Unir les luttes pour faire dérailler les grandes manœuvres de division

Photo Simon Lambert/Haytham-REA.

Photo Simon Lambert/Haytham-REA.

La politique d’Emmanuel Macron est socialement explosive. Jeunes, retraités, salariés du privé comme du public, cheminots, tous sont la cible des réformes libérales du gouvernement. Pour tenter de déminer la colère sociale qui couve, le pouvoir divise donc ces cibles, et tente de les monter les unes contre les autres. Se laisser avoir par cette stratégie serait une erreur. Toutes les catégories sociales qui font les frais de la politique de Macron ont intérêt à unir leurs luttes.

Des retraités qui coûtent cher aux actifs
« J’ai beaucoup de respect pour les personnes âgées. Mais je suis obligé de remettre en marche l’économie du pays. » Le président de la République se justifiait ainsi devant des retraités, à la veille de leur manifestation du 15 mars, qui l’interpellaient sur la baisse de leurs pensions après la hausse de la CSG de 1,7 point en janvier dernier. Il ajoutait : « On a baissé de 3 points toutes les cotisations salariales. Donc ceux qui travaillent gagnent plus pour qu’ils payent les retraites. (sic) » C’est simple, finalement. Les retraites, ça ne se joue qu’entre les retraités et les actifs, les premiers coûtant cher aux seconds. « Je sais que ça râle, mais (1 je l’avais dit et 2) c’est pour m’aider à faire repartir les choses. » Christophe Barbier a bien résumé la stratégie du président sur BFMTV, le 15 mars : « Macron part d’une analyse économique qui est réelle, les retraités ont un niveau de vie plus élevé que les actifs. Donc, il opère un transfert générationnel. » Sauf que les inégalités entre retraités sont très fortes. Et ce discours évacue la question de la répartition des efforts entre le capital et le travail, mais aussi celle du niveau de chômage et des bas salaires qui diminue ainsi les cotisations…

Ces gras cheminots face aux agriculteurs dépourvus
Si les retraités vivent grâce au labeur des actifs, il faut bien trouver plus privilégié pour faire passer la pilule de la CSG. Inutile d’aller chercher les parachutes dorés des grands patrons. Les cheminots font très bien l’affaire. Ces « privilégiés » peuvent partir à la retraite à 57 ans, pour les agents sédentaires, 52 pour les agents roulants. Une présentation qui fait l’impasse sur la durée de cotisation des cheminots, comparable à celles des autres salariés qui, dans les faits, les amène à partir en retraite bien plus tard que l’âge « légal ». Mais c’est quand même inadmissible pour Emmanuel Macron qui estime qu’il ne peut pas y avoir, « d’un côté, des agriculteurs qui n’ont pas de retraite et, de l’autre, un statut de cheminot et ne pas le changer ».
Plutôt que de pointer les acquis sociaux des cheminots comme une grave injustice, Emmanuel Macron avait une occasion de faire un geste en faveur des agriculteurs, justement. Un projet de loi porté par le groupe communiste à l’Assemblée nationale, et visant à porter les retraites agricoles au minimum à 85 % du Smic, avait été voté à l’unanimité. Au moment de son passage au Sénat, le gouvernement a retoqué le texte et repoussé cette adoption à 2020…

Les usuriers de Pôle emploi et les vaillants bosseurs
La réforme de l’assurance-chômage concoctée par Emmanuel Macron nous est vendue par le message suivant : dans le monde du travail, il y a les chômeurs, qui ne recherchent pas d’emploi en préférant se la couler douce, et les autres, les salariés qui travaillent. Donc, pour pouvoir étendre les droits à l’indemnisation aux indépendants ou aux salariés qui démissionnent, la voie est toute trouvée : il va falloir sévir contre ces millions de chômeurs qui végètent sur les listes de Pôle emploi. Renforcer les contrôles, donc, pour rendre encore plus effectives les sanctions et radiations de chômeurs oisifs, qu’Emmanuel Macron appelait en décembre dernier les « quelques-uns qui abusent des règles ». Une étude, publiée en novembre 2017, relativise pourtant largement le phénomène : 86 % des cas de chômeurs contrôlés n’ont donné lieu à aucune radiation. Mais, là encore, il s’agit pour le pouvoir de monter les salariés contre leurs semblables, les salariés privés d’emploi que sont les chômeurs, afin de masquer les véritables bénéficiaires de cette réforme : le patronat qui, après la casse du Code du travail à l’automne, pourra accentuer la pression pour faire baisser le « coût » du travail.

Cette banlieue qui dépouille la campagne
C’est la droite qui monte le plus au créneau sur ce thème. Les dédoublements de classes dans les établissements scolaires des banlieues où le taux de chômage est largement supérieur à la moyenne nationale entraîneraient des fermetures dans les campagnes. Et ce, alors même que les maires de ces banlieues classées en zone prioritaire se considèrent comme délaissés par le gouvernement au profit des zones rurales et des métropoles. En réalité, tout le monde fait les frais d’une seule et même politique : l’austérité, et son corollaire, la gestion de la pénurie qui ne répond aux besoins de personne. « Nous n’avons pas fermé autant de classes que ce qu’une application bête et méchante de la démographie nous aurait conduits à faire », avait ainsi répondu Emmanuel Macron lors de sa visite en Touraine, le 15 mars, illustration de la seule gestion comptable des politiques de la ville.

Les jeunes, enfants de la crise, et les vieux, vernis
Si les retraités doivent, selon Emmanuel Macron, faire un effort sur leurs pensions pour les actifs, les plus jeunes d’entre eux en prennent aussi pour leur grade. « Nous travaillons pour votre génération », a pourtant expliqué le premier ministre, Édouard Philippe, devant… le mouvement les Jeunes avec Macron, dont certains osent dire que « les retraités qui sont mécontents représentent quand même la génération dorée, puisqu’ils ont connu les Trente Glorieuses ». Pas suffisant pour convaincre ceux qui ne militent pas à LREM. Et qui, depuis le début du quinquennat, font les frais de la politique du président avec la baisse des APL, la fin des contrats aidés ou encore la réforme des universités qui instaure une sélection malgré le passage du bac. La colère qui couve dans les facultés démontre que ces campagnes de division entre les générations n’abusent pas grand monde.

Diego Chauvet, Journaliste à l’Humanité Dimanche


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