son plan. Il faut aussi permettre à ceux qui ne prennent pas part au mouvement de comprendre que leurs ennemis ne sont pas les bloqueurs, mais le gouvernement et sa loi pour l’université. » Ce syndicaliste étudiant dénonce au passage les tentatives pour dresser les uns contre les autres, telle cette page Facebook « anti-blocages » créée, selon lui, par des « Jeunes avec Macron »…
« Les étudiants s’intéressent, prennent et lisent le tract »
De fait, il semble qu’il ne se passe plus de mouvements dans les universités sans qu’une opposition très concrète, voire physique, se fasse jour. Les événements survenus à la fac de droit de Montpellier dans la nuit du 22 au 23 mars (lire ci-contre) en constituent l’exemple le plus retentissant. D’autres violences se sont produites depuis dans les facs de Lille ou de Tolbiac (Paris-I). Des faits « révélateurs des difficultés qu’affrontent désormais les étudiants quand ils veulent s’exprimer dans les facs ou protester contre la loi ORE (orientation et réussite des étudiants – NDLR) du gouvernement et sa volonté d’instaurer une sélection à l’entrée de l’université », analyse Antoine Guerreiro, secrétaire général de l’Union des étudiants communistes.
Il ne faut sans doute pas aller chercher ailleurs une des principales raisons du regain de vigueur dans les AG. « Les étudiants sont en colère », explique-t-on à l’Unef. Lola, étudiante en licence de sociologie à Toulouse Jean-Jaurès et membre de l’UEC, le constate également : « Depuis les violences de la semaine dernière, les étudiants ont envie de s’impliquer aussi pour s’opposer à ces groupuscules fascisants », assure-t-elle. « Jamais personne ne devrait se faire frapper dans une université pour ce qu’il dit, pour ses opinions. Du coup, les étudiants s’intéressent, ils prennent et lisent le tract qu’ils auraient refusé dans d’autres circonstances, ils viennent aux AG alors qu’ils n’y seraient pas venus sinon », constate Antoine Guerreiro. Pour lui, « le potentiel de mobilisation que la loi ORE n’avait pas suffi à réveiller est en train de se concrétiser ».
« Nous observons une vraie dynamique »
C’est également l’analyse de Lilâ Le Bas, la présidente de l’Unef. « On observe une vraie dynamique avec plus d’une quinzaine d’universités en mouvement, y compris des établissements comme Strasbourg qui n’ont pas forcément l’habitude de se mobiliser. Les étudiants viennent à la fois pour refuser la mise en place de la sélection à la fac, mais aussi pour manifester leur opposition à toute forme de violence qui voudrait les empêcher de s’exprimer. » Seule la Fage (Fédération des associations générales étudiantes, aujourd’hui la première organisation sur les campus), relativise le mouvement actuel. « Les mobilisations de jeunes prennent souvent plus sur les émotions », se contente de commenter son président, Jimmy Losfeld, qui n’a guère varié dans son soutien à la loi ORE.
Il faut dire qu’il y a de quoi en avoir, de l’émotion, face à l’état des facs, quelque dix ans après les premières lois de libéralisation de l’université. Le manque de moyens y est devenu insupportable et aujourd’hui « on doit affronter les premières conséquences du baby-boom des années 2000 », souligne Antoine Guerreiro, avec un afflux massif de bacheliers qui ne fait que commencer. Dernier élément qui risque de jouer sur la mobilisation : le projet de révision des modalités de validation de l’année universitaire et de la compensation entre les différentes matières. Une réforme qui va toucher non pas les futurs étudiants, mais ceux qui passent leurs examens dans quelques semaines.
Autant de facteurs qui pourraient faire du mardi 3 avril un rendez-vous important. La Coordination nationale étudiante a en effet adopté, cette semaine, un appel à une mobilisation nationale à cette date. Qui est aussi le premier jour du mouvement de grève nationale des cheminots. Et on a déjà observé par le passé, notamment en 1995, que les facs se mobilisent d’autant plus vigoureusement qu’elles se sentent moins seules…
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