La loi SNCF affaiblira le chemin de fer, jugent les ONG écologistes… in Reporterre

Par Pierre Isnard-Dupuy (Reporterre)

À grande vitesse, le gouvernement a fait adopter son « nouveau pacte ferroviaire ». La loi ne garantit pas l’avenir de ce mode de transport et ne l’inscrit pas dans une politique globale des mobilités, regrettent les écologistes.

La loi pour « un nouveau pacte ferroviaire » que vient d’adopter le Parlement a-t-elle les moyens de son intitulé ambitieux ? La majorité l’a fait adopter très vite, en un mois et demi. Le texte est censé créer un « big bang » qui remettrait d’aplomb le système ferroviaire national. En manque d’investissement chronique depuis trois décennies, le réseau ferré — à l’exception des lignes à grande vitesse — souffre de graves dysfonctionnements, entraînant retards et annulations de trains à répétition et fermeture de lignes jugées secondaires [1], au détriment de la qualité du transport et du bénéfice écologique du train.

Lundi 11 juin, la commission mixte paritaire entre le Sénat et l’Assemblée, composée de 14 parlementaires, parvenait à un accord sur le texte en moins d’une heure et demie. Puis, mercredi, l’Assemblée nationale l’a entériné. Jeudi, c’était au tour du Sénat de le faire.

Aucune réflexion sur l’écologie et l’aménagement du territoire

Transformation de l’entreprise publique SNCF en société anonyme (SA), ouverture à la concurrence, abandon du statut des cheminots sont les grandes dispositions de la loi nouvellement votée. La mutation en SA est présentée comme un moyen de pousser la SNCF vers une meilleure gestion. Soumise au régime du droit privé, l’entreprise serait contrainte à maîtriser son endettement. Cependant, le gouvernement ne s’épanche pas sur la nécessaire recapitalisation du groupe ferroviaire pour le préparer à la concurrence. La reprise de la dette reste à l’état de promesse, puisqu’elle n’est pas inscrite dans la loi. Le statut des cheminots disparaîtra purement et simplement pour les nouveaux embauchés. « Il n’y a toujours pas de cadre défini pour une convention collective de la branche ferroviaire, ce qui expose à des risques de dumping social », s’inquiète Jean-Yves Petit, de l’association Nos TER Paca (membre de France nature environnement Paca) et ancien vice-président aux transports (EELV) de la région Paca. « Les employés auront une plus grande polyvalence, ce qui supprimera les lourdeurs administratives et améliora la qualité de service », pense au contraire Jean Sivardière, vice-président de la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut).

Si l’exécutif se donne l’apparence de maîtriser le poste d’aiguillage de l’évolution du ferroviaire, les écologistes qui s’intéressent à la question et qu’a interrogé Reporterre sont plutôt dans l’expectative. Ils regrettent que la loi n’aborde pas l’enjeu crucial, qui n’a même pas été débattu : quelle place réserver au chemin de fer dans l’aménagement du territoire et dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

« C’est un texte purement idéologique. La majorité détricote le système ferroviaire sans rien construire derrière », analyse le sénateur de l’Isère (gauche et écologiste) Guillaume Gontard. « Les débats n’ont apporté aucune réponse sur l’environnement et sur l’avenir des lignes régionales. Finalement, qu’est-ce qui va réellement changer ? Dans les Contrats de plan État-région (CPER), il manque toujours la part de l’État pour le financement des voies », poursuit l’élu, défenseur du train de la première heure, en particulier sur son territoire des Alpes du Sud.

« La logique comptable prédomine sur les enjeux essentiels de l’organisation du territoire et de rendre les métropoles apaisées. Aucun moyen n’est annoncé pour qu’il y ait un report modal », dit Jean-Yves Petit, de l’association Nos TER Paca. Le texte n’enrayera en rien une situation où « la fréquentation du train est en baisse face aux autres modes de transport que sont l’avion ou le covoiturage, alors qu’il est le moyen le plus efficace énergétiquement, indispensable à développer pour respecter les objectifs des accords de Paris sur le climat », considère Lorelei Limousin, du Réseau action climat (RAC). Elle plaide pour « un moratoire sur la fermeture des lignes et une politique d’étoffement de l’offre ferroviaire ».

Un TER et un TGV en gare de Besançon-Viotte (Doubs).

Espoirs et inquiétudes sur l’ouverture à la concurrence

Seule la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut) relève des « points positifs » dans la loi. Depuis 1992, l’association réclame l’ouverture à la concurrence pour les TER, et elle est satisfaite que le « pacte ferroviaire » transcrive une directive européenne qui brisera le monopole de la SNCF dès la fin de 2019. « Ce ne sera pas une concurrence sauvage. Elle sera encadrée par les régions, qui restent organisatrices. Elle permettra une meilleure qualité de service et une baisse du coût d’exploitation », dit Jean Sivardière. Le vice-président de la Fnaut concède que les associations devront continuer à faire pression pour empêcher « les élus de passer à l’autocar parce qu’ils considèrent que c’est moins cher. Le transfert vers la route conduit une partie de la clientèle à se reporter non pas sur l’autocar mais sur la voiture. Mais les élus prennent ces questions au sérieux parce qu’elles intéressent leurs électeurs », assure-t-il. En revanche, Jean Sivardière juge que la concurrence sur les TGV telle qu’elle est prévue dans la loi n’est pas une bonne idée. « Elle sera en open access, comme sur le modèle aérien. Plusieurs compagnies pourront proposer les mêmes destinations. Cela va fragiliser l’offre, en particulier sur les destinations jugées non rentables. »

De son côté, Jean-Yves Petit, de Nos TER Paca, estime que l’ouverture à la concurrence manque d’un encadrement qui permettrait de redonner goût au train. « Quelle garantie avons-nous d’une tarification unique [assurant la péréquation tarifaire], quelle garantie pour un seul billet sur un trajet avec plusieurs compagnies et pour que les correspondances soient assurées ? » interroge-t-il. Ajoutant : « La loi n’apporte pas de réponse sur le financement du transport public régional. Il y a des régions qui remplaceront leurs trains par des cars, qui réduiront leurs offres, qui fermeront des lignes. » Une dynamique déjà à l’œuvre. « De forts risques existent pour le maintien des seules liaisons rentables et l’abandon des circulations sur les lignes moins fréquentées », avertit Anne Lassman-Trappier, qui est chargée des transports et des mobilités durables au sein de France Nature Environnement (FNE).

La loi sur les mobilités remise à plus tard

Quid de la loi d’orientation sur les mobilités (LOM) ? Présentée par l’exécutif comme un des grands projets du premier trimestre 2018, en juin, elle n’est toujours pas à l’agenda du Parlement, où elle ne pourrait apparaître qu’en 2019. « On fonctionne à l’envers. On aurait dû commencer par les grandes orientations : débattre de l’interconnexion, de la place du réseau ferré dans le développement des territoires et de son financement. Tant que ces questions ne seront pas réglées, il y aura toujours le risque que des lignes ferment », dit le sénateur Guillaume Gontard. Pour Anne Lassman-Trappier, de FNE, « la LOM doit définir une politique des transports moins polluante et moins climaticide. Elle doit intégrer une vision globale de la mobilité, une meilleure équité entre les modes de transports et développer des solutions concrètes de report vers les modes alternatifs à la route, pour les marchandises comme pour les voyageurs ».

Dans les gares, la tension reste vive entre le gouvernement et les syndicats de cheminots et la grève pourrait se poursuivre cet été. Cette situation verrouillée participe à détourner des usagers du train et met d’autant plus en danger des lignes jugées secondaires.


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